Chapitre 51 - 1*

6 minutes de lecture

  Monts de la Mort.




  Elma se tint devant l’entrée de la galerie, plus déterminée que jamais. Il était temps de savoir. De tout savoir.

  La jeune femme inspira et prononça l’incantation. La langue draconique était étrange : il s’agissait d’un habile mélange de sonorités douces et gutturales. Lorsqu’elle parvint à prononcer le dernier mot, la paroi trembla. Elma n’en revint pas de voir le rocher s’effacer pour révéler l’entrée sombre de la galerie, éclairée par la lumière sombre des cristaux. Tendue, Elma y pénétra. Ce n’était plus le moment d’hésiter.

  Elle dût faire attention où elle mettait les pieds : il y avait des cristaux du sol au plafond ainsi que sur les murs, toutes de tailles et de forme différentes. Certains étaient encore transparents mais la majorité brillaient d’une sombre lueur aux légers reflets mauves. Plusieurs fois, Elma manqua de s’écorcher les pieds dessus, ses chaussures usées n’étant pas de la première qualité. Elle dût se baisser de temps à autre à cause du bas plafond.

« Jusqu’où s’étend cette galerie ? »

  Plus elle avançait et plus elle entendait des murmures éthérés. Un frisson la parcourut. Ces échos lui donnaient l’impression d’être suivie. Lorsqu’Elma attarda son attention sur ces sons, elle découvrit qu’ils provenaient des cristaux assombris. Ceux contenant des souvenirs.

  Elma essuya une larme lorsqu’elle trouva le souvenir de l’arrivée de Karel. Elle sursauta lorsqu’elle reconnut la voix de Serymar, alors qu’il fixait le nourrisson d’un air absent.

  « Je n’avais pas le choix… Sauras-tu me pardonner un jour, Karel ? »

  Elma s’entendit par la suite l’invectiver. Elle se détourna du souvenir et jeta un œil rapide à la paroi. Elle revit Karel à plusieurs âges. Son cœur se serra. Dans l’ignorance, et malgré ses difficultés avec les autres serviteurs, Elma reconnaissait cet enfant jovial dont elle s’était occupée. Elle repensa à celui qu’il était devenu, avec cette blessure qu’ils lui avaient infligée qui ne s’était jamais résorbée. Elma l’avait vu dans ses yeux. Karel s’était tenu à distance d’elle, incapable de déterminer s’il pouvait lui faire confiance. Il avait presque le même air sombre que Serymar.

  Elma hoqueta lorsqu’elle tomba sur le souvenir du jour où Phényxia était arrivée. Elle vit Serymar ouvrir la porte et se décomposer à la vue de Karel sur le palier, terrifié et en colère. Ce maudit jour où tout avait basculé. Son regard manqua de la faire pleurer.

  Elma se détourna et continua son chemin, le cœur battant. Le souvenir de la Prophétie devait être quelque part. Elle ne s’était pas attendue à ce que cette galerie soit si profonde.

  Un sursaut la saisit lorsqu’elle entendit des échos de combat. Elma se pencha vers un autre tas de cristaux et fut surprise de voir un adolescent aux longs cheveux noirs et à la peau cendrée. Il s’entraînait avec assiduité avec un Apokearos.

— Mais… pourquoi avez-vous aussi essayé de vous séparer de vos meilleurs souvenirs ?

  Elma ne comprenait pas. Elle voyait cet adolescent certes concentré et frustré de perdre à chaque fois, mais aucune souffrance n’animait ses yeux. Contrairement aux glaçants souvenirs qu’Elma avait découvert, ses gestes étaient plus assurés et il semblait avoir bien plus confiance en lui. L’Apokeraos se montrait dur mais toujours encourageant et positif. Serymar le regardait exactement comme Karel l’avait fait avec lui. Comme un père.

  Elma découvrit aussi des souvenirs de son quotidien avec les Dragons.

  « Je ne peux mentir. »

  Elma se souvenait de ces mots.

— Il disait donc la vérité…

  Des cris perçants lui glacèrent le sang. Elma se tourna vers une autre paroi et elle eut le sentiment de recevoir un coup de poing dans la poitrine en trouvant le souvenir de sa rencontre avec Serymar. Elma ne s’était jamais rendue compte à quel point elle avait été éteinte et sinistre en cette période. Son expression et son regard dans le souvenir la choquaient. Pas si éloignés de Serymar lorsqu’il était encore séquestré. Il n’avait donc pas menti non plus lorsqu’il lui avait affirmée qu’il savait ce qu’elle traversait. La raison pour laquelle Elma souhaitait sauver Serymar de lui-même lui revint, aussi claire que les cristaux encore transparents.

  Elma avança encore. Elle vérifia que les lettres de Syriana, accompagnées de ses propres mémoires, se trouvaient toujours dans la poche de sa robe. Elle fut soulagée de les y trouver encore. Si Serymar la surprenait et qu’elle perdait ses souvenirs, elle s’était laissée des indices pour y pallier.

  Soudain, le couloir se fit plus large. Elma déboucha sur une énorme cavité, de la dimension d’une salle de palais. La cave était illuminée par des lueurs majoritairement blanches. Elma fut frappée de découvrir un énorme cristal au fond de la grotte et collé au mur, allant du sol jusqu’au plafond. Elma s’approcha prudemment. La stupeur la saisit et elle recula d’un pas.

— Syriana !

  Face à elle, enfermée dans le cristal géant, un corps, fort semblable au sien. Le choc la secoua de voir cette femme en chair et en os, même s’il s’agissait d’un cadavre. Mais Serymar était un maître en magie, il avait su user des propriétés des pierres. Syriana avait conservé sa beauté envoûtante. Elle semblait seulement endormie, prête à se réveiller à tout instant, comme ces princesses de contes de fées dont elle en avait l’apparence. Elma ne vit pas ses yeux verts, comme les siens, mais elle reconnaissait ses traits délicats, ses longs cheveux châtains cuivrés flottant autour d’elle comme si Syriana était sous l’eau. Une couronne de fleurs blanches ornait sa tête, en hommage post-mortem. Son ventre était partiellement déformé, témoin de sa grossesse. Elma plissa les yeux.

« Je n’y connais pas grand-chose, mais… ça me paraît bien minuscule pour une femme censée avoir accouché… Que vous est-il arrivée, Syriana ? »

  Le doute l’assaillit. Dans quel but Serymar avait-il gardé la dépouille de celle qu’il avait aimé ? Pragmatique comme il était, la conservait-il à des fins douteuses ?

— Serymar, est-ce vous qui avez tué Syriana ?

  Ses étranges paroles lui étaient restées en mémoire. « J’ai déjà eu l’occasion de le faire une seule fois. Ce fut… fort déplaisant. J’apprécierai que tu ne m’obliges pas à réitérer cette expérience. »

— S’il vous plaît, dites-moi que vous n’avez pas fait ça ! gémit Elma, prise de vertige.

  Tremblante, elle posa sa main contre la paroi. Une décharge la secoua et elle suffoqua. Sa peau brilla, son âme débordait comme si quelque chose le lui aspirait. Quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas la même sensation que lorsqu’elle entrait dans un souvenir.

— Non… non !

  L’affolement la gagna. Elma chercha à se retirer, son corps ne lui obéissait plus. Elle vit avec horreur sa main disparaître dans la lumière et se faire dévorer peu à peu jusqu’à son coude. De lourds vertiges la prirent, augmentant sa difficulté à se débattre. Son énergie se faisait drainer.

  Les limbes de l’inconscience l’enveloppèrent. Au milieu de ce chaos, des griffes s’enfoncèrent dans son dos pour la tirer vers l’arrière avec brusquerie. Cette brutalité chassa ses vertiges et son énergie lui revint avec violence, lui donnant la nausée.

  La terreur s’empara d’elle lorsqu’elle prit conscience dans quels bras elle se trouvait. Des bras qu’elle souhaitait pourtant depuis qu’ils l’avaient soutenue ce maudit jour où elle avait enduré la douleur d’un avortement. Elle n’aurait jamais pensé s’y retrouver dans un tel contexte.

  Elma voulut se dégager, mais la prise se resserra. Et elle n’avait rien de rassurant. Son corps trembla malgré-elle.

— Je t’avais pourtant avertie de ne pas t’approcher de ma vie passée, gronda Serymar avec froideur.

  Lorsqu’il l’avait surprise, plusieurs années plus tôt, à consulter un livre sur la traite des souvenirs, peu après la fugue de Karel. Elma eut le vertige en comprenant à quel point elle s’était trompée d’interprétation. Elle avait pensé que Serymar la menaçait à demi-mot, comme il l’avait déjà tant fait lorsqu’elle le confrontait. Elle n’avait jamais saisi l’avertissement visant à la protéger derrière ses menaces sous-entendues. Elma n’en revenait pas. Il savait. Il avait toujours su que ce jour arriverait. Il s’en était douté depuis le début. Alors pourquoi ne l’avait-il pas appréhendée avant ? Elma eut l’impression que son cœur devenait du plomb. Il l’avait manipulée. Encore. Serymar était impossible à devancer.

  La grotte disparut et fut aussitôt remplacée par des murs brûlés et gris. Ils se retrouvèrent dans le bureau de Serymar. Il la relâcha en la poussant vers l’arrière sans ménagement. Elma se rattrapa à un meuble pour ne pas tomber.



Suite ===>

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0