Chapitre 51 - 2*

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— Tu es la réincarnation de Syriana ! s’écria Serymar avec fureur. T’approcher de son corps de cette manière équivaut à mettre ton âme en péril, ainsi que la sienne ! Tu l’aurais condamnée avec toi à un sort pire que la mort ! Tu tiens vraiment à te retrouver damnée à jamais avec elle ?!

  Elma se redressa et reprit contenance. Elle avait beau ressentir de la colère, un calme étrange la gagnait. Elle se rendit compte qu’elle était soulagée. Inutile de cacher quoi que ce soit, à présent.

  Elle ignorait qu’une telle chose pouvait se produire. S’il souhaitait la préserver, pourquoi ne pas le lui avoir dit directement ? Pourquoi s’entêtait-il à agir seul en repoussant les mains qui se tendaient vers lui pour l’aider ? Elma en avait assez d’être un pion. Surtout sans savoir qu’elle se faisait manipuler. Si elle avait su que s’approcher de Syriana aurait eu un tel effet, elle ne se serait pas mise en danger.

  Elle lui jeta un regard noir. N’était-ce pas lui qui avait mis Syriana dans cette grotte ? Cela signifiait donc qu’il connaissait le risque en l’ayant rencontrée pour la première fois. Pourquoi l’avait-il prise à son service alors qu’elle courrait ce risque depuis tant d’années ?

  Elle serra les poings.

— Maître, répliqua-t-elle avec un calme inhabituel. Votre problème de confiance atteint vraiment des sommets extrêmes, et c’est ce qui nous a mené à cette situation.

— Tu oses encore la ramener, alors que tu m’as trompé consciemment ? fulmina Serymar.

— J’ai toujours été là, autant que possible ! se révolta Elma. Nous sommes vos alliés, et bien que Sans-Pouvoirs, nous nous sommes toujours pliés en quatre pour vous ! Et qu’avons-nous eu en guise de retour ? Du mépris, de l’ignorance, seulement ce que le pacte vous imposait ! Nous sommes une équipe, et pourtant, vous n’avez eu de cesse d’agir comme si vous étiez seul, sans jamais partager votre fardeau !

— Elma… menaça Serymar.

— Je n’en démordrais pas ! Si vous aviez un tant soit peu confiance en nous, vous n’auriez jamais commis l’irréparable ! Oui, j’ai agi dans votre dos, mais si vous nous aviez confié votre problème, nous aurions trouvé une meilleure solution tous ensemble ! Et vous n’auriez jamais commis l’irréparable ! Vous n’auriez peut-être pas eu besoin d’assassiner le Messager des Dragons et nombre de sa garde ! La confiance ne mène pas toujours à la trahison ou la mort si on parvient à la confier aux bonnes personnes !

— Veux-tu te TAIRE ?!

— Oh non, pas cette fois, résista Elma. Je me suis tue pendant trop d’années. À tort. Je me suis faite la promesse de ne plus être aussi lâche !

  Elma n’avait désormais plus rien à perdre. Elle comprit à la réaction de Serymar que ses mots ressemblaient à ceux de Syriana. Pourtant, Elma les pensait. Son âme jumelle ne lui avait jamais enseigné ces pensées. Si elle était triste à l’idée de ne plus jamais échanger avec Syriana, Elma lui était reconnaissante pour lui avoir inspiré une force nouvelle, celle qui lui avait toujours manquée.

— Peu importe ce qui vous est arrivé, JAMAIS vous n’auriez dû enlever Karel ! reprit-elle avec force. Avec votre intelligence, vous auriez trouvé une autre solution, comme le ramener avec ses propres parents ou vous installer auprès d’eux pour les protéger. Vous seriez aussi devenu son mentor ! Si je suis capable d’y penser, vous aussi !

— Je n’ai pas à me justifier. Encore moins auprès de toi.

— Comment avez-vous pu infliger une chose pareille à ces pauvres gens alors que vous connaissez la douleur atroce que peut engendrer la perte d’un enfant ?! hurla Elma, hors d’elle.

  Si elle était destinée à mourir prématurément, autant le faire en ayant pu déverser tout ce qu’elle avait gardé pendant autant d’années. Il était arrivé quelque chose à Aëlys. Syriana n’avait pas le ventre d’une femme enceinte à terme. La distance et la mélancolie de SErymar à chaque fois qu’il avait posé ses yeux sur Karel lui étaient désormais clairs.

  Serymar la fusilla du regard, semblant sur le point de la réduire en cendres s’il le pouvait. S’il le voulait. Elma déglutit à cette idée, mais sa colère fut suffisamment forte pour garder encore la tête haute, et ce malgré ses larmes qui ruisselaient sur ses joues. Glacial, menaçant, Serymar s’avança vers elle à pas lents.

— Sors-toi définitivement cette idée de la tête : je n’ai jamais eu d’enfant. Karel fut le premier à répondre à ce critère. Aëlys… Aëlys…

  Il s’immobilisa soudain, la foudroya du regard avec une telle violence qu’Elma recula. C’était la première fois qu’elle le voyait perdre son calme. Elle se demandait si elle devait plus le redouter dans cet état que lorsqu’il conservait son sang-froid. Son masque tombait. Sa haine refoulée transparaissait dans son regard de fauve. Son corps était tendu à l’extrême, il avait du mal à cacher son poing tremblant de colère.

— Aëlys n’a jamais eu le temps de pousser son premier soupir. Encore moins d’ouvrir les yeux. Elle n’a pas eu le temps DE PRENDRE CONSCIENCE QU’ELLE EXISTAIT !

  Ces dernières paroles résonnèrent avec violence dans la pièce. Elma avait l’impression de découvrir la version des souvenirs en face d’elle, celle qui avait construit son protecteur avant qu’il ne s’éduque, à la fois par lui-même et par ses différents mentors. Un être sauvage, prêt à la tuer sur-le-champ. Elma crut retrouver le Mage couvert de sang qui cédait à la folie en réduisant une pièce entière, à la hauteur de sa douleur. Comment pouvait-on contenir autant de souffrance sans craquer pendant autant de temps ?

  Serymar s’éloigna d’elle et posa ses poings sur la longue table en lui tournant le dos.

— Les événements me prouvent encore et toujours que la confiance ne sera jamais une option, gronda-t-il. Si je t’avais ordonnée de ne pas te mêler de ma vie, c’était bien pour te protéger ! Tu m’as menti éhontément, Elma, tout comme Syriana me mentit autrefois.

— Syriana vous aimait.

  Elle se rendit compte qu’elle aurait dû se taire en voyant Serymar se retourner vivement et son regard s’embraser de plus belle.

— Syriana m’a menti le jour où elle m’a affirmé qu’elle m’avait tout dit sur sa situation ! explosa-t-il. Elle ne m’a jamais dit qu’elle était venue pour m’achever ! J’ai eu la folie de croire en elle, ce fut la pire erreur de ma vie ! Elle m’a manipulé !

  Elma repensa aux lettres de Syriana. Sa colère redoubla.

— Elle vous aimait, mais craignait aussi votre réaction, si elle confirmait qu’elle était venue ici pour vous tuer pour regagner sa liberté ! Vous aviez manqué de peu de le faire dès le jour de votre rencontre, parce que vous aviez déjà des soupçons sur ce sujet ! Elle avait de quoi avoir des réserves !

  Si Syriana avait ses torts, Serymar n’était pas en reste. Elma voulait bien concevoir qu’il avait été blessé par le silence de Syriana, mais sa propre incapacité à compter sur ses proches était la cause de beaucoup de choses.

— Ne lui reprochez pas ce que vous avez-vous-même du mal à accorder à qui que ce soit, même aux personnes qui vous sont les plus dévouées, ajouta Elma avec froideur.

  Elle comprenait désormais son trouble, le jour où il la découvrit à moitié morte dans les plaines sombres.

— Le destin m’a toujours fait chèrement payer la confiance que je plaçais, répliqua Serymar, glacial. La première fois, je fus vendu à ce fêlé qui a maudit Dragons. La confiance m’a ensuite valu une condamnation dans l’oubli de leur part. Faire confiance à Syriana ne m’a apporté que douleur et rancœur. Aujourd’hui, elle m’a value ta tromperie. La confiance n’est pas un luxe que je peux me permettre. Alors vous pouvez bien vous garder vos grandes leçons sur le sujet !

— Vous n’avez certes pas été aidé, je l’admets. Mais veuillez noter que malgré les atrocités que vous avez commises, nous sommes encore là à vos côtés, et pas seulement parce qu’un contrat nous relie. Nous vous sommes dévoués, depuis des années, nous avons tout fait pour que vous puissiez compter sur nous. Pourtant, vous avez toujours refusé de compter sur nous, à part dans les moments où vous êtes acculé !

— Je n’ai aucune leçon à recevoir de traitres.

— Je ne vous ai jamais trahi.

  Serymar l’incendia du regard.

— Tu dépasses les bornes. Je ne voulais pas en arriver là, mais…

— Notre lien vous a-t-il signifié une quelconque trahison ? coupa sèchement Elma. Le pacte ne trompe pas !

  Il se figea.

— Ne joue pas avec ça.

— Voyez-vous du sang sur ma poitrine ? assena Elma sans ciller. Ressentez-vous une gêne au niveau de votre propre cœur ? Si vous êtes incapable de vous fier aux paroles et aux actes, fiez-vous donc à vos sorts, ils ne mentent pas, eux !

  Elma fit un pas en avant.

— Lisez dans mes pensées si vous le souhaitez. Mais sachez que cela ne sera pas sans conséquences. J’ai assez enduré. Allez jusque-là si vous le souhaitez, mais sachez que je ne m’en remettrai pas. À vous de choisir.

  Ils se toisèrent, sans ciller. Cette fois, Elma s’y refusait. Sa rencontre avec Syriana l’avait changée, et elle était heureuse de ce changement. Alors que son âme s’arrachait de son corps, de nombreux souvenirs l’avaient assaillie. Ceux de Syriana s’étaient mélangés aux siens. Elma avait vu leurs deux vies défiler. Elle avait vécu en un instant tout ce que Syriana avait vécu en quelques mois. Elma avait vu sa force et à quel point Syriana avait été vaillante. Elle comptait bien s’en inspirer. Son âme jumelle comptait sur elle. Elma aiderait son esprit à reposer en paix et à se mettre en sécurité auprès d’Illuyankas.

  Elma plongea la main dans la poche de sa robe et sortit les lettres de Syriana. Elle les tendit à Serymar en soutenant son regard. Les plis disparurent se ses doigts dans un mouvement sec.

— Vous êtes comme Karel. Depuis des années, vous ignorez qui était réellement Syriana, et c’est ce qui fait que cette blessure est incapable de se refermer. Il est grand temps que vous preniez connaissance de la vérité. J’ose espérer que vous saurez voir en elle comme elle a vu en vous. La dernière lettre vous est tout particulièrement adressée.

  Sur ces mots, Elma tourna les talons et quitta la pièce. Elle brûlait d’envie de harceler Serymar de questions pour connaître toute la vérité, mais elle n’obtiendrait rien de plus. Son seul espoir résidait dans ces lettres, notamment la dernière de Syriana. Celle qu’elle avait écrite avec ses larmes.

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