Chapitre 53 - 1[F]
100 ans plus tôt.
Tendu, Serymar toisait avec haine l’homme enchaîné en face de lui. Depuis qu’Eryon était là, il avait le sentiment de perdre peu à peu la femme de sa vie. Même si Syriana comprendrait ses raisons de tuer Eryon, leur relation ne serait plus jamais la même. Un lien se briserait. S’il s’en occupait autrement, cela influerait aussi leur relation. Dans tous les cas, Serymar se retrouvait perdant.
Eryon soutint son regard avec un sourire mauvais aux lèvres.
— Allez, tue-moi donc, le nargua-t-il. Tu en meures d’envie.
Serymar n’était plus dupe. Cette assurance cachait quelque chose. Comme il le supposait, s’il tuait Eryon ici, Œil-de-Sang le retrouverait aussitôt par un quelconque moyen Avancé qu’il aurait octroyé à son homme de main.
— Tu paieras pour avoir souillé ma sœur et lui avoir fait perdre la tête ! menaça Eryon avec haine. Un brillant avenir l’attendait, digne de son intelligence, maintenant, elle est bonne à enfermer chez les fous !
— Comme c’est ironique, de la part de quelqu’un qui l’a justement poussée dans mes bras pour m’achever.
Eryon sauta sur ses pieds pour se jeter sur lui, furibond, mais ses chaînes le retinrent.
— Tu vas…
— Je t’ordonne de te taire, mon frère.
Un courant glacé longea son dos et Serymar dut se faire violence pour ne pas se retourner vers Syriana. Il devait garder la face. Son être hurlait de lui ordonner de partir, mais le faire serait perdre en position de force devant l’ennemi. Il ne pouvait se le permettre.
Eryon s’était figé, aussi surpris que son géôlier. Syriana les rejoignit, la posture raide. Derrière sa froide apparence, Serymar décela très vite le vide dans ses yeux. L’éclat qu’il admirait tant chez elle avait disparu. L’angoisse de ne plus jamais retrouver cette lueur décupla sa souffrance et sa colère.
— Je veux que tu disparaisses de ma vie, reprit-elle.
— Syriana, notre maître serait prêt à te pardonner si tu…
— Il suffit. Je ne veux plus rien entendre de toi. Peu m’importe que tu sombres avec ton gourou. Je ne t’aiderai pas, cette fois.
Le visage d’Eryon se déforma de rage.
— Tu te rends compte que tu portes une abomination ?
Serymar posa une main sur le dos de sa compagne, comme pour lui donner du courage, face à ces mots qui devaient la heurter. Il ressentait sa colère en miroir, et les tremblements de rage sous sa paume lui indiquait qu’elle se serait sans doute jetée sur son frère si elle n’était pas aussi épuisée.
— Nous avons longuement discuté, intervint-il avec un calme glaçant. Tu as certes accompli ta mission, mais tu n’en reviendras jamais.
Eryon ricana.
— Syriana, tu vas le laisser faire ? Je suis ton frère ! Ne me dis pas que tu as perdu ton humanité à ses côtés ? Reviens avec moi. Et je te promets que tu retrouveras ta vie d’avant.
Syriana le regarda avec un mélange de froideur et de tristesse. Elle voyait de ses propres yeux à quel point son frère était irrécupérable. Elle en voulait à cet homme effrayant pour le lui avoir volé.
— Tes paroles sont devenues creuses à mes oreilles. Tu n’auras plus jamais d’emprise sur moi, mon frère. Prends cela comme une chance de recommencer ta vie, à zéro. Je connais beaucoup de monde qui rêverait d’avoir une seconde chance, pour tout recommencer.
À commencer par eux deux. Serymar le comprit bien vite. Donner cette chance à un abruti pareil lui était insultant. Mais il préférait ce compromis plutôt que de la perdre. Il ignorait si leur relation survivrait à ce qu’il s’apprêtait à faire. Au moins ne serait-elle pas brisée s’il tuait Eryon de sang-froid.
Il eut au moins le plaisir de voir le visage d’Eryon pâlir et se décomposer. Même s’il prit garde à n’en rien montrer. Serymar tendit un bras vers lui, libéra Eryon de ses chaînes et dirigea ses doigts dirigés vers son front.
— Disparais.
Une décharge secoua Eryon. Il se prit la tête entre ses mains et hurla comme s’il se débattait avec quelque chose d’invisible. Syriana s’agita, mal à l’aise.
— Je t’avais dit que ce n’est pas sans risques, lui rappela Serymar. C’est même la première fois que je fais ça. Encaisse, Syriana. C’est toi qui as insisté pour que je ne le tue pas.
Effacer les souvenirs d’autrui. Les arracher chacun, quitte à provoquer des lésions cérébrales. Serymar en ressentait un plaisir malsain. S’il était trop dangereux de tuer Eryon, il ne s’abaisserait pas à annihiler ses souffrances. Il comptait bien profiter de cette situation pour envoyer un message à Œil-de-Sang : ses sbires ne pourraient plus rien contre lui, il les détruirait tous, un par un.
— Je… je ne savais pas… gémit Syriana.
— Il est trop tard. Crois-moi, c’est le mieux à faire. Nous devons protéger Aëlys.
Le regard fou d’Eryon les toisa avec fureur.
— Vous avez déjà donné un nom à cette chose ?!
Syriana eut un mouvement de recul, stupéfaite. Elle posa une main protectrice sur son ventre tendu.
— Oui ! Un monstre ! insista Eryon dans la douleur. Une abomination !
Habitué à toute forme de menace, Serymar se tendit. Son sixième sens l’avertissait de quelque chose. Une légère torsion du poignet renforça son sort, faisant hurler sa victime de plus belle. Il se plaça devant Syriana et la repoussa doucement de sa main libre.
— Recule.
Figée par la crainte, Syriana fut incapable de bouger. La téléportation était trop risquée pour leur enfant à venir. Pour toute réponse, elle s’accrocha à son bras libre. Serymar la repoussa avec plus de virulence qu’il aurait souhaité. Son sort n’avait pas fonctionné. L’angoisse le saisit alors qu’il comprit la situation : Œil-de-Sang avait prévu sa réaction et avait fait en sorte de protéger Eryon, certainement avec encore une autre invention anti-magie.
— Disparais d’ici ! ordonna-t-il à Syriana avec violence.
Acculé, il décida de prendre le risque, en faisant une chose qu’il n’aurait jamais pensé refaire, surtout depuis qu’il les avait côtoyés pendant trois ans. Prier les Dragons avec ferveur.
« Si une seule demande devrait être réalisée, c’est celle-ci. Je vous en supplie, permettez à Aëlys de survivre. Je paierai n’importe quel prix pour ça. Même me mettre à genoux devant vous. Même à laisser mes ennemis m’humilier encore. »
Il tendit la main vers Syriana mais une douleur explosa soudain dans son bras, empêchant tout sort de se réaliser. Il gémit, surpris de ressentir comme si son pouvoir se faisait vampiriser.
— Non ! cria Syriana.
— Tu ne m’échapperas pas ! éructa Eryon.
Il bondit sur ses jambes. Serymar l’intercepta par la gorge et le projeta vers le mur. Syriana tenta de sortir fébrilement un sort jetable en s’éloignant.
— Syriana ! hurla son frère. Je ne te laisserai pas utiliser de la sorcellerie issue d’un tel monstre !
Elle n’aurait pas le temps d’utiliser de sort. Elle ne pouvait plus courir. La téléportation était beaucoup trop risquée. Eryon était protégé contre n’importe quel sort. Serymar tira sa propre dague et se jeta sur lui pour lui transpercer l’estomac. Il devait réussir en un seul coup, sa jambe ne supporterait pas l’atterrissage.
Un choc métallique se fit entendre au moment où sa lame s’enfonça dans les entrailles de son adversaire, le prenant par surprise. Sa lame dévia complètement de sa trajectoire. Comme prévu, sa jambe perdit momentanément toute sensation. Serymar assena un violent coup de pommeau de la dague sous la mâchoire d’Eryon pour gagner du temps. Il se jeta de tout son poids sur son adversaire pour l’entraîner dans sa chute. Il saisit la tête de son adversaire et la cogna contre le sol.
Eryon heurta la pierre sombre avec fracas. Un hurlement à glacer le sang empêcha Serymar de lui donner le coup de grâce. C’était bien la première fois de sa vie qu’il ressentait une chose pareille.
Le temps se suspendit, comme s’il se retrouvait soudain à côté de cette réalité et qu’il l’observait, de loin, coincé dans une bulle. Son corps se paralysa, et cette fois, cela n’était pas lié à son état et à sa blessure au bras. Son cœur explosait et il crut suffoquer alors que ce hurlement résonnait encore dans son esprit.
Eryon avait la main dirigée vers Syriana. De cette main s’était déroulée une longue chaîne, tendue. Serymar manqua de défaillir lorsqu’il vit ce qu’il y avait au bout. Le ventre arrondi de Syriana, dont le bout de chaîne se retira, dévoilant une sphère couverte de sang.
Syriana, livide, chuta sur le sol, se vidant de son sang.
— Non… suffoqua-t-il, la main en direction de la jeune femme comme s’il pouvait la rattraper. Non… SYRIANA !
Serymar ne saurait jamais décrire tout ce qui l’assaillait. Ses réflexions étaient figées. La douleur s’emparait de lui comme s’il se retrouvait à nouveau sur ces machines à torture. Il avait l’impression d’avoir froid et ses doigts tremblaient. Il avait cru avoir expérimenté les pires souffrances possibles. Il s’était trompé. Cette dernière allait au-delà de tout.
Il se releva, trébucha à la fois à cause de sa jambe et du choc. Il rejoignit Syriana, perdant l’équilibre juste à ses côtés. Fébrile, il la souleva et glissa ses doigts dans sa main ensanglantée. Ses bras se teintèrent aussitôt du sang de Syriana.
— Syriana, lui murmura-t-il avec angoisse. Syriana, je t’en conjure, ouvre les yeux.
Un rire sardonique et fou le ramena à la réalité.
— Voyez-vous ça ! s’écria Eryon, hilare. J’ignorais que l’on pouvait blesser les monstres de cette manière !
Un autre rire dément le secoua. Serymar retrouva un semblant de réflexion. La situation était critique. Il avait perdu son sang-froid et le regrettait. Personne n’était censé le voir ainsi. Sauf son âme sœur.
Serymar déposa Syriana avec délicatesse sur le sol. Il se releva. Lentement. Raide. La loi du plus fort était à nouveau de mise, et cela commençait par la posture. Ses poings se serrèrent. Des accès de rage et de colère, il en avait déjà fait l’expérience. Mais cette fois-ci, il y avait quelque chose de différent. Il ne saurait dire encore quoi, mais jamais il ne s’était senti ainsi. C’était fort désagréable. De la même manière que Syriana avait libéré ce qu’il considérait depuis comme le meilleur, en cet instant, toute sa noirceur qu’il avait muselée explosa. Tout ce qu’il avait toujours renié l’envahit avec violence. Il n’avait plus la force de lutter contre ça. Le monde s’évertuait à le pousser à devenir le pire monstre jamais créé. Alors il le deviendrait.
Il avait sous-estimé Œil-de-Sang. Ce dernier avait prévu sa réaction. Il avait écrit ces événements. Si Serymar ne faisait rien, il redeviendrait prisonnier. Il profita néanmoins du temps que prenait cet imbécile à rire de manière tonitruante pour inspirer et retrouver un semblant de maîtrise de soi.
Enfin, il tourna le regard vers Eryon au sol, la tête ensanglantée. Serymar lui jeta regard glacial, menaçant. Un regard de tueur. Eryon ne cilla pas. Une preuve de plus qu’Œil-de-Sang avait tour prévu.
— Maintenant, quoiqu’il arrive, personne n’engendrera un monstre supplémentaire !
— Tais-toi, lui ordonna Serymar avec haine. Je m’occuperai de toi… plus tard.
D’un geste, il l’entrava par les pieds et le suspendit au plafond. Cette première maltraitance ne serait que la prémices des prochaines.
Cela fait, il s’agenouilla aux côtés de Syriana, passa un bras sous son dos afin de la soulever délicatement. De sa main libre, il apposa sa main sur la plaie. Il ne pourrait pas la soigner, mais au moins parvint-il à souder rapidement les chairs pour arrêter l’hémorragie. Une main se posa sur la sienne. Il se figea.
— Je t’en prie, supplia Syriana. Ramène-moi…
Son expression était ravagée. Douleur, physique comme morale, larmes. Serymar dégagea doucement sa main entièrement pleine de sang. Il lui saisit la main, la serra dans la sienne avec douleur.
— Tout. Tout ce que tu voudras.
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