Chapitre 1-2

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— Nous allons procéder à quelques contrôles, Karl Ludwig, et tu as intérêt d’être en règle, ma cravache s’impatiente. Ouvre la bouche. Nous voudrions vérifier si tu as suivi ce soir la diététique officielle de la république.


Karl s’exécuta. Un milicien lui introduisit une sonde argentée entre les mâchoires. Le compteur Geiger nouvelle génération. Une musique bien connue, « Beef and biscuits » de Chet Atkins, retentit alors dans un haut-parleur situé au somment du bâtiment le plus proche.


Prendre un criminel sur le fait n’était réellement utile que si la population aux alentours en était immédiatement informée. Que tout le monde sache qu’une infraction n’avait aucune chance de passer inaperçue. Il fallait diffuser la peur, plus efficace que dix bataillons de miliciens.

— Il a mangé du bœuf, il y a moins d’une heure, décréta le sondeur.


Karl n’eut pas le temps de répondre que la schlague le frappa en plein visage. Sous l’effet du coup et de la douleur, il tomba à genoux. Il réprima un cri. Il ne voulait pas offrir cette victoire à son tortionnaire.


Hans Mader s’était mis à hurler. Il écumait littéralement de rage, des filets de baves coulant de sa bouche.

— Du bœuf ! Du bœuf ! Criminel ! Cette fois, tu es cuit. Le C.R.E.C, tu n’y coupes pas !

La cravache, fabriquée avec des fibres tressées de poireaux séchés, à cause de la loi fondamentale 8, dite loi végan, bannissant les produits d’origine animale de l’équipement des forces de l’ordre, s’abattit à plusieurs reprises sur le crâne de la victime qui s’écroula au sol. Karl réussit à balbutier :


— J’étais… au restaurant… brésilien… j’avais le droit…

— Il dit la vérité, dit le second milicien, en montrant l’écran de la tablette à son supérieur.

— Scheisse ! éructa Hans Mader.


L’interdiction d’élever, commercialiser et consommer de la viande de bœuf ne s’appliquait pas aux restaurants classés comme brésiliens.


Des années plus tôt, le Brésil avait attaqué la République fédérale (le troisième terme, « allemande » ou « d’Allemagne », avait depuis longtemps disparu) devant un tribunal privé new-yorkais, en vertu des accords libre-échangistes en vigueur. La République fédérale avait dû s’incliner, globalisation oblige, et accorder des dérogations afin de respecter les quotas d’importation de bœuf sud-américain.

Seuls les éleveurs allemands avaient dû mettre la clef sous la porte de l’étable. Il en restait de toute façon très peu, après des décennies de harcèlement public et privé. Quand trois fois par semaine, vous découvrez vos clôtures saccagées, vos tracteurs sabotés, ou des manifestants qui squattent devant votre ferme avec des banderoles comparant vos étables à des camps de concentration, excusez du peu, votre vocation d’éleveur disparait peu à peu.


Comme excuse pour cette exception brésilienne, le gouvernement avait déclaré que de toute façon plus personne ne pouvait dire que la consommation de viande brésilienne contribuait à détruire la forêt amazonienne, puisque cette dernière avait disparu depuis longtemps.

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