Bien entendu, cet écrémage du dictionnaire avait forcé les autorités à renommer un nombre astronomique de rues et bâtiments officiels.

L’ancien musée du Palatinat était devenu le Centre Culturel de Conscientisation Écologique Gurka Kassburneberg, du nom de la grande prophétesse suédoise de la catastrophe climatique, surnommée amicalement Big Sister.

Les habitants d’Heidelberg disaient simplement le Gurka.

À ce propos, la catastrophe annoncée n’eut jamais lieu, grâce aux guerres atomiques asiatiques qui permirent de faire flotter assez de poussières dans l’atmosphère pour limiter les ardeurs des rayons solaires.

Une fois de plus, il suffisait de faire confiance au génie de la connerie humaine au lieu de se prendre la tête.

Qui mieux est, même si le monde entier en a souffert, le plus gros était resté sagement à stagner au-dessus de l’Asie, ce qui avait provoqué plusieurs années sans récolte. Trois milliards d’êtres humains étaient morts de faim, mais les centrales chinoises et indiennes à charbon avaient cessé de fonctionner. L’empreinte carbone de la bombe atomique n’avait jamais été prise en compte, grave erreur, dans les calculs du G.I.E.C.

Laissons ces réflexions et revenons à notre tabassé.

Les miliciens abandonnèrent Karl Ludwig, plié en deux et se tenant le ventre, au sol et s’éloignèrent par l’étroit sentier qui serpentait au milieu de la jungle urbaine qu’était devenue la grande rue d’Heidelberg.

Les couinements des hordes de rats, invisibles sous les buissons, semblaient siffloter « Mon beau sapin, roi des forêts ».

Aucun sapin de Noël ne décorait la rue. Ils furent interdits il y a longtemps déjà, selon la loi fondamentale 1 sur la république multiculturelle et intégrative, afin de ne pas froisser la sensibilité des nouvelles populations venues remplacées les autochtones peu enclins à se reproduire. Pourquoi faire des enfants si on possède déjà un chien ?

La fête de Noël elle-même fut supprimée du calendrier peu d’années après.

Karl Ludwig réussit à s’asseoir. Il souriait, malgré la douleur. Il venait d’échapper de peu à une déportation vers un C.R.E.C., un Camp de Rééducation Écologique et Climatique, de sinistre réputation.

Son plan avait parfaitement fonctionné.

Plus rien n’allait l’empêcher ce soir d’atteindre son but.