Au Petit Bourgogne
Pendant le trajet, Alexis enfile sa tenue de guide touristique. Son visage se détend au fur et à mesure qu’il me parle de sa ville. Chaque détail dans sa bouche apporte un supplément d’âme à cette virée dans les rues de Montréal.
— Jeune homme, vous devriez postuler pour l’office de tourisme, l'interrompt notre chauffeur.
Aussitôt, les joues d’Alexis se teintent de rose, apportant une touche de couleur à son visage.
— Est-ce que vous savez pourquoi aucun bâtiment ne peut être plus haut que le Mont Royal ? nous demande-t-il dans la foulée.
Je suis persuadé que mon nouvel ami est incollable en la matière. J’attends de voir lequel des deux apportera la réponse en premier : le chauffeur à l’avant trop pressé de contribuer à ma culture générale ou le jeune homme qui se tient à mes côtés, souriant et de plus en plus à l’aise.
— Bon alors, vous me le dites ou c’est mon test d'entrée ? interrogé-je.
En guise de réponses, ils font des phrases de concert, l’un commence et l’autre ajoute un morceau. Je découvre au travers de leurs mot mit bout à bout qu’un règlement municipal interdit la construction d’édifices dépassant le sommet de la montagne, soit deux cent trente deux mètres et cinquante centimètres au-dessus du niveau de la mer.
— Un bon point pour la préservation de la nature en milieu urbain, précise Alexis.
— Quelle idée de vouloir construire des bâtiments aussi haut, dis-je en scrutant l’horizon.
— Tu as bien la Tour Eiffel.
— Un point pour toi, Alexis.
— Les hommes veulent peut-être effleurer les nuages tout en gardant les pieds sur terre, ajoute mon voisin avec une lueur dans les yeux.
— Idéal pour toi pour prendre de la hauteur et une façon bien plus sûre que l’avion.
Alexis éclate de rire et poursuit en me bousculant de l’épaule :
— Eh monsieur le futur journaliste, fraîchement débarqué de sa contrée, connait-il la signification des symboles qui ornent notre drapeau montréalais ?
— Je peux passer un coup de fil à un ami, demandé-je en attrapant mon portable.
— Que nenni ! répond-il en me le prenant des mains.
— D’ailleurs, combien y en a-t-il ? questioné-je pour gagner du temps.
— Ils sont au nombre de cinq, disent-ils simultanément.
Je me garde bien d’avouer à Alexis que de mon côté, pendant qu’il dormait dans l’avion, sa tête collée à mon épaule, je lisais des informations condensées sur ma future destination. Je ne veux pas les priver du plaisir de me donner leurs explications. La réponse, je la connais. Chaque symbole représente une des cinq nations fondatrices: le pin blanc pour les Premières Nations ; la fleur de lis pour la France ; la rose pour l’Angleterre ; le chardon pour l’Écosse ; et le trèfle pour l’Irlande. En les découvrant dans le document consulté sur mon portable au cours du vol, j’ai ressenti un pincement. Tous, à leur façon, font écho à mon histoire. Venir me poser sur le sol canadien n’est pas anodin.
Voir Alexis euphorique, me ramène trois mois en arrière. En ce début de juillet, je jouais mon rôle de guide auprès de Manu. Nous empruntions la route pour Mézange pour fuir Bordeaux et les emmerdes. Je voulais retrouver la douceur des Landes et rejoindre ma grand-mère. Nous nous mettions au vert, le temps de nous faire oublier. Arrivé dans ma forêt de pins, je lui ai montré tous les coins qui m’étaient chers. Je lui ai raconté les histoires de mon enfance. Je me souviens de l’éclat de curiosité dans ses yeux. Il apprenait à lire en moi. Je m’amusais quand avec enthousiasme il suivait la rivière. Main dans la main, nous longions les méandres, le cours d’eau guidait nos pas jusqu’à l’océan. À ce doux souvenir, je souris quand deux voix me ramènent sur terre.
— Nous arrivons à destination, le quartier Petit Bourgogne, disent en chœur Alexis et Brian.
Je ne sais pas si tous les gens de ce pays sont aussi abordables mais la balade en taxi en leur compagnie est des plus agréables. En observant par la fenêtre, je découvre un quartier résidentiel avec des maisons collées les unes aux autres. Je ne peux quitter du regard les murs de briques ouvragées aux multiples couleurs pétantes, un élégant contraste avec les toits bleu océan. Chaque bâtiment s'imbrique parfaitement. Les escaliers partent à l’assaut des façades. Les longs balcons en coursive font office de passage tout en gardant un côté privatif. Cela donne un style assez décalé à l'ensemble. Je découvre un nouveau monde avec des facettes charmantes. Je me hasarde à demander à Alexis :
— Pourquoi n’y-a-t-il que des portes d’entrées surélevées ?
— Ah, ça tu ne vas pas tarder à le découvrir, répond-il avec un sourire en coin.
— Qu’est-ce que tu entends par là ? Précise.
— On va dire que si tu ne veux pas hiberner, c’est le plus simple.
— Ok, le petit Français qui débarque de sa campagne voudrait des détails.
— Montréal est la métropole la plus enneigée du monde. L’année dernière on a battu un record avec 2m40 de poudreuse.
— Ah, je comprends mieux, si tu veux ne pas finir en bonhomme de neige, il vaut mieux prendre de la hauteur. C’est bon à savoir en effet.
Brian, notre chauffeur, nous signale que nous sommes arrivés à destination. Il nous dépose au deux mille deux cent quatre vingt dix rue Delisle. Le nom du Parc me fait penser à Manu. Finalement, tu n'es pas là mais les moindre détails me ramènent à tes côtés. Le parc des Jazzmans est franchement un nouveau signe. Pour essayer de passer à autre chose, je scrute la ruelle située entre deux blocs de maisons : un poumon végétal au milieu d'un mobilier urbain. Des tables sont installées sur une estrade, un petit coin avec un toboggan et une balançoire pour les enfants, une boîte à livres en forme de bateau et des oiseaux sur les érables narguent les chats. Une oasis au centre des quartiers.
— Viens nous allons poser nos valises et ensuite je t'emmène découvrir le campus, me propose Alexis impatient de me faire entrer dans son monde.
— Pourquoi pas, bonne idée.
— Après nous rejoindrons mes potes, ils sont tellement contents que je sois rentré et en un seul morceau.
— Comme je te comprends.
— Pas trop dur d'avoir laissé les tiens ? demande-t-il aussitôt.
— Disons qu'il le fallait.
— À toi de t’expliquer.
— Oh, si tu as du temps à perdre, dis-je avant de marquer une pause, repris mon souffle songeur et enchaîne, pour l'heure, je t'avouerai que découvrir là où je vais étudier pour l'année à venir me tente bien plus.
— Tu as hâte ?
— Je suis pressé de me lancer, d'avancer, de voir autre chose.
— Chagrin d'amour ? me demande-t-il du bout des lèvres.
— Toi, tu es bien trop curieux.
— Ok, oublie. Je te montre ta chambre, si tu veux te doucher avant de partir.
— Ouais, ce serait pas du luxe, réponds-je, ravi de changer de sujet.
— On se dit dans vingt minutes dans le salon.
— Ça me va. T'es sûr que ça ne te dérangera pas tes parents ?
— Non pas du tout.
Je ferme la porte et m'écroule sur le lit, épuisé par le vol, le décalage horaire et la mélancolie qui me gagne peu à peu. La pièce est sobre, quelques trophées de hockey sur une étagère, des livres de cours sur un bureau, un poster d'un lac au-dessus du lit et des photos de famille sur la table de chevet. J'observe le plafond, aucune fissure, aucune trace d'usure. Loin de ressembler à mon ancienne chambre. Notre appartement à Bordeaux s'est vendu en une semaine. Les nouveaux propriétaires, un jeune couple avec un enfant en bas âge trouveront dans ses murs leur bonheur, j’en suis persuadé. Ils feront le nécessaire pour gommer les cicatrices laissées par le temps. Ma chambre reste le seul endroit où il y a encore des menus travaux à faire, le reste de notre T3 était en bon état. Papa s'est assuré de le maintenir nickel.
J'attrape mon téléphone, des enveloppes clignotent sur l’écran. J'hésite entre les ouvrir ou me glisser sous l'eau pour me détendre. Pour la première fois, le silence de la maison me pèse après toute l’agitation de ces derniers mois. Je me faufile dans la pièce adjacente à la chambre, à l’opposée une autre porte donne sur la salle d'eau. Peut-être est-elle celle d'Alexis ? Des notes posées sur un piano comblent l’espace vide. Je me rappelle en avoir vu un en passant devant le salon. Finalement, mon hôte a dû profiter de mes rêveries pour s’accorder une pause musicale et là il doit m'attendre.
Je jette mes vêtements au sol, ouvre le rideau et tourne le robinet. Je pose un pied sur le carrelage glacée, je grogne pour la forme. J'ai horreur de me les geler. J'attends un instant pour apprécier la chaleur augmenter et m’envelopper. Délicieux moments, les gouttes s'amourachent avec chaque grain de ma peau. Je ferme les yeux et à nouveau les images des mains de Manu qui courent sur mon corps, de ses lèvres qui picorent mon cou. Je pose mes paumes sur la paroi, je ne peux plus contenir mes larmes. Je m'en veux de faire preuve d’autant de faiblesse. Un trop plein d'émotions débordent sans mon accord. À nouveau, l'eau devient gelée, électrochoc nécessaire. Je laisser échapper un "putain" un peu trop fort parce que j'entends une voix me rappeler à l'ordre.
— Pardon, je pensais que …
— Mon frère ne m'avait pas prévenu que nous avions de la visite.
Une voix féminine. Je passe la tête par l'entrebâillement du rideau. Une jeune femme me tend une serviette.
— En plus, il a oublié de me préciser que c'était un beau gosse, précise-t-elle avec un air taquin.
J'attrape le tissu et le passe autour de ma taille prestement.
— Salut, moi c'est Rose, la petite sœur d'Alexis. Tu sais que tu as des putains d'yeux bleus ?
Ah non, tout sauf ça !
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