Pas ce soir ...
Avec toute cette animation, nous n’avons pas vu l’heure passer. Nous nous précipitons tous, ouvrons la porte et entonnons en chœur un joyeux anniversaire à notre invité statufié sur le seuil. Je ne suis pas sûr qu’il apprécie.
— Merci pour l’aaaaaccueil…
Lucas marque une pause et enchaîne :
— … et la sssssurprise, mais je crois que je suis naze, je vais finalement rentrer me coucher, finit-il pas débiter sans reprendre son souffle.
Nous nous regardons, je ne comprends pas vraiment ce qui se passe. Tous m’avaient assuré qu’il serait content qu’on lui accorde cette attention. Là, ses gestes renvoient des messages contradictoires, ses mains tremblent. Minuit sonne au carillon de l’église du coin de la rue, comme cendrillon, le carrosse se transforme en citrouille. Un malaise s’installe. Malgré tout, je m’avance et lui propose d’entrer.
— Allez, viens Lucas, on n’attendait plus que toi. Tu connais Noah, une minute de plus sans un encas et il défaille. Je me demande comment il a tenu jusque là.
Je perçois un sourire relever le coin de sa bouche mettant en valeur les fossettes sur ses joues. J’ai réussi mon coup, il finit par m’accompagner à l’intérieur.
— Tout va bien ? osé-je lui demander du bout des lèvres.
— Les fêtes d'anniversaires…
Il hésite, encore une fois il écorche ses mots :
— ccccccc’est pas trop mon truc.
— Je comprends, tenté-je de le rassurer, imagine plutôt que tu participes à une soirée crêpes entre potes. Elles sont prêtes et je suis persuadé que comme nous, tu meurs de faim.
— Vous n’auriez pas dû m'attendre comme je vous l’avez suggéré, proteste-t-il.
Je prends une seconde avant de lui répondre, je l’observe, il a vraiment l’air épuisé. Ses yeux d’un brun intense sont cernés.
— Je suis persuadé que si les rôles étaient inversés, tu ferais tout pour que la soirée soit réussie. Si tu me dis le contraire, je ne te croirais pas.
— Tu as sssssûrement raison Zach, merci.
Je lui tends une bière et le guide vers la cuisine, la table est mise et nous nous asseyons avec toute la bande. Peu à peu, l’ambiance joviale reprend de plus belle, des rires et des sourires sont échangés. Lucas à ma droite retrouve un visage plus apaisé, les traits moins tirés et une allocution plus assurée. L’ombre qui semblait planer sur lui vient de s’estomper. Nous nous croisons régulièrement sur le campus, au restaurant où il fait des extras pour financer ses études ou chez nos amis. Pourtant, je réalise que nous n’avons jamais pris le temps de discuter. Je ne connais que des bribes de sa vie actuelle et de ce que j’ai pu comprendre, son passé reste enfoui au plus profond de lui. Nous avons peut-être bien plus de points communs que je le pense.
Léa me fait un signe discret de la main pour que je la suive dans le salon. Lucas, de son côté, est en grande conversation avec Maëva, il plaisante sur leur futur partiel dans une semaine. Le voir plus détendu, me réjouit. Il retrouve l’assurance qui lui manquait sur le pas de la porte. Je tourne la tête et découvre Noah qui se goinfre de crêpes sous le regard amusé de Rose. Derrière ces airs de grand ours mal léché, se cache un cœur de guimauve. Il me fait penser à ses petits nounours que nous dévorions à la sortie de l’école primaire avec Jérémie. Une fois par semaine, nos mères respectives nous en achetaient un paquet à la boulangerie. Nous apprécions ces douceurs, assis à leur côté, avant de nous précipiter dans les toboggans. Quand il est parti avec sa mère loin de Bordeaux, puis de la France pour fuir son père, ma mère a voulu poursuivre ce rituel au cours de mes années collèges. Tous les mercredis, je retrouvais sur la table de la cuisine un sachet en papier. Quand à son tour, elle est partie pour un voyage sans retour, j’ai continué à aller les acheter. Cette fois, je partageais les friandises avec Manu, assis sur notre banc. J’avais seulement changé le jour. La première fois qu’il m’a vu débarquer avec les oursons, il m’a souri. Un de ses sourires qui m’a toujours renversé le coeur, au début je ne comprenais pas pourquoi il me faisait autant d’effet, maintenant je sais pourquoi rien qu’en y songeant je souris bêtement à mon tour. Je crois que j’étais tombé amoureux avant même de le savoir.
— Zach, me dit une petite voix au creux de l’oreille. Arrête de rêver les yeux ouverts.
— Hein quoi, qu’est-ce qu’il y a ? réponds-je en sursautant.
Je réalise que j’était encore une fois partie à des milliers de kilomètres de cette maison où la fête bat son plein. Léa ne me voyant pas la rejoindre, à rebroussé chemin pour venir me chercher. Elle me prend par la main et je la suis docilement.
— Bon alors on fait quoi pour le cadeau ? me demande-t-elle avec un air inquiet.
— Je ne sais pas trop, au vu de ce qui c’est passé sur le péron, pas sûr qu’il soit heureux.
— Ce serait dommage, non ? insiste mon amie. Une surprise, ça fait toujours plaisir. Moi j’adore.
— Pour une raison que je ne saurai expliquer et aussi parce que je me dis que finalement, je ne le connais pas si bien que tous les autres, je suggérerais que nous lui offrions à un autre moment. Non, qu’est-ce que tu en dis ?
— Tu as peut-être raison.
— Regarde-le, il a l’air de s’amuser et de se détendre, dis-je en l’observant de loin.
— Il rit, c’est tellement rare. De qui est-il le plus proche ?
— Maëva sans hésiter, je pense qu’il lui fait entièrement confiance.
— Ok, je vais la chercher.
— Sous quel prétexte ?
— Un truc de filles, me dit-elle en me tirant la langue.
— Ahaha très drôle !! J’ai capté, tu ne me mettras pas dans la confidence.
Avant de filer dans la cuisine, elle se retourne et m’envoie un baiser du bout des doigts. Je l’interroge du regard pour essayer de comprendre ce que me vaut cette attention. Elle me fait un clin d'œil et dessine un cœur avec ses pouces et ses index. Ok j’ai compris, Léo l’a invité à sortir. Cool, je suis ravi pour tous les deux.
Pour patienter, je m’assois dans le fauteuil, ouvre le tiroir de la table basse, en sort la platine. En l'apercevant, je me revois enfant assis sur les genoux de Grandpa, dans le petit salon de Mezange. La musique emplissait l’espace, mes parents dansaient et Grandma chantonnait. Un frisson me parcourt en songeant à ce bonheur partagé. J’attrape la pochette de quarante cinq tours que m’a confiée Harry, saisit délicatement le manche et le dépose sur les sillons. Les premières notes me saisissent. La voix éraillée du chanteur Leonard Cohen m’embarque avec elle, comme s’il venait me parler au creux de l’oreille.
Si tu veux un amant
Je ferais tout ce que tu me demanderas
Et si tu veux un amour différent
Je porterai un masque pour toi
Si tu veux un partenaire
Prends ma main
Ou si tu préfères passer ta colère sur moi
Je suis là
Je suis ton homme
Emporté par les paroles, je ferme les yeux pour voyager au cœur de mes pensées, le visage de Manu remplit à son tour mon espace. J’ai l’impression qu’avec mes mains je pourrais en dessiner les contours pour finir par me perdre dans son regard.
— Zach, me dit une voix en me secouant légèrement. Tu t’es endormi.
Je soulève difficilement mes paupières, qui ose me sortir de ce merveilleux rêve ?
— Ça fait longtemps que je me suis assoupi ? demandé-je aux deux visages qui me sourient.
— Un petit quart d’heure, me répond Léa.
— Je suis vraiment désolé.
— T’inquiète tout va bien.
— Alors pour le cadeau ? Que fait-on ?
— Rien, me dit Maëva. On lui offrira à une autre occasion. Là, ce n’est pas le bon moment.
Je la regarde pour essayer de comprendre.
— Avec Lucas, les choses ne sont pas toujours simples, il a tendance à se fermer sur lui-même pour se protéger. Et ce soir, je pense que raisonnablement ce serait lui rappeller ses cauchemars.
En l’entendant prononcer le mot cauchemar à mon tour cela fait ressurgir des passages compliqués de ma vie.
— Ok, tu as raison. Je garde le paquet. Nous verrons ça à un autre moment, proposé-je.
— Oui et puis il commence à être tard, aussi je pense que nous allons tous nous éclipser, suggére Maëva.
— Mais avant on va t’aider à tout remettre en ordre, me propose Lucas qui apparaît à ce moment-là dans le salon.
— Allez, si on s’y met tous, en deux trois mouvements ce sera nickel, ni vu ni connu, l’inspecteur n’aura aucune empreinte à se mettre sous la dent, ajoute Noah toujours en grande forme.
Après avoir remis la cuisine en état, la vaisselle lavée, essuyée et rangée, nous terminons par le salon qui retrouve son allure d’un autre temps, la seule différence la poussière s’est envolée. Il est trois heures du matin quand je raccompagne la tribu vers la sortie. Ils repartent ensemble en direction de la bouche de métro. Léo prend la main de Léa avant de disparaître au coin de la rue. Noah porte sur son dos Rose. Je pense que cette soirée à été l’occasion pour quatre d’entre eux de se rapprocher tout simplement. Lucas se tient encore à mes côtés, je lui ai proposé de dormir sur le canapé convertible que j’ai dans ma chambre. À peine glissé sous la couette, il s’est endormi. J’éteins la lumière quand mon téléphone s’éclaire. Je n’ai pas le courage de me relever pour aller le consulter.
“Morphée doit t’envelopper de ses bras, je l’envie. En attendant je te partage mon lever du soleil sur Galway”.
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