Un soupçon de neige sur Montréal

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Une sirène me réveille, elle s’intensifie et perdure. Une alarme ? J’observe la pièce, je suis seul sous la couette. Un instant, je me demande si je n’ai pas rêvé de la journée d’hier. Pourtant, pas de doute, je me réveille dans un autre lit que le mien et dans un autre appartement que celui d’Harry. Je m’approche de la fenêtre, ouvre en grand pour percevoir d’où vient ce bruit répétitif. Le froid mordant me vivifie. Dans la rue, j'aperçois une voiture avec un gyrophare. Après son passage, le voisin de la maison d’en face sort en courant dans son pyjama. La scène est cocasse, il entre dans sa voiture et la change de place. Le break se gare derrière tous les autres véhicules dans la même allée. Un tracteur avec une lame arrive, il déplace la neige sur le côté libéré de toutes entraves. Il est suivi dans la foulée par une sorte d’aspirateur géant. Par chez nous, ce genre d'engins ramasse les feuilles mortes. Ici, il avale la neige et l'éjecte dans les camions benne qui l'accompagnent. Le cortège se met en route. En moins deux, la rue est ouverte à la circulation. Décidément, les ponts et chaussées canadien ont tout prévu et ne font rien comme les autres. À l’occasion, il faudra que je me renseigne sur ce mode de déneigement. Où stockent-ils la neige ? Que devient cet amas de poudre glacée. Après l’agitation, le quartier retrouve sa quiétude.

Le spectacle me charme toujours autant. La neige recouvre le paysage urbain d’un manteau épais. Les arbres ont revêtu leurs habits de gala. Les branches fines se sont parées d’une petite laine soyeuse. Les piétons déambulent avec grâce. Un père tire une luge où son petit installé sur l'embarcation en bois apprécie cette excursion matinale. Leur balade s’agrémente de rire. Un chien les accompagne dans leur expédition. Cette complicité entre les trois me projette dans mon passé. Je me demande si Anouch apprécie son nouveau cadre de vie dans le massif alpin. Avec mon père, elle doit fouler les chemins de randonnée dans les sapins. Je les imagine fouler avec joie le sol blanchi. Cette scène me rappelle comme l’un et l’autre me manquent. Je devrais appeler Joseph juste pour lui faire un petit coucou et m’assurer que tout va pour le mieux.

Le soleil fait son apparition, les petits éclats de diamants parsemés sur les bordures étincellent, ils tombent sous le charme des doux rayons. J’ai envie de caresser du bout des doigts la poudreuse et retomber en enfance pour fabriquer un bonhomme ou simplement me lancer à corps perdu dans une bataille de boules de neige. Pour mettre le nez dehors, mon caleçon et mon tee shirt ne me suffiront pas. Je descends l’escalier avec l’espoir de trouver Lucas assis dans le canapé. À ma grande déception, le bas du studio est aussi vide que les draps que je viens de quitter. J’attrape mes vêtements abandonnés sur une chaise et me dirige vers la salle de bain. Ici, tout rappelle sa présence sans qu’il n’y soit physiquement. Je tourne le robinet et me glisse sous l’eau chaude avec bonheur. Une pluie fine s’étale sur chaque partie de mon corps, sensation agréable. La buée envahit l’espace, dans cette brume mon âme rêveuse est à sa place. Les gouttes s’étalent sur chaque parcelle de ma peau qui se nourrit avec gourmandise de cette attention. J’attrape le gel douche, en dépose un peu au creux de ma main et m’amuse à les frotter pour voir la mousse lentement se former. Je souffle sur ce nuage aux effluves boisées avant de le passer énergiquement sur mes bras et mes jambes. Ma main s’attarde sur mon torse, là où Lucas est venu poser la sienne pour me calmer avant de m’endormir.

Je ferme les yeux, l’image de Manu s’entrechoque avec celle de Lucas. Un frisson dévale le long de mon corps et tout mon être s'emballe. Mes doigts glissent sur mon ventre, se perdent dans ma toison et saisissent mon sexe en érection. Est-ce le souvenir de l’un ou le désir de l’autre qui éveille mes sens ? Ma hampe s’épaissit dans ma paume, mon fantasme aussi. Lentement mes va-et-vient se font plus insistants. Je colle mon dos sur le carrelage et m’abandonne à ce plaisir solitaire. Lâche un soupir. Perdu dans le brouillard entre deux mondes, je n’ai pu résister à ce désir naissant dans le bas de mon ventre. Je ne sais pas si ce sont les souvenirs de nos nuits partagées avec Manu ou les quelques heures, allongé contre le corps chaud de Lucas qui ont eu raison de mon excitation. Pour l’heure, sentir mon sexe vibrer m’apporte un peu de légéreté. Je termine de me laver puis saisis l’éponge pour nettoyer le bac et effacer les traces de mon abandon. Je me sèche rapidement et jette la serviette dans la machine à laver. Je me rhabille et file dans la cuisine. J’ai toujours aussi soif.

Pendant que l’eau frémit, j’en profite pour remettre le salon en état en prenant soin de déposer les vieilles couvertures sur le canapé et la table basse et sourit en voyant le seau de peinture. J’attrape le rouleau qui traîne sur le coin de l’évier et décide de passer la seconde couche. Le contraste entre le mur blanc du fond et les trois autres pans de couleur vert prairie est saisissant. À chaque mouvement sur le mur, mon esprit voyage entre la France et le Canada. Depuis mon atterrissage mouvementé, mes journées ont été bien remplies et la soirée a été l’apothéose de cette fin de mois de novembre. J’essaie de remettre les morceaux du puzzle à leur place, sans réel succès. Je ne comprends pas comment j’ai pu passer des lèvres de Peter au bras de Lucas. Je me fais à nouveau des nœuds et comme m’a gentiment suggéré mon ami, cela ne sert à rien. Aussi une pause s’impose. Je recule pour vérifier que tout est en ordre et relance la bouilloire que j’avais oubliée.

Assis sur le tabouret de bar, j’observe le liquide dans mon mug. Dans le tourbillon initié par le sachet, j’imagine mon amie Léa lire dans les méandres du thé. Elle tente de me convaincre que nous pouvons faire confiance aux oracles. Avant de partir hier matin, elle m’a fait un tirage pour le week-end. D’après les cartes, je passerai de chouettes moments et j'obtiendrai des réponses à mes questions. Peut-être a-t-elle raison ? Après tout cela ne me coûte pas grand chose d’y croire. La soirée m’a confirmé que Peter et son frère avaient des choses à cacher, bien que je ne me souvienne pas de grand chose de ma virée dans l’appartement. Pour le moment sympa, m’endormir dans les bras de Lucas a été plaisant, un bon début. Le week-end est loin d’être terminé.

Je vais lui envoyer un message pour savoir si elle a avancé sur son projet d’article. Selon ses dires, elle trouvera tout ce dont elle a besoin chez ses parents pour écrire son papier. J’en profiterai pour lui parler de ma soirée et lui demander un ou deux conseils. Elle est attentive et me permet de me poser les bonnes questions. Je fouille dans les poches de mon blouson pour récupérer mon téléphone afin de la joindre. Il n’est pas là où je pensais l’avoir rangé. Je soulève le tissu de protection du canapé, au cas où il aurait glissé entre les coussins. Rien. Un flash me revient. Au cours de la soirée, je cherchais la salle de bain chez Peter pour me rafraîchir. Sur le parcours, j’ai glissé ma main dans ma poche arrière et à ce moment-là j’ai fait le même constat, mon portable n’était plus là. Pourtant, je suis sûr que je l’avais en partant de l’appartement de Lucas, puisque dans le métro j’ai consulté le message posté par Oliver. Je suis à la ramasse, j’ai failli oublier son invitation pour l'après-midi. Je zieute l’horloge du four et constate que j’ai moins de deux heures pour faire un saut à l’appartement du frère de Peter et rejoindre Oliver devant la boulangerie.

Je dois faire au plus vite, plus de temps à perdre jusqu’à ce que je découvre le mot de Lucas sur le plan de travail : “ Zach, je n’ai pas eu le courage de te réveiller, tu dormais si bien. D’ailleurs, tu souriais, ça m’a soulagé. Je t’ai laissé un sachet de sablés au citron que m’a confié Juju avant de partir chez son fils. Je les ai mis dans la boîte à côté du frigo. Tu peux garder les clés, elle m’a prêté son double. Cette fin de soirée a été rocambolesque, avec toi pas le temps de s’ennuyer. Je bosse tout le week-end mais si tu es partant, on peut se retrouver dimanche vers dix huit heures chez moi ou ailleurs, c’est toi qui vois. Envoie-moi un message. Au fait, j'ai mis dans ton sac, quelque chose qui pourra t’aider dans ton enquête. Et je voulais te remercier, m’endormir dans tes bras m’a permis de me sentir libre de rêver.

Je me précipite pour récupérer mon sac à dos et vide son contenu sur la table basse. Je constate ma bêtise. Désabusé. Je n’ai pas pris la peine de sortir mes affaires mouillées après la piscine. Bêta. Les notes prises pendant ma pause sont détrempées et illisibles. Stupide. Tant pis pour moi, je serai quitte pour les réécrire. Idiot. Je n’aurai pas pu y penser en arrivant, hier.

Entre le moment où nous avons aidé Juliette et celui où nous avons peint, j’aurai pu les sortir pour les étendre dans la salle de bain. Au lieu de ça, j’ai jeté mon sac dans un coin et ça m’est sorti de la tête. Dans mon bazar organisé, je ne trouve rien de plus. Décidément, je ne sais pas où j’ai laissé mon cerveau, dans le labo de chimie d’Alice ou dans un sachet d’Antelax ? J’ai oublié que j’avais deux sacs, aussi Lucas devait parler de la sacoche de mon ordinateur portable. Et il a bien fait de choisir celui-ci, sinon la preuve serait tombée à l’eau. Ahaha, tu es vraiment trop drôle Zach, lâché-je dans un soupir.

J’ouvre la poche extérieur, plonge la main et découvre une photo.

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