En route

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Je franchis la porte. Harry installé dans son petit salon, bouquine. La voix de Leonard Cohen envahit l’espace.

— Zach, tout va bien ? me demande-t-il en me voyant.

— Oui, je passais juste récupérer quelques affaires propres et je repars.

— Je vois que le planning de ton week-end est tendu, ajoute-t-il avec un sourire en coin. La soirée d’anniversaire était sympa ?

— On va dire qu’elle ne restera pas dans les anales.

— Oh parfois, on se trouve au mauvais endroit au mauvais moment, me dit-il sans lever les yeux de son livre.

— Et ta lecture intéressante ? enchaîné-je pour changer de sujet.

— Pas mal, même si je m’attendais à un peu plus d’actions, je suis déçu.

— Oh parfois, les intrigues sont montées à l’envers.

Nous nous regardons et éclatons de rire.

— Bon ok, j’ai compris, Jérémie t’a dit quelque chose de particulier ? lui demandé-je.

— Juste que tu t’étais encore mis dans une situation tordue.

— Pas aussi tordue que ton livre, dis-je en l’attrapant pour le remettre à l’endroit. Je suis sûr que tu te tenais prêt à intervenir si cela s’était avéré nécessaire.

— Possible, si je n’avais pas été sur une autre affaire en dehors de la ville, me dit-il navré avant d’ajouter, les mousquetaires sont arrivés à temps.

— Oui avant que Richelieu ne se mêle à l’affaire.

— Et tu as trouvé une perle dans l’écrin ?

— On va dire que l'huître s’est fermée avant que je mette la main dessus.

— C’est peut-être mieux ainsi, me dit-il avec un soupir.

J’apprécie notre joute verbale. Nous jouons avec les mots et les allusions pour garder nos indices encore un peu secrets, juste pour être sûr de leur véracité avant de faire tomber des accusations. Pour ma part, je ne sais pas plus de choses que j'en connaissais avant de me pointer dans cet appartement. Si ce n’est que Peter a accès à l’antelax. De quelle manière ? Le mystère reste entier. Est-il un dealer, un consommateur ou juste un intermédiaire ? Est-ce que son frère est le principal fournisseur ? Tous ces points restent flous.

— Qu’est-ce que tu as prévu pour le reste de ta journée ?

— Oliver m’a invité pour une balade à l’extérieur de la ville.

— Oliver ? demande-t-il surpris.

— Oui, je t’en ai parlé, le médecin qui a soigné mon orteil et avec qui je suis allé nagé hier.

— Tu le connais à peine.

— Je verrai bien, dis-je l’air confiant, il m’a proposé de dormir sur place au cas où les conditions climatiques se dégraderaient. Nous reprendrons la route demain dans la journée. De toute façon, en rentrant je dois passer voir Lucas, ajouté-je avec un sourire non dissimulé.

— Lui c’est un bon gamin, il m’a fait bonne impression.

J’adore quand il joue son rôle de père d’adoption, protecteur et soucieux de mon bien-être. Il s’intéresse à moi et à ce qui compose ma vie, une vraie marque de confiance. Avant de m’éclipser dans ma chambre, je laisse échapper une information qui pourrait lui être utile.

—Tu as raison, il y a bien un trafic d’Antelax. Je ne peux pas te confirmer qu’il est vendu dans l’enceinte de l’université. Une certitude, tous les jeunes présents à la soirée avaient accés à cette putain de merde.

— Zach, je sais ce que ça représente pour toi et ce que cela peut faire remonter en surface, me dit-il inquiet.

— J’en ai fumé un peu pour m’assurer que je ne faisais pas fausse route. Je peux te promettre que je ne porterai pas une seconde fois mes lèvres dessus.

— Je vais pourtant avoir besoin de toi.

Il a tout à coup l’air très sérieux, son regard plus sombre, ses rides sous les yeux plus marqués.

— Je ne comprends. Qu’attends-tu de moi ?

— Que tu remontes le trafic de l’intérieur, me dit-il la voix grave. Après, tu peux refuser. Prends le week-end pour y réfléchir.

Alors là, je suis sur le cul. Pour une fois, ce n’est pas moi qui me mets dans les emmerdes, on me demande de m’y jeter. Mener une enquête, commencer un travail d’investigation, sous le couvert de la police.

— C’est tout réfléchi, tu peux compter sur moi. Nous reparlerons des formalités lundi, si tu veux bien ?

— Parfait, de mon côté, je vais pêcher sur la glace avec des potes tout le week-end.

— Oh excellent. Tu me raconteras à ton retour.

Je regagne ma chambre, soulagé de savoir que l’inspecteur Harry s’accorde de temps à autre des pauses dans son emploi du temps surchargé.

**

Il est treize heures quand je sors de la rame de métro et scrute les alentours à la recherche d’Oliver. Je balaie l’espace de droite à gauche. Malgré les températures glaciales et la neige, la rue Sainte-Catherine s’anime. Dans moins de trois semaines, Noël frappera à la porte de toutes les boutiques, illuminera les rues et égayera les balcons. J’ai eu la chance de participer aux festivités d'Halloween. Ici on ne déroge pas avec cette fête anglo-saxonne même s’il est vrai que l’on parle bien plus le français que l’anglais dans les allées enneigées de Montréal.

Avec Léa, nous avons accompagné Léo et son petit frère dans la grande serre du jardin botanique. Ce lieu hors du commun accueillait pour l’occasion l'Ensorceleur Kalbacuis et son apprenti Pétiole, jeune sorcière en quête de sortilèges. En y repensant, elle avait des faux airs de notre Alice du pays des merveilles de la soirée d’hier. Heureusement, ses breuvages étaient moins toxiques. Nous avons croisé des créatures étranges aux doux noms de vargouilles ou charaignées . Nous avons déambulé dans les pas des citrouilles, traversé un tunnel inquiétant. Après avoir admiré l’Arbre Fantôme, nous avons suivi le cours d’ensorcellement végétal et fini par l’atelier des potions. Enfin surtout Max et moi, parce que si je me souviens bien à ce moment-là, Léa et Léo ont disparu par je ne sais quel tour de passe-passe. En fin d’après-midi, nous avons raccompagné le petit monstre chez ses parents pour qu’il profite de la soirée avec les potes de son âge. On avait oublié de me préciser que trop content de sa journée à mes côtés, Max a insisté pour que je les accompagne pour récolter des bonbons.

Perdu dans mes pensées, je n’ai pas vu arriver mon pilote du jour. Quand Oliver pose sa main sur mon épaule pour me ramener à la réalité, je fais un saut en arrière. Mon dos se plaque contre son torse. Il recule, surpris du rapprochement.

— Pardon Zach, je ne voulais pas t'effrayer, me dit-il en me regardant droit dans les yeux.

— Pas de soucis, j’ai cru un instant que le mannequin de la vitrine venait de prendre vie et m’attirait dans un guet-apens.

— En effet, je comprends que tu aies flippé.

— Il y a quinze jours, j’ai accompagné une bande de gosses de dix ans écumer les maisons aux allures terrifiantes et aujourd’hui j’imagine que mes cauchemars prennent vie.

— Ah je connais ce sentiment, me dit-il tout en m’indiquant de la main où il a garé sa voiture.

— Les gosses ou les cauchemars ? le questionné-je intrigué.

— On va dire les deux, j’ai joué au chaperon pour mes nièces de cinq et sept ans cette année. Je n’étais pas de garde et ma sœur m’a supplié de les accompagner. Elle est enceinte du troisième et approche du terme, cela n’aurait pas été prudent de la laisser voguer dans les rues. Mon beau-frère est militaire et en mission jusqu’à la fin de l’année, aussi je ne pouvais pas lui refuser cette faveur.

— Moi, je ne connaissais qu’un gosse au milieu des cinq autres. Ils m’en ont fait voir de toutes les couleurs. Le clou du spectacle, ce fut devant la vitrine d’une librairie. Je me suis ridiculisé. Je regardais la sélection de bouquins proposés pour l'occasion. J’étais tellement concentré que lorsque la Dame Blanche s'est métamorphosée à côté de moi, j’ai hurlé. Cela faisait écho à une histoire qu'un pote m’avait raconté cet été sous les étoiles.

Je marque une pause comme si à nouveau, j'étais happé dans une autre dimension. Je viens de décrire Manu comme si je parlais d’un pote, pourquoi n’ai-je pas dit mon petit copain ?

— Tout va bien Zach ? me demande Oliver, s'inquiétant de mon absence passagère.

— Oui. C’est juste. Laisse tomber, sans importance. En tout cas, pour en revenir à cette soirée, les petits eux étaient morts de rire. En y repensant, je me suis bien éclaté.

— Quel costume as-tu revêtu pour effrayer les autochtones ? me demande-t-il pour détendre l’atmosphère.

J’attrape mon portable et lui montre une photo prise par Léa. Elle avait réussi à me fabriquer un costume avec les pièces trouvées dans le coffre du grenier chez les parents de Léo. Quand je fus prêt après quelques retouches, ma vision dans le miroir me fit penser à l'acteur de Twilight. Max trépignait à mes côtés, Léa me mitraillait sous toutes les coutures, Léo, lui, était plié en deux et se réjouissait de ne pas être pour une fois le chaperon de son petit frère. J’ai accepté de bonne grâce. À choisir entre tenir la chandelle ou piller les familles du voisinage, j'ai accepté le second deal. Je suis bien trop content de voir mes deux amis si proches.

— La tenue de loup garou te sied à merveille, me dit Oliver en souriant.

— Arrête de me charrier et dis-moi plutôt où tu m'emmènes, demandé-je en posant mon sac sur le siège arrière.

— Saint-Hippolyte, chez mon grand frère Luc. Tu verras le coin vaut le détour. Tu aimes les chiens ?

— Les chiens ?

— Non, ne me dis pas que tu es allergique ou phobique ?

— Tu rigoles, au contraire je les adore tout autant qu’ils m’aiment. J’ai laissé ma chienne Anouchka en France, aussi je t’avoue qu’un moment entouré de boules de poil me réconfortera.

— Alors, tu ne vas pas être déçu. Mon frère est éleveur et passionné des grands espaces. Avec sa compagne, ils ont repris une activité en pleine nature, il y a deux ans. Il développe la randonnée avec des chiens de traîneaux. Je me suis dit que ce type de balade serait plus approprié et moins contraignant avec ta blessure. Au départ, j’avais pensé à une sortie en raquettes ou du ski de fond, mais pour le coup la virée aurait été tout sauf raisonnable.

— Je trouve le projet super intéressant et te remercie de l’invitation. Après tout, on se connaît à peine, dis-je gêné.

— Je ne sais pas comment l’expliquer, tu m’as fait bonne impression et il ne me semble pas que je parte avec un mec chelou.

— Je ne voudrais pas te faire mentir. Parfois à mes côtés, les emmerdes surgissent sans prévenir.

— Je prends le risque. Nous avons plus d’une heure de route, nous pourrons faire plus ample connaissance, me propose-t-il en démarrant le moteur.

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