Un emploi du temps de ministre (1)

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* Dix heures quarante-cinq,

Pas de temps à perdre, profiter d'une pause de dix minutes entre deux cours pour établir une liste des choses essentielles à mettre en place avant la fin de journée.

Point numéro un, envoyer un message à mon équipe pour leur donner un rendez-vous de travail dans les plus brefs délais. Être concis et précis afin de ne pas les égarer avant d’avoir commencé. Une bonne idée pour ne pas me laisser déborder, en grand spécialiste que je suis. Petit, mes parents m’ont surveillé comme le lait sur le feu. Rêveur et curieux, maintes fois je me suis écarté du chemin balisé pour suivre les traces de pas qui m’intriguaient. Je leur ai fait de belles frayeurs, de la simple écorchure ou bras cassé. Prudents, pour mon entrée au collège, ils se sont ligués pour conjurer le sort. Mon père, le premier, m'a confié une boussole pour que je ne perde jamais le nord. Là où mes potes se vantaient d'avoir eu un téléphone portable, de mon côté je me suis bien gardé de leur dévoiler mon trésor. Je me souviens de ma tête au seuil du bâtiment, entre surprise et joie. Mon père ne m'avait pas laissé le choix et accompagné pour mon premier jour, quelque part je ne l’en avais pas dissuadé. Nous avions étudié le trajet pendant l’été, pourtant je choisissais toujours les sentiers de traverse. Le résultat fut sans appel, je couvrais la distance en trois plus de temps qu’il n’en fallait. Était-ce dû au départ de mon meilleur ami ou à ma façon refusais-je de grandir ? Joseph ajouta au geste un mot plein de tendresse : “ Zach, mon grand, il est temps pour toi de découvrir le monde, de tracer ton chemin, aussi en bon aventurier tu dois avoir à portée de main ce petit rien”. À sa façon, il voulait me permettre d’avancer dans la vie, depuis, elle ne me quitte jamais. Ma mère, plus discrète, m’offrit une gourmette en argent dans laquelle elle avait fait ajouter une plaque gravée d’une étoile polaire entrelacée d’un cœur de lune.

Tout en effleurant ses contours du bout des doigts, je consulte nos emplois du temps respectifs de la semaine et constate qu’il va être difficile de nous dégager un espace de travail commun. D'où mon deuxième point à résoudre et le plus urgent, retourner sur mes pas pour solliciter les conseils de Monsieur Asselin. Mes doigts martèlent la porte entrouverte, un “entrez” lointain me répond. Assis derrière son bureau, l'homme, une tasse de thé à la main, écoute la radio.

  • Zach, en quoi puis-je vous être utile ? me demande-t-il en voyant le bout du nez.
  • Pardon, je ne voulais pas vous déranger.
  • Un souci ? insiste-t-il en me proposant de prendre place sur un siège.
  • Disons un problème technique, au vu de la mission que vous m’avez confiée.
  • En quoi puis-je vous aider ?
  • En me libérant du temps.
  • Vous êtes plutôt direct, dites-moi jeune homme.
  • Alors ce serait ok pour vous ? tenté-je en acceptant la tasse qu’il me tend.
  • Soyez plus précis, je manque d'éléments concrets pour valider votre demande.
  • Je voudrais exploiter une de nos heures de cours pour nos recherches.
  • Avez-vous réfléchi en amont à celle qui vous conviendrait ?
  • Je pensais à celle d’informatique que nous avons tous les jours avant midi. De cette façon, nous pourrions cumuler ce temps de travail avec celui de notre pause repas.
  • Voilà une proposition fort réfléchie et qui confirme que mon choix était le bon, vous êtes un élément des plus prometteurs, ajoute-t-il avec un regard complice. Je valide et vous mets à disposition une salle annexe afin que vous puissiez avoir accès à des ordinateurs. Je me charge d’avertir mon collègue de cet aménagement dans vos emplois du temps.

Je le remercie vivement et prends congés. À peine suis-je sorti de la salle, des notes de jazz envahissent la pièce. Le rythme ne m’est pas inconnu, mais je n’arrive pas à trouver le titre du morceau. Je reprends le chemin de mon prochain cours en sifflotant dans les couloirs. En quelques minutes, j’ai coché deux cases : accès à une salle de rédaction dans l’enceinte de l’université, une vraie aubaine et une heure nous sera allouée pour nos réunions, chance, pur hasard, peu d’importance, l’essentiel est de pouvoir bosser dans les meilleures conditions.

Point suivant, établir un QG en dehors d’UQAM, afin de nous retrouver loin de regards indiscrets et des oreilles trop curieuses. Sur ce point précis, Evan a raison, notre enquête se passe dans les murs où nous étudions et nous nous devons de ne négliger aucun détail. et choisir un lieu où nous pourrons nous sentir en sécurité. Pas question de me laisser intimider par les menaces, ni de leur donner trop d’importance cependant nous devons nous montrer prudent. Je n'ai pas d’idée précise sur l’endroit qui accueillera la team en dehors des cours. Je me garde la possibilité de le choisir en concertation avec tous les membres lors de notre première réunion. Toutes les propositions seront les bienvenues. Écouter et déléguer sont des qualités nécessaires pour que notre entreprise ne soit pas vouée à l'échec au moindre accroc.

* Onze heures,

Pas le temps de cogiter plus, l’heure d’informatique commence. Autant écouter avec attention notre enseignant puisque par la suite nous serons exempts de son cours. Monsieur Asselin, en homme de parole, a transmis l’information et le prof me garantit que nous aurons accès au contenu pour ne pas prendre de retard dans nos études. Les formalités établies, le cours débute. Son contenu porte sur l’utilisation de Google. Il nous instruit sur les subtilités de ce puissant moteur de recherche et comment en tirer parti au mieux. Tout ceci nous permettra de gagner un temps colossal. Dans ce domaine, j’ai le privilège d’avoir un allié précieux à mes côtés. Si nécessaire Jérémie sera là pour m'épauler. S’il y en a un qui si connaît, c’est bien lui aussi ne jamais se priver des ressources à notre disposition.

Nouvel alinéa, créer une boîte mail commune aux membres de l'équipe dans laquelle nous stockerons nos données. De mon bureau, j'observe discrètement Tim, Richard et Clovis et constate qu’ils se connaissent. Des éclats de rire fusent. Après un rappel à l’ordre du professeur, ils se remettent au boulot. Au même moment, Léa, pose sa main sur mon épaule me faisant sursauter.

  • Dis, il serait temps que tu me lâches des informations sur la suite des opérations.
  • Tu réalises que nous allons nous jeter dans la gueule du loup ?
  • Et alors, le petit chaperon rouge n’a peur de rien, me taquine-t-elle, le prédateur n’aura qu'à bien se tenir. Puis avec toi à mes côtés, je ne risque rien.
  • Tu as conscience que je n'ai pas de super pouvoirs ?
  • Ah bon, je croyais, me répond-elle avec un large sourire avant d’enchaîner, tu n’es pas notre Zackouchoupinou ?

Il y avait si longtemps que l’on ne m’avait pas affublé de ce petit nom. La fourbe, elle se sert de mon point faible pour m’attendrir. Et comme un idiot, je tombe dans le panneau. Elle a la mémoire vive, encore un point fort pour mon amie.

* Midi sonne,

Des gargouillis résonnent dans mon estomac. Mon ventre crie famine et n’aide pas mon esprit à se concentrer. Je m’approche de Tim avant qu’il ne file rejoindre ses potes.

  • Pourquoi avoir accepté mon deal ? demandé-je, l’air de rien.
  • Juste pour me rendre utile, répondit-il de la même façon.
  • Et plus précisément ? insisté-je avec l’espoir de ne pas me fourvoyer.
  • Disons que pour une fois, je ne suis pas la cinquième roue du carrosse que l’on choisit par défaut.
  • C’est quand même un peu ce qui s’est passé, non ? avoué-je navré.
  • Ah bon, mince, moi qui pensais que tu m’avais choisi pour mon humour.
  • Pourquoi pas après tout, un peu de légèreté ne fera pas de mal dans notre enquête.
  • Zach, ne te prends pas la tête, je suis content d’être dans la team et mes deux potes aussi je peux te le garantir, confirme-t-il en me tendant la main pour sceller notre union.
  • Demain réunion à onze heure dans la salle annexe, pour notre premier brainstorming.
  • Parfait, c’est noté. De mon côté, je me charge de prévenir Clovis et Richard, tu peux compter sur nous, ils ne te décevront pas. Encore merci de ta confiance, lance-t-il avant de disparaître.

J’espère qu’ils seront tout aussi enthousiastes quand je leur annoncerai le sujet de nos investigations. Il va nous falloir un peu de temps pour prendre nos marques et apprendre à nous connaître. Maintenant, il ne me reste qu’à convaincre Evan et pour son cas, la tâche va s’avérer rude.

Avant de me lancer à corps perdu dans mon rôle de rédacteur en chef, je me dois de vérifier les installations mises à notre disposition. Je veux m’assurer que la pièce sera adaptée pour bosser dans les meilleures conditions. Avec Léa, nous entrons dans la salle. Pour la première fois depuis que nous nous connaissons, mon amie reste sans voix, une lueur de défi brillant dans ses yeux. Certains journalistes envieraient cet open space. Nous découvrons six bureaux individuels équipés d'ordinateurs flambants neufs. Derrière un paravent, un espace détente pourra nous accueillir pour la pause repas. Deux canapés encadrent une table basse et sur une étagère une cafetière accompagnée de sa bouilloire. Pour finir, la zone névralgique, une table ronde fait face à un immense tableau blanc. Je me vois déjà épingler toutes les pistes à explorer sur des post-it, échanger, débattre avec les membres de mon équipe. Monsieur Asselin ne s'est pas moqué de nous et nous offre la plus belle des opportunités pour des journalistes en culotte courte prêts à enfiler un costume qui j’espère ne sera pas trop grand.

Après l’exploration des lieux, avec Léa, nous arrivons au café de Jacques avec un bon quart d’heure de retard. Le restaurant est pris d’assaut par les étudiants affamés, l’hiver ne permet plus d’investir la terrasse extérieure. Mon regard balaie l’espace à la recherche de nos amis quand je perçois une voix familière dans le brouhaha. Un rire franc et sonore m’appelle, un vrai guide dans un brouillard épais. Petite note, toujours avoir un Noah avec soi en cas de tempête.

  • Nous commencions à nous inquiéter, nous allions faire appel à la police montée pour se lancer à votre recherche, balance Noah tout en tirant la chaise pour que je prenne place.
  • Zach tout seul, pourquoi pas mais avec Léa à ses côtés, impossible de se perdre, ajoute Léo ravi de retrouver les lèvres de sa bien-aimée.
  • Alors ce week-end au grand air ? me demande Rose avec un clin d'œil.
  • Sympa, mes premières aurores boréales, une balade en chien de traîneau et de belles rencontres, une vraie bouffée d'oxygène, précisé-je sans rentrer dans les détails.
  • Et le piment dans tout ça ? insiste Noah.
  • Les hockeyeurs ont failli se faire sortir, mangés par les autrichiens, tenté-je pour détourner le sujet sur une piste moins glissante.
  • Bien joué mon pote mais le sujet n’est pas là.
  • Disons qu’il y a la partie de l’iceberg que tu vois au loin et celle qui erre dans les profondeurs, essayé-je pour arrondir les angles.
  • Oui et le Titanic, poursuit Rose qui reste raccord avec son petit copain, du coup rassure-nous tu n’as pas sombré.
  • Non, j’avais deux bouées de sauvetage arrimées de chaque côté, aussi aucun risque.

Lucas arrive au même moment avec nos commandes, coupant court à la conversation. Il ne travaille pas les midis mais pour soulager ses collègues, en bon serveur il a pris les choses en main. Son assurance et sa maîtrise contrastent avec les moments que nous avons partagés cette nuit. Je suis heureux de voir comment il prend les choses à bras le corps pour avancer. Je profite de ne plus être le centre d’intérêt pour consulter mes messages. Le premier est d’Oliver : “ Merci à vous deux pour cette nuit au calme, cela faisait une éternité que je n’avais pas aussi bien dormi. J’ai deux grosses journées à venir. J’ai pu inverser mon tour de garde de nuit de mercredi aussi je pourrais vous rejoindre pour la soirée -activez nos mémoires chez Juju-, je lui ai promis ce matin en partageant les viennoiseries que vous avez achetées. Bon courage Zach et regarde où tu mets les pieds”. Je prends deux minutes pour répondre à mon tour “ J’essaierai d’être prudent, bon courage à toi.” Le second affiche un numéro inconnu “Si tu es toujours partant pour une bière, voici l'adresse où tu pourras me trouver à dix sept heures pétante, à dix sept heures trois je ne serai plus là. Et à la question, comment j’ai obtenu ton numéro ? Ne cherche pas midi à quatorze heure, Monsieur Asselin me l’a filé. Evan.”

  • Tout va bien ? s’enquiert Lucas qui à son tour à pris place à table.
  • Oui, la matinée a été speed, soupiré-je, et la journée n’est pas finie.
  • Tu as besoin d’un coup de main, me propose-t-il sans me quitter des yeux.
  • Possible qu’il me faille une épaule pour me confier, chuchoté-je, et un conseil ou deux.
  • Eh les messes basses c’est pour le confessionnal, balance Noah dans notre direction.
  • Laisse-les tranquille, suggère Rose en le bousculant.
  • Aïe, pourquoi tant de violence dans un corps si sublime ? rouspète-t-il
  • Embrasse-moi idiot.

Ces deux-là sont faits pour être ensemble, avec leur tempérament de feu et sans filtre, il y a des étincelles à tous les étages, sans pour autant que l’incendie ravage leur couple. Lucas profite de cette diversion pour s’éclipser après m’avoir expliqué la route à suivre pour mon rendez-vous de fin d’après-midi. Alexis et Maëva à leur tour quittent la table prétextant avoir un truc à faire avant la reprise des cours. Noah se garde de tout commentaire et propose de nous offrir un café pour se faire pardonner de ses taquineries. Léo l’accompagne pour ne pas laisser son pote en galère avec son plateau. Je me retrouve en tête à tête avec Léa et Rose et je sens une connivence dans leur regard. Que manigancent-elles ?

  • Zach, tu serais partant ? me demande Rose avec une lueur dans les yeux que je ne connais que trop bien.
  • Pour ?
  • Me servir de modèle pour mon premier défilé, ajoute-t-elle avec un sourire jusqu’aux oreilles.
  • Quoi ?
  • Oui, il me faut cinq gars.
  • Pour ? insisté-je en sentant le plan pourri.
  • Le bal de Noël nous sert de support pour nos premières créations.
  • Ah, soufflé-je.
  • Tu ne peux pas refuser, Noah, Léo et Alexis ont déjà accepté, précise-t-elle avec enthousiasme.
  • Oui mais il en manquera toujours un si j’accepte.
  • C’est justement là que j’ai besoin de ton aide, avoue-t-elle avec malice.
  • Et comment ?
  • Je voudrais que tu proposes à Lucas de se joindre à nous.
  • Pourquoi moi ?
  • Parce qu’à toi il ne refuse rien, répondent en simultané mes amies.

Non mais je rêve, je viens de me faire avoir comme un bleu. Elles ont bien calculé leur coup ou mon visage qui rougit, me trahit tout simplement ? Je reste persuadé qu’elles auraient pu demander directement à l’intéressé. Lucas aurait hésité mais pour le groupe d’amis que nous formons, il aurait dit amen.

  • Alors tu veux bien ? insiste Rose en me prenant le bras.
  • Comment pourrais-je refuser une telle invitation ?
  • Super, merci, s’écrie-t-elle en posant un baiser sur ma joue et faisant se retourner la moitié du restaurant.
  • Que se passe-t-il ? s’inquiète Léo de retour avec une partie des commandes.
  • Zach a dit oui pour le défilé.
  • Mon pauvre, bienvenu au club, se lamente Noah.
  • Dis donc, n’exagère pas, s’emporte Rose manquant de renverser les tasses de cafés posées sur le plateau, tu as accepté sans rechigner quand je te l’ai proposé.
  • Disons que dans la position où j’étais, difficile de te dire non.
  • Ok, on ne veut pas connaître les détails de la négociation, éclaté-je de rire.

Nous terminons notre repas avec les zygomatiques bien tendus. Nous avons encore passé un chouette moment de partage. Ils sont tous attachants, j’apprécie de les avoir à mes côtés jour après jour et de savoir que je peux compter sur eux. Chacun retourne à ses occupations prêt à en découdre avec son emploi du temps de ministre et la journée est loin d’être terminée.

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