Les soirées bien occupées d’un étudiant (1ère partie)
La semaine défile à toute vitesse. Entre les prémices de l’enquête et les cours, difficile de trouver une minute pour se poser. La nuit serait un espace idéal pour déconnecter mon cerveau. Plus facile à dire qu’à faire. Il est rare que je retrouve le moelleux de ma couette avant minuit. Chaque espace temps correspond à une denrée exploitée jusqu’à plus faim. Est-ce que pour autant je m’en plains ? Pas vraiment parce qu’au final, je préfère ce trop plein de petit bonheur partagé au vide absolu. Mes journées se découpent en trois parties, une vraie dissertation pour un étudiant en mal de pays. L’introduction se résumerait en peu de mots, un petit déjeuner avec les ingrédients essentiels pour commencer bon pied bon œil. Harry en hôte parfait, chaque matin me laisse tout prêt, comme s’il savait que la conclusion de la veille avait été minimaliste, pas par manque d’arguments, juste par absence de courage. J’ai horeur de bâcler pourtant le sommeil m’emporte à peine ai-je glisser dans les draps. Entre ces deux parties, j’ai largement de quoi développer. La journée à l’université est dense, le nouveau projet me demande un surplus d’énergie. Puis arrivent les instants essentiels, ceux dans lesquels je puise ma force, les fins de journée.
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Celle réservée aux meilleurs amis,
Mardi soir, nous nous retrouvons chez les uns et les autres en fonction des disponibilités et des envies. Nous nous laissons porter, sans prise de tête. Pourquoi ? Mystère. Un lien invisible nous unis. Tout se met en place avec tant de naturel. Cette semaine, le point de chute fut le studio de Charlotte et Caroline, à quelques encablures de l’université. Nous mêlons dans cet espace temps, boulot et détente. Nous débarquons aux alentours de dix-sept heures, de vrais gosses, nostalgiques des quatre heures partagé avec les potes de récré. À quinze jours de Noël, les douceurs ont pris des notes de pain d’épices et de mélisse. Charlotte, pâtissière en formation, nous a confectionné des queues de castor. Les beignets étaient un régal pour les morfales.
Caroline a proposé de jouer aux apprentis lutins pour patienter jusqu’au vingt-cinq décembre. L’idée fut votée à l’unanimité. Le tirage au sort avait lieu le mardi et nous avions une semaine pour trouver une super idée de mini cadeau. Ce moment me rappelle le calendrier de l'avent confectionné par mon grand-père. À l’aube de mes trois ans, au petit matin, un chalet en bois m'attendait sur le buffet. Les jours qui suivirent, je me précipitai pour découvrir ce que le petit bonhomme vert m’avait laissé. Connaissant grandma, elle a dû conserver cet ouvrage dans un coin de l’atelier. La semaine dernière, quand Noah a ouvert le paquet de son ami Léo, ses yeux se sont écarquillés. Je suspecte Rose d’avoir donné un coup de pouce dans le choix du cadeau. En repensant à la scène, nous avons eu un avant goût de ce qui nous attendra lors du défilé pour le gala de charité de Noël. Le kilt s’avère des plus seyants. Comme nous pouvions nous en douter, Noah nous a confirmé qu’il le porterait de façon traditionnelle. Heureusement pour nous, personne n’a proposé qu’il nous en apporte la preuve.
Ce mardi, ce fut à mon tour de trouver une idée géniale pour Noah. Il m'était difficile de rivaliser aussi j’ai préféré rester plus sobre. Avec sa forme particulière et son ancrage dans un support en bois, le verre à bière kwak m’a semblé approprié. Depuis le début de l’année, Noah me charrie et me défie en pariant sur tout un tas de choses, dont ma maladresse, quoi de plus pratique qu’un “verre à cocher”. Jusqu’à présent, il a perdu à chaque fois, pourtant, je suis un bon client. J’espère qu’il appréciera le clin d'œil. Connaissant le bonhomme, je n’en doute pas une seconde. J’ai acheté une bouteille de bière pour compléter, une façon de remettre les compteurs à zéro.
Après notre collation, chacun se met au boulot. L’espace des scientifiques est le plus calme. Plongés le nez dans leur recherche Noah, Alexis, Léo, Lucas et Maëva rentrent dans leur bulle. Le contraste est saisissant entre l'avant et l’après. Comme si le temps s’arrêtait dès qu’ils plongeaient dans leur monde d'expérience et d’analyse. Même Noah se montre des plus sérieux. Charlotte, Caroline et Rose se mettent à l’écart pour ne pas les déranger par leurs bavardages. Il ne faudrait pas croire qu’elles se la coulent douce, bien au contraire. Leur tempérament de feu et leur enthousiasme multiplient les bonnes occasions de fou rire. Trois artistes passionnées se livrent leur astuce et débattent sur tout un tas de sujets variés.
De notre côté avec Léa, nous sommes entre les deux courants, les scientifiques sur la table ronde de la cuisine, les créatrices dans l'alcôve et nous sur le canapé, assis en tailleur, nos ordinateurs sur les genoux. Il faut avouer que Léa a choisi cet espace dès la première semaine pour pouvoir mater Léo en toute discrétion. À présent, ce point névralgique permet à mon amie d'échanger des regards plus appuyés. Noah ne se gène pas pour frotter la tête de son pote quand il le chope en flagrant délit de drague, sous le regard amusé de Léa qui tire la langue en retour. Nous aurions pu profiter de cet espace pour établir les bases de notre nouveau dossier, avancer sur nos recherches respectives, mais nous devions rendre un article sur les sujets imposés de la semaine passée. Nous nous devions de les finaliser. Après une relecture personnelle de notre écrit, nous avons échangé nos ordinateurs. Chacun de nous joue à Sherlock pour souligner des zones qui nous interpellent et apporter des corrections. Notre complémentarité et ce regard critique nous permettent de peaufiner nos textes. Depuis le premier jour, nous rendons des copies qui ne laissent pas de place à l’approximation. Je suis soulagé de pouvoir enfin mettre le point final sur cet article sur le bleuet du lac St Jean. L’aide précieuse de Grandma, Valentine, Juliette m’ont facilité la vie ainsi que mes passages réguliers à la bibliothèque universitaire.
À vingt heures, une première pause s’impose. Nous déposons nos crayons, pour faire place à la récréation. Chacun s'attelle à sa tâche, les préparatifs du repas se font toujours dans la bonne humeur et en musique. D’une semaine à l’autre, les rôles sont différents. Au menu de ce mardi, une soupe. Charlotte et Caroline l’ont préparée en amont. Les discussions s’enchaînent, les échanges fusent. La seule consigne, ne pas parler des cours sauf s’il faut venir au secours de l’un d’entre-nous. Avec Léa, nous aurions pu exposer notre situation, mais d’un commun accord, nous avons préféré nous taire. Après avoir sustenter nos estomacs affamés et libérés nos cerveaux en surchauffe, nous entamons une seconde partie studieuse, synonyme de collaboration.
Nous composons des groupes en mêlant nos spécialités. J’apprécie cette étape ludique et sympathique. Jeux de questions réponses, de mémoire ou de répétitions, chaque technique est mise à notre disposition. Pendant deux heures, les neurones sont à la fête. Le sens logique se mêle au sens pratique ou pragmatique. Après deux mardis intensifs, happés par le temps, nous avons programmé un minuteur, sinon nous aurions cumulé un nombre incalculable de nuit blanche.
Quand vingt-trois heures sonnent, nous remballons nos affaires et regagnons nos pénates fourbus mais heureux d’avoir partagé un moment de complicité. Noah a validé mon choix et m’a donné rendez-vous pour goûter la bière un des soirs de la semaine prochaine. Rose, en charge de ma surprise, m'a offert des lunettes de piscine et un bonnet de bain avec des étoiles de mer. Je ne passerai pas inaperçu. J’imagine sans mal la tête des potes d’Oliver et leur sourire en coin. Avant de franchir le seuil de la porte, chacun part avec son enveloppe. Le prochain sur ma liste sera Alexis.
Ainsi la seconde soirée de la semaine se conclut, plus légère que celle de la veille. Je regagne ma chambre, file sous une douche bien chaude avant de glisser sous ma couette. Les températures extérieures se sont stabilisées aux alentours de moins dix degrés, la neige a recouvert la ville de son doux manteau blanc. J’admire le ciel au travers de la fenêtre du toit et m’endors aussitôt.
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Celle accordée à une mamie en or,
Avec Lucas et Oliver, d'un commun accord, nous avons décidé de passer notre mercredi soir avec Juju. Le jour des enfants, nous l’avons transformé avec joie en soirée chez mamie. Pour ma part, j'apprécie de discuter avec cette femme à l’enthousiasme débordant. Je suis le premier sur place. Oliver et Lucas m'ont prévenu qu'il terminerait leur boulot respectif vers dix-neuf heures. L'étudiant en science accumule sa journée de cours avec ses extras chez Jacques. Le futur médecin de son côté enchaîne dix heures consécutives dans son service.
Devant la porte, une boule de poil m'attend. Je la prends dans mes bras. Le visage suivant qui m’accueille est un vrai rayon de soleil au cœur de la nuit précoce. Son regard chaleureux me réchauffe du froid plus féroce. Un vent glacial s'est levé aux premières heures du petit matin. Les ronrons de Casper font écho aux doux mots de Juliette. Mon hôtesse accompagne ses paroles d’un thé aux saveurs de cannelle. Comment ne pas fondre ? Le chat n’a pas quitté mes jambes et mes doigts se baladent dans ses longs poils d’hiver. Anouch me manque tellement.
Après un moment détente étalé sur le canapé à bavarder, j’accompagne Juju en cuisine. Malgré ses protestations, j’ai bien l’intention de l’aider aux fourneaux et de jouer le rôle du commis. Hors de questions de rester à flemmarder auprès du poêle à bois pendant que notre amie s’active. J’abandonne le minou dans le panier en osier, il soulève un œil et se rendort aussitôt. Ah quelle vie de chat ! J’assure la corvée d'épluchage des oignons, une larme s'échappe puis une autre. Quelle plaie ce tubercule ! Au repas de ce soir, spaghetti à la bolognaise. Juju a sorti le cahier de recette de son mari et suit scrupuleusement le déroulé. Elle me confie qu’il était chef dans son restaurant et le maître des petits plats à la maison. Refaire ses recettes chaque jour permet de garder le lien entre eux où qu’il soit. L’odeur qui se dégage de la marmite est délicieuse et je suis persuadée qu’il serait fier de ce qu’elle accomplit.
Lucas est le suivant à se présenter après un détour par son studio pour se doucher et enlever l’odeur de friture qui l’enveloppe à chaque fois qu’il est chargé de préparer les poutines. Oliver se pointe à son tour, il a son air des mauvais jours, les traits tirés et les yeux cernés. Le mercredi, en poste aux urgences, il arpente les couloirs de long en large sans relâche. Son visage est un livre ouvert, comme si chaque patient avait puisé dans ses batteries. Nous allons devoir y remédier à notre façon.
Après un repas copieux où les anecdotes sur les fêtes de fin d'année ont eu la part belle, nous faisons table rase pour étaler les lettres d’un Mixmo. Oliver au sommet de sa forme nous bat à plat de couture. Lucas ne s’en laisse pas compter et, sur la partie de Rummikub, se montre intraitable. Avec Juju, nous décidons de nous unir sur le dernier jeu pour leur clouer le bec. Cette entreprise fut un vrai succès, notre duo performant au Time’s Up ne leur a laissé aucune chance et a occasionné une myriade de fous rires.
Avec Oliver, nous sommes restés dormir chez Lucas. Il faut dire que la soirée fut tellement sympathique que lorsque minuit sonna, le carrosse du médecin dormait sous une bonne couche de neige. De mon côté, je n’avais aucune envie de prendre le métro pour rentrer et affronter les températures polaires. Harry m'avait prévenu le matin qu’il ne rentrerait pas avant le lever du jour. Prévoyant, j’avais anticipé et préparé mes affaires de cours pour le lendemain. Je savais que Lucas ne me refuserait pas l’hospitalité.
Nous avons retrouvé le clic clac qui nous avait accueilli le week-end précédent. Ce canapé nous offrait à sa façon une terre d’asile à laquelle nous confions des bribes de nos histoires. Lucas nous raconta avec tendresse comment sa sœur avait comblé sa vie. Il en parlait avant tant d'amour que ses bégaiements s’effacaient à chaque souvenir qu'il étalait. Quand vint le tour d'Oliver de confier des instantanés partagés avec son frère et sa sœur, la même émotion le gagna. Pour ma part, je ne regrettais pas mon statut d’enfant unique parce que mes amis remplissaient cet espace libre. J’avais un frère de cœur en la personne de Jérémie. Le lien qui nous unissait est tout aussi fort que celui du sang.
Éreintés, nous nous sommes écroulés les uns après les autres. Oliver le premier, blotti contre mon épaule, a laissé échapper un soupir avant de s’endormir. Lucas l’a suivi quelques respirations plus tard, abandonnant son bras sur mon abdomen. Calé au chaud, bercé par leurs battements de cœur, j’ai sombré dans un sommeil profond avec le sentiment d'être au seul endroit où je voulais être en cette nuit.
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Celle pour les imprévus.
Le quatrième jour de la semaine est off. En principe, je rentre à la maison après un crochet par le restaurant de Jacques. Avec Lucas, nous travaillons sur nos cours avant le rush. De son côté, il prépare son examen de fin d’année pour valider son semestre de biochimie reliée aux questions environnementales. Je me demande comment il arrive à concilier le tout. Pour ma part, je furète dans les archives des anciens élèves, afin de déterminer les liens éventuels entre la disparition du potentiel dealer mentionné par Evan et Peter. En fouillant dans les dossiers mis à ma disposition gracieusement par l’administration, mon regard est interpellé par un article relatant la mort d’un élève prometteur, Dylan. Aussitôt, je reprends mes notes et affine ma lecture. Je constate que l’étudiant en maîtrise biochimie faisait des recherches sur un produit dérivé du cannabis en collaboration avec son professeur de l’époque dont le nom n'apparaît nulle part. J’extrait les textes et les enregistre dans un onglet pour les potasser en rentrant.
Dix-huit heures trente sonne et nous rappelle que pour mon ami, il est temps d’enfiler son tablier. Nous rangeons nos ordinateurs et cahiers. Avant de m’éclipser, je l’aide en salle en dressant les tables. Je suis dans les petits papiers du patron qui apprécie mon coup de main et me gratifie d'un repas à l'œil pour l’occasion. Petit à petit, l’effervescence grandit. Un menu spécial est à la carte, le jeudi soir. Le restaurant ne désemplit pas, l'ambiance est plutôt bonne enfant. Après leur collation, les groupes de jeunes fileront faire la fête dans le quartier Latin où se trouvent les différents clubs. Je fais un crochet par le comptoir pour remercier Jacques et prévenir Lucas de mon départ. Il me fait promettre de rester sur mes gardes et me serre dans ses bras. Son souffle dans mon cou dépose un doux frisson sur mon épiderme. Avant que je n’ai pu dire quoi que ce soit, Lucas a repris son service.
Comment rester insensible à son contact ? Pourquoi se priver de ces attentions ? Dois-je voir dans ces gestes une demande silencieuse ? Les questions se bousculent. Je suis heureux de sentir mon corps vibrer prêt à s’abandonner. Pourquoi ne pas craquer ? Pourquoi refuser d’aller plus loin ? J’aurai pu revenir sur mes pas pour le serrer avec la même fougue. J’aurai dû pousser la porte, retourner au chaud pour lui dire seulement pourquoi pas. Au lieu de ça, un courant d’air glacial me saisit.
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