Les soirées bien occupées d’un étudiant (2ème partie)
Celle pour les imprévus,
Rentrer. M’allonger. M’endormir. Épuisé.
Boire un chocolat chaud. Prendre une douche brûlante. M’écrouler. Épuisé.
Consulter mes messages. Répondre à mon père. Mater un épisode de ma série Continuum. Sombrer avant la fin. Épuisé.
Écouter ma play list. Bouquiner pour réussir à terminer mon livre. Résister page après page. Épuisé.
Et si seulement ma soirée se terminait ainsi, épuisé. Est-ce que pour autant, je me sentirais mieux ? Ceux qui me connaissent sur le bout des doigts diraient que ce scénario n’est pas crédible . Combien de fois ai-je pensé rentrer à la maison sans faire de détour. Combien de fois mon chemin fut jalonné d’imprévus ? Les jeudis de repos, je peux les compter sur les doigts d’une main. Ce soir ne déroge pas à la règle. Pour autant, je me serais bien passé de ce scénario et me demande encore comment je m’en suis sorti sans une égratignure.
Je sortais du restaurant, le doux souffle de Lucas tatoué sur ma peau. J’abandonnais la chaleur de ses bras prêt à affronter le froid. L'étreinte légère envoyait au loin mes doutes après tout Manu m’avait rendu ma liberté. Même si mes amis avaient trouvé sa façon de rompre peu cavalière, la fin de notre histoire était réelle et faisait voler en éclat mes derniers espoirs. Pour la première fois depuis des semaines, j’avançais le pas léger sans me retourner. En repensant à la suite des évènements, j’aurai dû revenir sur mes pas pour goûter aux lèvres de lucas, juste le temps d’un baiser. Au lieu de ça, deux mains m’ont saisi et tiré violemment en arrière, arrachant mes pieds du sol. Mon petit nuage a volé en éclat. Surpris par ce traitement musclé, la réalité m’est revenue en pleine face. Le sourire de Lucas s’est effacé. Un homme me maintenait par le bras avec une poigne de fer.
Une désagréable sensation est remontée à la surface. Je tremblais à l’idée de voir le balafré, en chair et en os. Mon esprit me jouait des tours à coup sûr. Comment aurait-il pu sortir de prison ? Jérémie m’aurait averti. Pourquoi cet assassin aurait-il pris la peine de venir jusqu’à Montréal ? Pour me retrouver ? Se venger ? Mon pire cauchemar ne pouvait pas se tenir dans cette ruelle. Impossible. La lueur, trop faible, m’empêchait de voir les détails de son visage. Puis, il a parlé et là j’ai su que je me trompais. Merci l’accent canadien. Soulagé. Pas vraiment. Comment pourrais-je l’être quand une montagne de muscles me conseillait de le suivre et de me taire ? L’homme qui me poussait pour que je presse le pas, n'était pas le meurtrier de ma mère.
J’aurais pu jouer malin, lui rentrer dedans. Je me suis tu, docile. Non, le gars qui me menaçait ne souhaitait pas attenter à ma vie. Son intention était tout autre, comme si sa propre survie était en jeu. S’il avait voulu me faire la peau, il l’aurait fait avant même que je puisse soulever un sourcil. Son intention était avant tout de filer la trouille au fouineur comme il m’a appelé avant de me conseiller de ne pas faire d’esclandre. Alors, je l’ai suivi, ou plutôt devancé. Après une dizaine de minutes de marche soutenue sur des trottoirs à peine déneigés, nous nous sommes stoppés devant un local désaffecté.
Je n'en menais pas large. La seule chose qu’il ne savait pas ou n'avait pas pris en compte, était ma propension à toujours être sur mes gardes, mon téléphone en géolocalisation. Quoiqu'il m’arrive, même le pire, mon ami Jérémie me retrouverait. Sans ménagement, mon garde du corps me poussa dans un loft. Si l'extérieur pouvait laisser penser à une usine délabrée, l'intérieur offrait le confort nécessaire pour survivre des semaines, reclus du monde. Dehors la tempête faisait rage, dans cet espace le silence régnait.
La lumière du plafonnier m'a permis de voir mon ravisseur. Derrière sa carrure imposante se dissimulait le visage d'un jeune tout aussi inquiet que je pouvais l’être. Il me proposa de m’asseoir et commença par s’excuser d’avoir employé la manière forte pour me traîner jusqu’ici. De ce que je compris entre deux bouffées de beuh, il ne voulait pas éveiller les soupçons dans le cas où ceux qui avaient voulu le faire taire auraient retrouvé sa trace. Ces propos étaient confus, comme si à sa façon il voulait soulager sa conscience. Il s’approcha de la table de mixage qui trônait au centre de la pièce et commença à scratcher sans plus s’occuper de ma présence. Le volume augmenta, les lumières suivirent le tempo, là où quelques minutes auparavant le silence envahissait les lieux, un déchaînement de musique électro me vrilla les tympans. Une urgence absolue résonnait dans la pièce. Un hurlement musical pour cracher la détresse d’un gars perdu dans son univers.
J’avais encore mis les pieds dans un mic mac sans nom. L’herbe était inodore, de l’Antelax à n’en pas douter. Comment pouvait-il savoir que je menais une enquête sur cette drogue de synthèse ? Pure coïncidence ? Dans quel camp frayait-il ? Un complice des trafiquants m’aurait mis une dérouillée. Le balafré, à Bordeaux, cet été, ne s’en était pas privé. Un dealer ? Dans ce cas, pourquoi m’avoir embarqué dans sa planque ? Un étudiant ? Pourquoi ne pas s’être contenté de me choper dans les couloirs de l’université ? L’ai-je croisé à l’anniversaire de Peter ? D’ailleurs, où est passé cet énergumène ? Depuis une semaine, il est porté pâle. Lucas me l’a confirmé dans l’après-midi. D’après leur professeur de chimie, il aurait dû s’absenter pour raison familiale. Pourrait-il y avoir un lien entre les deux ?
Après un bon quart d’heure, l’artiste a enfin daigné m’adresser un minimum d’attention. J’aurai pu m'éclipser à plusieurs reprises. La sortie se trouvait à deux pas de là. Dans son état de transe, il n’aurait pas fait cas de ma disparition. De mon côté, je n’ai pu me résoudre à filer sans demander des explications. J’attendais juste le bon moment. La musique s’est adoucie, la mélodie teintée de rythmes plus lent. Le musicien reprennait son souffle après une course folle, comme libéré de ses tourments. Les platines se sont éteintes, l’obscurité a repris ses droits, l’ambiance est devenue froide et pesante. Il s'est approché pour s'asseoir sur la table basse et m'a suggéré de prendre mon carnet. Un long monologue a débuté ne laissant pas de place à mes interrogations. J'étais le scribe de ses confessions. Un drôle de sentiment m'envahit à chacune de ses paroles, comme si ce qu’il avouait le condamnait.
Mes mains tremblaient, le papier se déformait, les lignes vacillaient. Le stylo glissa de mes doigts quand il laissa échapper le nom de Roll dans un soupir. Ses aveux étaient des coups de couteaux dans ma conscience. Quand il évoqua la mort Dylan, se fut sa dernière estocade. Mon pouls s'accéléra sans que je puisse le contenir. Mon organe vital me lançait un SOS. Il ne pouvait avoir inventé ces dires. Puis il a attrapé un sac de sport qui trainait dans l’entrée et s'en est allé comme si de rien de tout ça n'était réel. Un frisson m'envahit quand sa silhouette s’évanouit dans la nuit laissant pour seul souvenir, les traces de ses pas. Un terrible pressentiment me saisit et me glaça le sang. Dans mes mains, le document que j'avais en ma possession n'aurait aucune valeur. Je réalisais qu’il n’y aurait aucune empreinte pour retrouver sa trace. Pourquoi m’avoir balancé son histoire ?
Je sortis à mon tour, fis quelques pas pour m'éloigner au plus vite du bâtiment comme si ma vie en dépendait. Je ressentais le besoin de retrouver un minimum de civilisation pour me noyer dans la foule. Une explosion résonna dans mon dos, la force du souffle me projeta au sol. La chaleur de l’air contrasta avec le froid de l’asphalte quand mes mains entraient en contact avec le bitume. Je me redressai difficilement, sonner. Mon regard balaya l’espace pour constater l'ampleur de la scène. De la fumée s'échappait du bâtiment accompagnée de flammes. Avant de fuir, mon ravisseur avait pris la peine d’effacer d’un claquement de doigts toute trace de son existence.
En remontant la ruelle, au loin, les gyrophares des pompiers résonnent. Les hommes du feu arriveront trop tard sur place pour retrouver le moindre indice. La seule preuve de son passage réside dans le bout de papier plié au fond de ma poche. Je presse le pas pour regagner la maison d’Harry. Je vérifie sans cesse qu’aucun fantôme ne me suit. Rassuré, je retrouve l'entrée du métro, terrée dans les entrailles de la ville, loin du chaos. Machinalement, je m'assis au fond de la rame, relève ma capuche et attrape mon portable pour consulter mes messages. Le groupe de jeunes installé devant moi, à leur façon, sans le vouloir, me sert de rempart, dissimulant ma présence. Je ressens le besoin d'être un étudiant lambda qui rentre chez lui pour réviser ses cours.
Jérémie a bien essayé de me contacter pour savoir si tout allait bien. Mon dernier point de localisation l’a interpellé et la présence de deux contingents de pompiers selon son instinct n'augurent pas de bonnes nouvelles. Même à des milliers de kilomètres de là, mon ange gardien veille. Je l’imagine derrière son écran à taper frénétiquement pour obtenir des informations viables, voir pirater les données de la caserne pour connaître la teneur de leur mission. Je m'empresse de répondre :”pour cette fois, je n’ai pas besoin de la cavalerie mais j'ai eu chaud aux miches”. Pour les détails, mon ami devra attendre que je sois arrivé à bon port.
Lucas a profité de sa pause pour m'envoyer un texto sur lequel il précise s'inquiéter. Me voir partir avec le meilleur pote de Peter l’a surpris. En lisant ses mots, je frissonne et répond dans la foulée que les seuls bras dans lesquels je veux me trouver à cette heure sont les siens.
Les soirées du jeudi soir sont celles des imprévus et je me serai volontiers passé de celle-ci. Ce pourrait-il que nos premières investigations aient déjà mis le doigt sur un point sensible ? Le dossier est-il plus important ? Fort probable. Le lien entre la France, le Canada, le père de Manu, la famille Conrad est encore minime pourtant plus je prospecte et plus il est réel. Il me faut prendre le temps de tout analyser à tête reposée. Deux noms sont apparus clairement et de mon côté je vais devoir creuser. Quelques soient la véracité des révélations de cet inconnu, je ne peux les négliger.
Arrivé à bon port, la maison d’Harry me semble d’un coup d'un seul immensément vide. Je ferme la porte à double-tour, comme un enfant attendant le retour de ses parents à la nuit tombée. Petit, je scrutais les arbres à la recherche des monstres dissimulés et inventais des histoires. Sans réfléchir, je jette un dernier coup d'œil par la fenêtre. Dans la rue, les ombres des érables et des lampadaires dansent sur le tapis neigeux. J’ai grandi et pourtant en cette fin de journée tous mes membres tremblent. Mais quoi qu’il advienne, je ne lâcherai pas l'affaire parce que la vérité doit être faite. Oliver mérite de savoir que son prince charmant n’est pas mort d’une overdose dans un bosquet. Je n'abandonnerai pas quelques soient les risques encourus. Dès demain, je passe à la vitesse supérieure.
La voiture de Harry se gare dans l’allée. Soulagé. Je remonte la couette. Mes paupières sont lourdes. Épuisé.
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