Vendredi 13 décembre

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Treize minutes, le temps qui m’est imparti ce matin pour ne pas être en retard. Treize marches à dévaler pour atteindre le métro et sauter dans la rame. Treize jours avant mon premier Noël au Canada et je n’ai aucun cadeau en vue. Ce treize décembre serait anecdotique si nous n’étions pas un vendredi. Devrais-je accorder un semblant d’intérêt à toutes les superstitions tissées par la conscience collective ? Pour certains, coller le chiffre au jour est une aubaine, pour d’autres, une plaie. Quelle importance ! Avant de m'enfuir comme un voleur, j’ai confié à Harry, les treize lignes contenant les aveux d’un inconnu depuis évanoui dans la nature. Treize secondes ont suffi à l’inspecteur pour appeler son indic et obtenir un nom. L’expérience, voilà ce qu’il me manque. D’ici treize ans, je devrais être au point.

Voici treize bonnes raisons de poursuivre mes investigations :

La première est pas des moindre résulte dans le fait que j’ai embarqué une bande d'étudiants dans mon projet et pour la sécurité de tous, il ne faut pas se planter dans les routes à explorer. Cette mission des plus folles peut effrayer. Est-ce que pour autant nous devons faire un pas de côté ? Une certitude demeure à cette heure, mon équipe doit être autant casse-cou que je le suis. Au cours de la semaine, j’ai eu l’occasion de le vérifier. Notre réunion de mardi m’a confirmé que quels que soient les choix que nous faisions, derrière chacun d’eux se dissimule une part de vérité.

La seconde, notre point de chute a été validé à l’unanimité par l’ensemble des concernés. Je n’ai pas eu à faire de grand discours, ni à débattre sur les avantages ou les points faibles du lieu, à peine ai-je donné le nom du bar, qu’il fut coopté.

La troisième, j'ai voulu apprendre à connaître un peu mieux mes collègues.

Tim est un sacré bout en train, toujours à plaisanter même sur des sujets épineux. Aussi rien de surprenant qu’il m'ait suivi sans savoir où il allait. Quand j’ai présenté le sujet de notre enquête, il a surgit de sa boîte avec un sourire désarmant. Je venais à peine d’expliquer les risques encourus, la possibilité de recevoir des menaces, qu’il faisait le pitre. Après mûre réflexion, il utilise ce mécanisme pour contrôler sa peur. La dérision pour lutter contre l'oppression, un bouclier qu’il dresse face aux agressions.

Richard, plus posé, note toutes les informations fournies à chaque réunion. Avec minutie, il établit des fiches détaillées. Derrière son apparente nonchalance se cache une obsession pour le tri, la classification et l’ordre. Son organisation est un atout de taille, non négligeable. À sa façon, il maintient un lien entre toutes nos investigations. Derrière ses fiches, ses boîtes, et ses classeurs, il est à son aise. Pas de malaise.

Clovis est en tout point son opposé. Il ne tient pas en place, arpente la salle de réunion de long en large. Une idée griffonnée à la va vite sur un post-it termine en boule dans la corbeille de papier. Puis, il se ravise, le reprend, le relit, jette un regard rapide dans la pièce, fait une grimace et défroisse son premier jet pour le donner à son compère Tim. La pile de ces mille feuilles croît à vue d'œil.

La quatrième, je me suis engagée auprès de Harry et de mon professeur Monsieur Asselin. Les deux hommes gardent un œil bienveillant sur chacune de nos missions. Après nos réunions en petit comité, je rédige un compte rendu pour leur permettre de suivre nos avancées. Si j’estime qu’un point mérite une attention particulière, je le leur signale au travers d’un code dans le cas où les papiers tomberaient dans des mains peu scrupuleuses. Nos aînés ne manquent pas d’idées farfelues. Je m’en suis rapidement aperçu avec l’inspecteur, son ami ne déroge pas à la règle.

La cinquième, je me dois de trouver qui est derrière tout ce trafic et déterminé où l’Antelax prend sa source. Comment a-t-il pu transiter de la France au Canada et vice et versa ? Par avion ? “Non, par poisson voyageur, grand bêta” m’a lancé Léa quand j’ai posé la question au beau milieu de notre réunion. Ma mère et Dylan ont-ils un point commun ? Le premier, leur mort a été commanditée et on a essayé de la dissimuler derrière des faux semblants. Le second, ils avaient levé un lièvre. À ma façon, j'utilise le même mode opératoire. Est-ce qu’en creusant, je vais découvrir que tout est lié ? Plus je gratte la surface, plus je réalise que la partie immergée risque de me péter à la figure.

La sixième, Peter. L’étudiant est porté pâle depuis une semaine, il a disparu des radars. La grippe aurait eu raison de lui. Des informations glanées auprès de Noah et Léo, l’étudiant serait coutumier du fait. A-t-il des problèmes de santé ? Il s’absente au moins une fois par trimestre pour une durée toujours équivalente de treize jours. Tiens donc, encore un treize de plus dans ma besace. Signe du destin ou hasard ? J’ai mandaté Léa pour obtenir des informations. Pour éveiller au minimum les soupçons, nous avons monté un plan. Pour noyer le poisson, nous prétendons mener une enquête sur les absences au cours de l'année passée dans les cursus scientifiques. Tim, Clovis, Richard ont épluché tous les dossiers administratifs. Un sacré travail de titan et les résultats sont forts surprenants. Plus de la moitié des absences sont de moins de trois jours. Pour la partie restante, il ne dépasse pas la semaine à quelques exceptions. Peter est le seul à ne pas avoir assisté au cours pendant une quinzaine de jours de façon régulière. Doit-on voir un élément de plus à ajouter à son dossier ? Encore faudrait-il connaître les motifs. Sur les bordereaux, confiés par la secrétaire, apparaissent seulement la notification: raisons familiales. Léa, curieuse, a cherché à en savoir plus et s’est heurtée à un mur. Aussi, maline, elle est passée par des voix parallèles. Une de ses amies bosse à l’aéroport. L’hôtesse d'accueil a trouvé dans les archives, le nom de Peter sur des vols en partance pour la France pendant ses périodes d’absences. Fait d’autant plus surprenant, son frère était le copilote. Une question reste en suspens, était-il à bord à mon arrivée à Montréal ?

La septième, je l’ai trouvée dans les murs de l'institut médico-légal. Hier en fin d’après-midi, j’ai rencontré le médecin légiste, le troisième pêcheur de la bande à Harry. Max m’a autorisé à consulter le dossier de Dylan, établi par son prédécesseur dans les services. Un nom est apparu, comme un écho, l’inspecteur Roll était chargé du dossier à l'époque. J’ai lu et relu le compte rendu, des zones d’ombres apparaissent sans pourtant impliquer une malversation. Je ne peux accuser sans preuve. Max m’a proposé de jeter un œil de son côté à l’autopsie. De ce que j’ai compris, il ne porte pas dans son cœur l’ex-enquêteur. De ses dires, il est entré dans le secteur privé, plus lucratif. De la peinture qu’il m’a brossée, l’homme est fourbe, manipulateur. Avant de m’éclipser, il m’a conseillé de rester sur mes gardes si j'entrais dans son champ de vision. Reste à savoir si la lettre confiée à Harry ce matin, permettra de mettre en lumière certaines omissions.

La huitième, vient de France, Jérémie ne relâche pas ses efforts, il passe des heures et des heures pour trouver les pièces semées au quatre coins. Au dépends de ses propres missions, il scrute les moindres faits et gestes du père de Manu et du balafré. Même si ce dernier est en prison, il reste une menace que je ne dois pas négliger. Je ne sais pas pourquoi, à la simple évocation de son nom, des frissons parcourent mon bras et ma cicatrice me tiraille. Comme si quelque part, il avait laissé gravé sur ma peau, une marque indélébile. À ce sujet, Lucas m’a fait une proposition, je me demande si je ne vais pas l’accepter. J’espère que mon frère de cœur se montre prudent. Il a l’art de se rendre invisible en effaçant les traces de son passage. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de m'inquiéter. Bientôt il sera à mes côtés, il me tarde de le serrer dans mes bras pour me rassurer.

La neuvième est pour toi maman, mon étoile dans le firmament, tu me manques tant. Ton fils grandit avec le doux souvenir de ton regard bienveillant. Je réalise depuis mon arrivée sur le sol canadien, que tu as laissé au plus profond de mon âme, ton goût pour l’aventure, en quête de vérité. Je pourrais t’en vouloir de t’être jetée dans les griffes d’un monstre encore à cette heure sans tête, sans nom, sans visage. Pourtant, je comprends ton choix, ton vœu de protéger ton travail. Tu as œuvré pour le bien, pour offrir une issue de secours à ceux qui souffrent chaque jour. D’autres, on vu dans tes avancées une façon de remplir leur caisse et ne t’ont laissé aucune chance. Je vais poursuivre ton enquête parce qu'ils ne peuvent continuer leurs exactions en dépit des autres. Je t’en fais la promesse.

La dixième se cache au plus profond de mon être, mon intuition me dit que tout est lié. Depuis, une semaine, je ne relâche pas mes efforts, pas de raison. Je cherche le fil conducteur, le détonateur. Je néglige aucune piste et si un fait me résiste alors je persiste. Pour l’heure, les impasses ne me laissent pas de glace. Les hommes derrière tout ce merdier ont forcément laissé des traces. Quel que soit leur mode opératoire, derrière chaque action se cache une histoire. Je me montrerais patient et récolterais à chaque instant les brindilles qu’ils auront semé en route.

La onzième est pour Oliver. L’amour de sa vie, Dylan, ne méritait pas de terminer sa course dans un parc, seul. J’attends le feu vert de Harry pour en parler avec mon ami. Je ne peux pas balancer les aveux sans prendre quelques précautions. Tout est expliqué dans la lettre. Des excuses se sont glissées entre les dernières lignes. Je pense que je demanderai à Lucas d’être à mes côtés, j’aurai besoin de son soutien et notre Médecin tout autant.

La douzième, Evan vient de me la fournir, sans le savoir. Cette investigation me permet de réunir, le père et le fils. L’enjeu est de taille, je ne veux pas passer à côté. Je tente de tisser un lien entre les deux au travers de l’enquête. Le duo sera explosif, j’en ai conscience. Pourtant, ni l’un, ni l'autre n'a refusé ma proposition. Coup de poker ou pure folie, le temps nous le dira. À l’instant T, à treize heures précises, ils se tiennent face à face pour éplucher une montagne de papiers en silence. Je les observe et surprend un geste tendre partagé. Rien que pour cette raison, je devais essayer.

La treizième est un condensé de toutes les autres, la raison qui confirme mon choix d’orientation personnelle et professionnelle. Le sujet actuel me touche parce qu'il est lié à mon histoire. Certains diraient à raison ou à tort que je ne devrais pas aller plus loin, l’affect pourrait tronquer mon jugement, la vengeance n'est jamais bonne conseillère, les cordonniers sont les plus mal chaussés et tout un tas d’autres inepties pour abandonner. Les personnes me connaissant le mieux me suggérait d'être prudent, les petits nouveaux de me tenir sur mes gardes, les inconnus de passer mon chemin. Finalement, le seul à même de décider, n'est autre que moi.

Il y a treize minutes, j’ai appelé mon père, puis ma grande-mère dans la foulée pour prendre de leurs nouvelles et leur avouer ce que j'entreprenais. Joseph est resté silencieux avant de laisser échapper un long soupir. Au travers des recommandations d'usage d'un père pour son fils, j’ai perçu son soulagement. Il sait parfaitement que ma décision est prise, réfléchie. Il n’a pas tenté de me dissuader. Mon père, ce héros au grand cœur, a toujours accepté mes choix, me soutenant sans la moindre hésitation. Au téléphone avec grandma, je pouvais entendre son sourire au travers de ses mots. Pour confirmer mon impression, j’ai suggéré d’utiliser la webcam. Voir ses yeux pétillants, son visage apaisé malgré mon aveu tonitruant m’a fait un bien fou. J’ai puisé dans son sourire la force qui me permet d’avancer sans regrets, de me projeter dans le but de me reconstruire. Cette enquête ferait-elle partie de la thérapie ? Aurais-je besoin de ce traitement pour pouvoir passer à autres choses ? Derrière chacune de ses questions, je sentais les larmes me brûler les rétines jusqu’au jusqu’au moment où Pierrette m’a demandé d’ouvrir les vannes. Les deux appels m'ont permis de vider mon sac et ont libéré l’espace dont j’avais besoin pour continuer.

Il est treize heure treize, “frotte ton nez” me dit Rose à chaque fois que les heures et minutes se répondent, “quelqu'un pense à toi”. Ce vendredi treize, je me tiens debout, devant la porte du bar où mes amis et collègues m'attendent pour notre dernier point presse avant le week-end. Pour patienter, Tim, Clovis et Richard se défient aux fléchettes. Léa discute à bâtons rompus avec Monsieur Asselin et Evan. Dans quelques secondes, je romprai la quiétude de l’instant. Chacun fera part de ses avancées abandonnant l’insouciance de ce moment volé au travers de la baie vitrée. Puis après une heure d’échanges, de questionnement, nous définirons les missions de la semaine prochaine et laisserons retomber la pression. Nous avons instauré une règle, à partir de quinze heures je sonne la fin des investigations et nous débranchons le serveur pour deux jours. Même si Monsieur Asselin nous a dispensé de quelques devoirs, nous ne devons pas négliger les autres matières, toutes complémentaires pour étoffer notre bagage universitaire. Le surplus de boulot occasionné par l’enquête a dopé tous les membres du groupe. Personne ne veut prendre de retard. Nous nous serrons les coudes pour ne laisser personne en rade. N’est-ce pas au final la plus belle des raisons ? Nous composons une équipe soudée et forgeons notre force dans nos différences.

  • Ah, te voilà enfin, me lancent-t-ils en chœur au moment où mes pieds franchissent le seuil du pub.
  • Treize minutes de retard, chef, me taquine Léa.
  • Seulement, je m’en sors pas si mal, acquiescé-je, en lui adressant un clin d'œil complice.
  • Et te connaissant, tu as treize bonnes raisons pour te justifier, s'esclaffe-t-elle en attrapant mon bras pour me faire accélérer le pas.
  • Tu ne penses pas si bien dire, lâché-je en prenant place entre Evan et elle.
  • D’abord, trinquons, lance Tim en levant son verre, j'ai enfin gagné une partie de fléchettes.
  • Félicitations, la prochaine fois je me joindrai à ce défi. Maintenant au boulot mes amis, dernière ligne droite pour cette semaine, ensuite quartier libre, nous l’avons tous bien mérité, annoncé-je enthousiaste. Je vous réserve une surprise demain soir si ça vous tente.

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