Oups pardon !

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Pas facile d'être concis, tant d'informations surgissent. Je dois en quelques mots m’assurer de la clarté de mes propos. Richard me tend les fiches de chacun des journalistes. Il m’a bien mâché le travail, surlignant les détails et encadrant les faits qui devront être traités dans la semaine à venir. Pour me faciliter la tâche, Monsieur Asselin me confie qu’il veut mon résumé en vers pour garder le mystère. Quelle étrange idée ! Quand je vous dit qu’avec Harry, ils font une fine équipe. Franchement, leurs codes sont tellement pointus ou tordus, allez savoir. Je vais passer tout mon samedi matin sur cet exercice épineux. Puis, Il me serre la main, une sacré poigne au passage, m’adresse un sourire et précise :”en alexandrin dans une fable”. Adieu veau, vache cochon couvée me voilà bien, comment me dépêtrer de ce défi, Monsieur Jean Delafontaine, une idée ? Je les retiens, je vais aussi devoir consacrer tout l'après-midi à cette mission. Mais non impossible, Rose m’attend pour que je l’accompagne à son défilé, hors de question de décommander.

  • Courage mon pote, mon père a l’art et la manière de te mettre en galère, me lance Evan avant de franchir la porte.
  • T’inquiète, réponds-je en le saluant, je trouverai une solution.

Son rire franc résonne dans la rue. Je suis heureux qu’il ait rejoint nos rangs, il est un atout majeur à présent.

  • Zach, ça te dit de venir encourager Noah et Léo ce soir, leur équipe de hockey joue un match important, me secoue Léa.
  • Ok, mais tu me files un coup de pouce en retour.
  • Pourquoi pas, dans quel domaine as-tu besoin de mes compétences ? suggère-t-elle, l’air de rien.
  • Littéraire, tu es lameilleure dans cette matière, avoué-je, alors si tu as une heure à me consacrer dans la matinée, je ne dirai pas non.
  • Je te rejoins vers dix heures chez toi, Léo me posera au passage, ça nous laissera le temps d'esquisser la trame. En attendant, file nager, me conseille mon amie, ça te fera le plus grand bien.
  • Tu as raison, les potes d'Oliver doivent s’impatienter.
  • Notre charmant interne ne sera pas là ? me taquine-t-elle.
  • Non, il est de garde pour tout le week-end.
  • Tu as prévu de lui parler de la lettre ? me demande-t-elle plus sérieusement.
  • Je ne sais pas encore, même si de son côté, il ne veut pas croire que son chum n'est pas mort d’une overdose, lire les aveux de cet homme pourrait le fragiliser, avoué-je inquiet.
  • Tu devrais en discuter avec ses amis, tu as dit qu’ils étaient très proches, peut-être qu’ils pourraient t’aider.
  • Pas sûr que les mettre dans la confidence serait une bonne chose, je pourrais les mettre en danger à leur tour, soupiré-je.
  • Zach, tu ne peux pas tous nous protéger tout le temps. Nous te suivons dans cette investigation, nous le faisons délibérément. Nous connaissons les risques et les acceptons, ils feront partie de notre quotidien.
  • Oui mais pas eux, Oliver et ses amis n’ont pas signé pour que je les mette dans le pétrin.
  • Ils sont grands, ils méritent que tu sois sincère avec eux, insiste Léa en posant sa main sur mon bras.
  • Et si ça leur coûtait plus que ça ?
  • Plus que quoi ?
  • La vie.
  • Tu as peur ?
  • De me planter à chaque fois, de m'égarer tout le temps.
  • Alors ne regarde pas derrière toi, Zach, pas maintenant, tu peux compter sur nous et hors de question de te laisser seul affronter tout ce merdier.

Léa me prend dans ses bras et fait ressortir son étreinte, je peux sentir le rythme de ses battements de coeur, lent et régulier.

  • Dix heures, chez Harry et n’oublie pas quelle que soit ta décision, nous serons à tes côtés. En attendant profites en pour faire quelques longueurs pour moi, un de ces jours il faudra que je t’accompagne, un peu de sport ne me ferait pas de mal. À ce soir, dix-neuf heures à la patinoire. Au fait, j'ai missionné Alexis pour venir te récupérer.

Je la regarde se faufiler au travers des tables avant de sortir du bar, Léo l’attend à l’extérieur, Il me fait un geste de la main pour me rassurer avant de l'embrasser.

Avant de partir, une dernière inspection s'impose. Je vérifie que nous n'avons laissé aucune trace de notre passage, le moindre papier abandonné sur un coin de table pourrait fragiliser la team. Je rassemble les verres pour les rapporter et les poser sur le comptoir. Julius, le patron, me remercie.

  • À mardi prochain Zach. Vous êtes toujours les bienvenus, toi et ta bande.
  • Merci, ton bar est vraiment chouette. J’aurai une question ou plutôt une demande.
  • Dis-moi, je verrai ce que je peux faire.
  • Demain soir, je voulais organiser un truc sympa pour mes amis et je cherche un endroit.
  • Pour quel genre de soirée ? me demande-t-il, avec une pointe de curiosité dans la voix.
  • Pour boire un coup, écouter un peu la musique, un espace pour danser mais je préfère loin d’une boîte de nuit, trop de monde. J'aurai plutôt penser à un lieu cosy.
  • Une cave avec un groupe jazzy qui se produit, ça te branche ? s’enthousiasme-t-il.
  • Carrément et tu penses que si on arrive à une quinzaine ça peut le faire ?
  • Je te montre et tu me diras.
  • Comment ça ?

Julius pose son torchon et me propose de l’accompagner. Nous sortons du pub pour nous diriger vers l'arrière de la bâtisse. Il pousse la porte en bois et appuie sur l’interrupteur à sa droite. Nous empruntons un escalier pour rejoindre le sous-sol. La lumière remplit l’espace qui se révèle peu à peu. Le plafond voûté, les murs en pierre, la scène en bois et les sofas donnent une ambiance de vieux films des années folles. Un piano est adossé à une scène et dans le fond un bar où différentes bouteilles de whisky côtoient des fûts de bière. Je n’en crois pas mes yeux, ce lieu unique serait parfait.

  • Je te présente le Speakeasy, m’annonce Julius fièrement.
  • Impressionnant le bond dans le temps, dis-je en scrutant la pièce.
  • Ce lieu appartenait à mon grand-père, pendant la prohibition, il a connu plus d’une histoire, mon père a voulu poursuivre son histoire.
  • Et à ton tour, tu continues à entretenir sa mémoire ?
  • Oui, c’est le moindre que je puisse faire. J’adore l’ambiance qu’il règne ici. Souvent avant l'ouverture du pub, je viens là pour bouquiner.
  • Je te comprends, l’inspecteur Harry adorait cet endroit.
  • Ça fait longtemps qu’il n'est pas venu.
  • Pas possible, tu le connais ?
  • Bien-sûr, lui et ses deux amis Hugo et Max venaient souvent après le boulot pour se changer les idées.
  • Ah, maintenant je comprends mieux pourquoi Evan…
  • Il n’est pas au courant que son père en avait fait son repère, me coupe Lucius, depuis que Evan vient après ses cours, c'est la première fois depuis trois ans qu’Hugo remet les pieds dans mon bar.
  • Non j’y crois pas, tu veilles sur son fils depuis tout ce temps.
  • À ma façon, on va dire que je garde un œil bienveillant.
  • Tu penses qu’on peut faire qu’il se réconcilie ? tenté-je.
  • Les voir cet après-midi, côte à côte, est une belle avancée et de ce que je perçois, tu n’es pas étranger à ce début de communication.
  • J'essaie de recréer un lien. Mon père est en France et il me manque aussi quelles ques soient leur divergence de point de vue, ils ne peuvent pas s'ignorer. S'ils bossent ensemble qui sait ce qu’il adviendra, je prends le risque mais je pense que le jeu en vaut la chandelle.
  • Toi, t’es un malin mon p’tit gars, je t’aime bien.
  • Alors, je peux abuser de ton hospitalité ?
  • Je dirai même plus, n’hésite surtout pas, me confirme Lucius une lueur dans les yeux.
  • Parfait, je lance les invitations pour demain soir, le remercié-je avant de m’éclipser.

Je profite d’une accalmie pour emprunter les trottoirs de la ville. Un couloir se dessine entre les monticules de neige, je me sens dans mon élément. Mon orteil ne me fait plus souffrir, alors je m’accorde à remonter la dernière rue en courant. Après une dizaine de minutes, j’arrive devant la piscine.

  • Et bien, on a cru que tu avais changé d’avis, me dit Alexandre en m’ouvrant la porte.
  • Commence pas, souffle Paul en le bousculant.
  • Quoi, avoue qu’on a pensé qu’il nous ferait faux bond en réalisant qu’Oliver ne serait pas de la fête, insiste Alexandre en ouvrant son casier.
  • Tu peux pas te taire deux minutes, rale Paul en claquant sa porte, tu es lourdingue.
  • Rabat-joie, allez le dernier à l’eau paie sa tournée.

Ces deux-là me font bien rire, ils sont toujours à se chamailler. Si un étranger les observait de l’extérieur, il pourrait penser à un vieux couple. D’ailleurs, ne le sont-ils pas finalement ? Je les côtoie depuis deux mois et je ne les ai pas vu échanger des gestes tendres. Pourtant le regard qu’adresse Alexandre à Paul trahit son émoi.

  • Alex bouge-toi, conseillé-je en accélérant le pas. Noah, un de mes potes joue à ce jeu depuis mon arrivée au Canada et pour l’heure il me doit un fût.
  • C’est ce qu’on va voir, me lance-t-il en me coupant la route, je ne perds jamais.
  • Fais gaffe de ne pas t’étaler, s’écrie Paul avant d’éclater de rire.

Alexandre termine la tête la première dans l’eau, manquant d'assommer un nageur passant au même moment.

  • Abruti, hurle l’armoire à glace, refaisant surface.
  • Pardonnez mon ami, c’est un vrai gosse, tente de s’excuser Paul en le voyant s’approcher dangereusement de son copain.
  • Gros colon, beugle l’homme dans notre direction.
  • Oula tout doux, il est tout ce que vous voulez, mais il s’est excusé et il n’y a pas de mal, alors vous pourriez lâcher l’affaire, proposé-je aussitôt en entrant dans le bassin pour calmer les esprits.
  • Tu penses que t'aplatir comme une lavette suffit, insiste le mec furibond.
  • Non mais c’est bon lâche-nous, s’excite Alexandre.
  • Quoi t’as un problème ? Tu viens t’écraser comme une merde en te tapant l’incruste dans mon espace. Va te crosser.
  • Laisse tomber, tenté-je en me faufilant entre les deux.
  • Non mais tu rigoles le blanc-bec, pousse-toi où je t’en mets une.
  • Écoute, mon ami a été maladroit, il a glissé et je comprends ta colère mais là c'est bon, passe ta route pour le bien être de tous.
  • M’a te dérencher la face avant de te faire sucer ma graine, vocifère-t-il devant le regard effaré du groupe d’aquagym.
  • Merci d’alimenter mon vocabulaire d’expression juteuse mais pour l’heure si tu veux régler tes comptes, je te propose un combat à la régulière, dans une ligne d'eau, une course au cas où tu n'aurais pas compris vu ta tête.
  • Maudits niaiseux, tu vas voir de quel bois je me chauffe.
  • Ça veut dire que tu es ok pour une joute aquatique.
  • Je vais gagner et après je te fous ta raclée.
  • Oui si tu le dis, soufflé-je exaspéré.
  • Zach, tu es sûr de ce que tu fais ? lance Paul assis sur la margelle.
  • Oui et puis j’ai besoin de me défouler, ce sera plus simple que de lui mettre mon poing dans la figure.
  • C'est de ma faute, s’excuse Alexandre, penaud.
  • T'inquiète, c'est avant tout la sienne. Il a rien dans le ciboulot.
  • Mais si tu perds ?
  • On avisera, je connais un interne de garde qui me soignera encore une fois.

Je me positionne sur le plongeoir. Les regards se tournent vers nous. Le cours des anciens s'est mis en pause. Les maîtres nageurs s’approchent pour s'assurer que leur site ne transformera pas en ring de boxe. Le silence s’installe. J'ai le sentiment d'être devenu le centre d'intérêt du complexe. J’imagine la tension que ressentent les athlètes avant de s’élancer lors d’une compétition. Tous mes muscles se tendent attendant le signal du départ. Mon adversaire n'a pas eu la patience et entame la course avant mon plongeon. Au moins les choses sont claires. Quelles ques soient les bâtons qu’on met en travers de la route, je ne lâche rien et il va vite le découvrir. Après une longue coulée, j’augmente mes battements de jambes pour me retrouver à sa hauteur sous les acclamations des curieux. Mes passages réguliers à la piscine en compagnie du trio Alex, Paul et Oliver me sont bénéfiques, mon crawl est plus fluide. Je me sens pousser des ailes, à ce moment précis, je dirai des nageoires. J’avale les cinquante mètres aller sans forcer et l’avance se creuse inexorablement sur le retour et je sors de l’eau en premier.

  • Pas besoin de la photo finish, s'écrit Alexandre.
  • Tais-toi, le sermone Paul.
  • Ouais mais quand même à ce niveau là c’est une pure humiliation.
  • Tu es irrécupérable, soupire Paul tentant de le faire taire, Zach te sauve la mise et tu remets une couche.
  • N’empêche que…

Alex n’a pas le temps de terminer sa phrase, le baraqué surgit tel un requin prêt à nous déchiqueter. Je m’interpose à nouveau entre les deux protagonistes. Quand je ne me mets pas tout seul dans les ennuis, je me charge de récupérer ceux de mes amis. Alex est grande gueule, un tantinet moqueur, mais pas méchant pour deux sous et pour le coup je ne suis pas sûr qu’il fasse le poids. Est-ce que pour autant je serai plus à même d'éviter les coups ?

  • Merci, commencé-je pour tempérer ses ardeurs, ce fut un duel dès plus sympa, on remet ça quand tu veux.
  • Fais pas le malin Zach, la prochaine fois que nos routes se croiseront, je ne serai pas aussi tendre et il n’y aura pas une ligne d’eau pour nous séparer, je ne retiendrai pas mes poings. En attendant, je me casse. Bon bain les sirènes.
  • Quoi qu’est-ce que t'a dit ? s'emporte Alex.
  • Laisse tomber, il n’en vaut pas la peine, son égo en a pris un coup, soufflé- je en retenant Alex par le bras.
  • Tu le connaissais ? m'interroge Paul, soucieux.
  • Non, c'était la première fois que je le voyais.
  • Pourtant, lui avait l’air de te connaître, insiste Alex.
  • Peut-être que nous l'avions croisé lors de nos séances de natation. En attendant passons à autre chose, j’ai bien envie d'une bonne demi heure à fond. Ça vous tente de pulvériser le record de Oliver.
  • Quoi, s'écrie le duo, trente longueurs en trente minutes, impossible.
  • On tente, à cœur vaillant rien d’impossible, lancé-je avant de disparaître sous l'eau.

J’enchaîne les aller retour avec détermination pour me vider la tête. Il est clair que ce n'était pas des paroles en l’air. Derrière les propos de cet homme se cachaient des menaces. L'étourderie d'Alexandre n'était qu’un prétexte pour entrer en contact. Je me demande s'il ne nous avait pas repéré et était venu se mettre au bon endroit au bon moment. Un coup monté de toute pièce pour me provoquer, cette idée tourne en boucle dans mon esprit. Dois-je prendre au sérieux ses dires ? Ne suis-je pas en train de me faire un film ? Si Alex et Paul n'avaient pas été là, j'aurais pu le penser. Est-ce qu'on suivrait mes moindres faits et gestes ? Dois-je me montrer plus prudent encore ? Les longueurs défilent effaçant peu à peu mes questionnements. Elles sont bénéfiques et m'apaisent. Chaque mouvement de bras libère l'énergie nécessaire pour tenter de réussir l'objectif. Le but à atteindre est une source inépuisable qui me maintient à flot. Léa a raison, je dois informer Paul et Alex de ce que je sais. Et en temps voulu, je ferai de même avec Oliver.

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