Rien n'est simple ...

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Trente longueurs, une performance à la hauteur de celle de mon ami, à une minute prêt j’aurai pu faire sauter le compteur. Finalement, partager le record avec Oliver me convient tout aussi bien. Même si je reste un compétiteur, plus que le résultat, à cette heure, l’essentiel réside ailleurs. Après les efforts, le réconfort d’une douche est une douce promesse. Le jet dénoue les tensions musculaires liées aux allers-retours et au coup de stress après ma rencontre avec un bouledogue. Avant de pénétrer dans le vestiaire commun pour m’habiller, j’inspecte les lieux pour m’assurer de ne pas nous retrouver nez à nez avec le molosse. Pourquoi aurait-il pris la peine de m’attendre, si ce n’est pour s'assurer que ses mots ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd.

Le lieu est désert à mon grand soulagement. Je me dirige vers mon casier, ouvre la porte et un nouveau mot doux de mon admirateur secret tombe à mes pieds. Si seulement, cela pouvait-être le cas. Je préférerais trouver pour une fois, des paroles chaleureuses. En lieu et place, il s'agit d'un avertissement sans frais: même écriture, même fautes. Depuis une semaine, ils deviennent récurrents et confirment mes soupçons. Ma tête inquiète Paul qui s’approche aussitôt.

  • Tout va bien Zach, on dirait que tu as vu un fantôme ?

Il ne pense pas si bien dire. Quelque chose aurait dû m’interpeller, maintenant que j’y repense.

  • Je ne sais pas trop, il faut que je vous parle d’un truc.
  • Ça a un rapport avec le balourd de tout à l’heure ?
  • Oui peut-être, avoué-je du bout des lèvres.
  • Tu as des problèmes ? me demande Alex qui nous a rejoint.
  • J’ai bien peur que vous vous retrouviez mêlés à mon affaire.
  • Vas-y crache le morceau, m’ordonne Paul, soucieux.
  • L’histoire est un peu longue et j’aurai surtout besoin d’un conseil.

Je m’assois sur le banc et commence à leur détailler la situation. Je leur parle de mon travail d’investigation avec mes collègues universitaires. Avant que j'aille plus loin dans mes explications, les deux viennent prendre place à mes côtés. Je déballe l’essentiel, ne voulant pas les effrayer. Puis, j’en viens au moment de ma rencontre avec le jeune de la semaine passée et de sa fameuse lettre d’aveux au sujet du petit ami de Oliver.

  • Tu veux parler de Dylan ? laisse échapper Paul.

Tour à tour, leurs visage blanchissent, leurs regards deviennent insistants, leurs yeux interrogateurs. J’en ai trop dit pour faire marche arrière et pas assez pour leur permettre des commentaires.

  • Oui et de sa mort, lâché-je sans détours.

Leurs corps se figent. Un homme rentre dans la pièce, imposant mon silence. Même s’il s’agit d’un des anciens du cours d’aquagym, je préfère me montrer prudent. Le sourire bienveillant qu’il nous adresse se veut rassurant et ses propos tout autant.

  • Vous avez bien fait de lui clouer le bec à cet arrogant.
  • Je ne voulais pas perturber votre séance, m’excusé-je.
  • Ne t’en fais pas, il mérite qu'on le remette à sa place depuis le temps qu’il joue au caïd.
  • Qu’entendez-vous par là ? intervient Alexandre resté jusqu’à présent silencieux.
  • D’habitude il vient le mardi, il nage et ensuite fait ses petites affaires.
  • Comment ça ? demandons-nous en chœur.
  • Oui j'ai repéré son manège, il attend ses clients pour leur vendre sa came. J’en ai parlé au gars à l'entrée, il m’a dit qu’il prenait note de mes inquiétudes, mais pour l’heure rien n’a changé. Je me suis demandé s’il n’était pas de mèche.
  • Stephen ? lance Paul surpris de cette révélation.
  • Non, lui est adorable, je parle de Clément.
  • Il travaille uniquement le mardi ? les interrompé-je.
  • Non, il est aussi là les vendredis, mais de ce que m’a dit mon amie Paola avant le cours, il aurait démissionné.
  • Vous pourriez me le décrire, si ça ne vous dérange pas ?
  • Oh oui, élancé, des cheveux mi-longs, et des tatouages sur chacune de ses phalanges.

Cette précision infime soit-elle me confirme qu’il s’agit bien du même gars. Je commence à comprendre pourquoi la montagne de muscle s'est pointée ce vendredi. Je n'étais pas son unique cible. Il cherchait Clément. Mon sang se glace à la simple idée qu’il ait pu lui faire la peau et d'être le suivant sur la liste.

  • Allez jeunes gens, je vous laisse, heureux d’avoir fait votre connaissance.
  • Pourrais-je vous demander une dernière chose ?
  • Si je peux vous être utile en quoi que ce soit, n'hésitez pas.
  • Puis-je transmettre vos coordonnées à un inspecteur ? demandé-je, nous collaborons sur une enquête sur un trafic de stupéfiants. Vous pourriez lui apporter quelques informations complémentaires et des pistes à explorer.
  • Voici ma carte de visite, je me tiendrai à sa disposition s’il le désire. Zach, c’est bien ton prénom ?
  • Tout à fait, confirmé-je en lui serrant la main.
  • Au pire, tu sais où me trouver, vendredi, quinze heures, bassin trois, aquagym, énonce-t-il en enfilant sa doudoune, je ne raterai cette séance pour rien au monde.
  • Merci pour votre aide, à très bientôt, le salué-je au moment où il franchit les portes battantes.

Je consulte le bout de papier où se trouve les coordonnées et découvre avec stupéfaction : Hector Héliot, détective à la retraite. Ce petit rajout à la main, sur le bout cartonné me fait sourire. Je constate que même après une carrière sur le terrain, on ne raccroche pas si facilement et on ne cesse de garder un œil affuté sur des comportements suspects. Je range dans mon portefeuille, la fiche à côté de la lettre de menace. J’ajouterai les deux au dossier.

  • Zach, on peut finir cette discussion ailleurs, j'ai besoin de prendre l'air, me propose Paul.
  • Carrément, je te comprends, acquiescé-je en attrapant mon sac.

En passant à l'accueil, nous croisons Stephen, il est en grande discussion avec un gars. Je m'approche d'eux désireux d’obtenir des compléments d'informations. Alex et Paul s'éloignent pour me laisser le champ libre.

  • Tiens, le nouveau champion de la piscine, m’interpelle le maître nageur.
  • Je me serai passé de faire autant de remous, m’excusé-je encore une fois.
  • T'inquiète, je préfère ton attitude à la sienne. J’ai vu le moment où j'aurais dû vous séparer et vous virer à coup pied dans le cul. En tout cas, je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais il est parti furax.
  • Si je vous avoue que je ne le connaissais pas, vous ne me croiriez pas ?
  • Ah ouais, eh bien maintenant pas sûr que tu l’oublies d'aussitôt.
  • À ce sujet, vous pouvez peut-être m'aider. Est-il un habitué ? Connaîtriez-vous son nom ?

Leurs regards se croisent, je vois dans leurs yeux qu’ils cherchent une réponse. Puis Stephen se lance :

  • J’ai entendu mon collègue Clément l'appelait Aron, un jour que je venais prendre sa relève.
  • Je confirme, m'annonce le maître nageur, il vient tous les mardis, il nage une vingtaine de minutes et avant que les lycéens se pointent pour leur cours, il se casse. J’ai toujours trouvé ce timing étrange.
  • Vous pensez que je pourrais demander à Clément ? tenté-je.
  • Je t'aurai bien dit oui, mais il a démissionné sans raison en début de semaine et depuis plus de nouvelles. Ça faisait quelque temps qu’il n’avait pas l’air bien, j’ai essayé d’en discuter avec lui mais il m’a envoyé sur les roses me demandant de m’occuper de mes fesses.
  • Tu n’aurais pas son numéro de téléphone par hasard ?
  • Je vais regarder, je dois pouvoir le trouver dans nos fiches de poste.

J'observe Clément chercher dans ses papiers. À sa tête, je comprends qu’il ne trouve rien. Il se pose devant son clavier d’ordinateur portable, ouvre plusieurs dossiers et me regarde avec un air désolé.

  • C’est étrange, il n'y a plus rien, comme si tout ce qui le concernait avait disparu, évaporé.
  • Tu sais s’il bossait ailleurs ?
  • On ne discutait pas tellement, il était très discret sur sa vie privée. Une fois, il m’a dit qu’il voudrait animer des soirées comme DJ mais qu’il avait merdé. Quand j'ai essayé d’en savoir plus, il m’a dit de rester à ma place. Je n'ai pas insisté. Tu veux que je me renseigne auprès de la direction.
  • Non laisse faire, tu m’as déjà bien aidé. Par contre si le fameux Aron repasse, tu peux me prévenir ? Voici mon numéro. Merci pour tout, bon week-end.

Je rejoins mes amis devant l'entrée, le plus dur reste à faire, leur révéler l'impensable. Mon estomac se noue, par où commencer ? Dois-je tout leur balancer de bout en bout, sans détours ? Me contenter de leur lire les aveux et les mettre devant la scène. J’ai conscience que je vais réveiller des souvenirs douloureux.

  • Zach, lance-toi, on en a discuté avec Alex et on est prêt à entendre le pire.
  • Vous voulez le faire dans la rue ?
  • Non, suis-nous.

Mon sang se fige dans mes veines, le temps semble s'être arrêté, je ne m’attendais pas à me retrouver dans le parc où le drame a eu lieu.

  • Vous êtes sûrs ? demandé-je, déstabilisé.
  • Oui, affirme Paul en prenant la main d’Alex.

Nous avançons jusqu'à un banc proche d’un érable. Derrière, des enfants font du patin à glace sur une étendue d'eau gelée. Je les envie. Un peu plus loin, un groupe d'adolescents a improvisé une bataille de boules de neige. Le monde qui gravite autour de nous est plein de vie. Pourquoi devrais-je gâcher un tel moment d'insouciance ? Une notification me fait sursauter. Je jette un coup d'œil rapide pour voir une enveloppe clignoter, il s'agit de Lucas. En quelques mots, il vient de me donner le courage de me lancer : “si ça te dit passe après le match de hockey à l’appart”. Un pouce suffit à valider son invitation. Je range mon portable et au moment de m'asseoir, mes yeux s'arrêtent sur un mot gravé sur l’assise : “Ici,un ange s'est envolé” et trois initiales PAO enlacent une quatrième, un D. Pas besoin de dessin, les mots sont forts.

  • J’ai une lettre d'aveu à vous lire. Le mec me l’a dictée avant de disparaître. Je pense qu’il s’agit du fameux Clément.
  • Tu penses pas qu’il ait pu te baratiner ? m’interroge Paul
  • Il y a trop d'éléments à l’intérieur qui disent le contraire.

J’ouvre mon ordinateur portable pour récupérer la copie du document. Je prends une grande inspiration avant de commencer.

Je ne pourrais jamais oublier que nos actes ont des conséquences et les avouer au travers de ces quelques mots me permettra qui sait de soulager ma conscience pour reconstruire ma vie. Je n’aurai jamais penser que ce soir-là, je deviendrai le témoin d’un meurtre. Pourquoi ne pas tout raconter au lendemain de cette ignominie ? La lâcheté, d'un homme devant sa faiblesse, la peur de finir au fond d'une prison sans sortie de secours. Je n’ai aucune excuse si ce n’est celle de vouloir protéger mon meilleur ami. Je ne savais pas que je deviendrai cette main assassine. Pardonnerez-vous un jour mon manque de discernement, d’intelligence ? Quand j’ai réalisé ce qu’il se passait, il était trop tard, son corps était étalé dans l’herbe. Dylan n’a pas eu le temps de souffrir enfin je l'espère au plus profond de mon âme. Depuis cette nuit, son visage m'obsède à chaque fois que je ferme les yeux, mon sommeil a disparu avec son dernier souffle. La dose d’Antelax qu’il a reçue ne lui a laissé aucune chance. Je me dégoûte, j’ai été un spectateur passif. J’ai regardé, sans pouvoir faire quoi que ce soit. Avais-je d'autres choix ? Je ne le saurai jamais. Ne cherchez pas à me retrouver parce que je ne viendrais pas témoigner. Mes aveux signent mon arrêt de mort. Ne me parlez pas de protection des témoins, le boss s'en fiche, celui qui est derrière tout ce merdier a le bras long, et je ne suis qu’une entité minuscule dans son monde de rapace. Mais sachez que Dylan n’est pas mort d’une overdose comme l’a noté Monsieur Roll sur son rapport. Foutaise…“

Un vent glacial vient conclure ma lecture, machinalement je remonte la fermeture de mon blouson. Les rires des enfants comblent le silence. Des flocons dansent autour de nous. Le lampadaire s'éclaire, une lueur dans ce moment pesant. Je reprends mon souffle et attends que l’un des deux prennent la parole. En seront-ils capables ? Quand Alex se lève d’un coup d'un seul pour hurler :

  • Putain, quel connard !
  • Calme-toi Alex, lance Paul en l’attrapant par la taille.
  • Oliver avait raison depuis le début, il n’a jamais cru à l’overdose, bredouille Alex entre deux sanglots.
  • Fais chier, lâche Paul, il faut lui en parler, il doit savoir et peut être ça lui permettra d’avancer.
  • Il faut que ce soit toi qui lui dise, m'annonce Alex.
  • Je le ferai, confirmé-je.
  • Et tu penses que l'autre barjot est dans le coup ? s’emporte Paul.
  • C’est ce que je vais tenter de découvrir.
  • Zach, tu devrais laisser faire la police.
  • Je bosse avec eux, je vous rappelle que mon coloc est inspecteur.
  • Ouais mais quand même, tu penses que l'autre était là par hasard à la piscine, soupire Paul.
  • Si c'était le cas, maintenant je connais sa tête et je devrai pouvoir le cibler.
  • Fais gaffe, on apprend à te connaître, hors de question de faire ton éloge funèbre, me balance Alex.
  • T’es con, l’engueule Paul.
  • T'inquiète, Alex a raison, je me tiendrais sur mes gardes et vous aussi. Je dois vous laisser, mes potes m'attendent à la patinoire pour le match de hockey au sommet.

Avant de partir, Paul et Alex me prennent dans leur bras, leur chaleur me réconforte. Quelques soient la suite de mes investigations, je pourrais compter sur eux. Je me dois d'être honnête et ne pas laisser planer le mensonge qu'on a voulu leur faire gober. Dylan mérite que la vérité soit faite.

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