Coup dur

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Une pause par la maison, un luxe que je m’accorde bien volontiers. Cette semaine, cette journée, même cette dernière heure ont été des plus éprouvantes. Rien n'est simple et tout pourrait rapidement devenir compliqué. Deux choix s'offrent à moi, gagner du temps et débuter ce sonnet pour synthétiser nos avancées ou m’effondrer sur le lit pour bouquiner en attendant l'arrivée de Alexis. La facilité et la procrastination sont un doux vœu auquel je pourrais accéder sans forcer. Pourtant, trop de choses se bousculent dans ma tête et si je ne fais pas un minimum de place, mon disque dur interne va disjoncter. Résultats, au lieu d’avancer, je me retrouverai dans une impasse. Ma décision est prise, j’ouvre mon ordinateur.

Première étape: envoyer des éléments à Jérémie pour qu’il recherche dans sa base de données, d’éventuelles informations sur le gros lourdeau de Aron et sur les fameux tatouages sur les phalanges de Clément. J’ai besoin que mon ami me confirme que mes divagations n’en sont pas. La seconde : débuter le poème, une commande incongrue de Harry et de Monsieur Asselin. Je les retiens.

Comment débuter ? Lister les éléments prioritaires. Je devrai demander l’aide de Richard, il est le roi en la matière. Il me dirait avec beaucoup de douceur, de noter ce qui à mes yeux est important puis de les reprendre point par point en ne gardant qu'un mot clé. Alors je me penche sur les notes de chacun de mes partenaires. Ils m'impressionnent. Tim et Clovis ont abattu un travail considérable. Toute la semaine, l'un et l’autre ont épluché les différentes réglementations pour obtenir l'accès aux documents des pays concernés. Chaque état à son cadre légal aussi nous ne pouvons pas faire n'importe quoi au risque de ne pouvoir exploiter ce que nous trouverons.

Evan, de son côté, avait pour mission de farfouiller sur internet. Le prof d'informatique nous a bien aidé en nous montrant les subtilités du moteur de recherche Google et plus précisément l’application maps. Cette méthode des plus simples permet de géolocaliser les événements dignes d'intérêt. Un clic droit sur un emplacement précis nous permet de copier la latitude et la longitude affichées. En cliquant sur l’option « What's Here » puis en doublant notre recherche sur TweetDeck, nous restreignons nos investigations à un périmètre précis pour obtenir tous les tweets ou toutes les images sur les réseaux sociaux à propos de l'endroit ciblé.

Léa s’est chargé de fouiner dans le cadre restreint de l’université en épluchant les différentes coupures de presse de nos prédécesseurs. Minutieuse et avec une patience hors du commun, elle a lu une montagne d'articles. Heureusement, Léo a proposé son aide. De ce qu’elle m'a avoué, ils ont passé trois soirs consécutifs le nez dans les archives en restant jusqu'à point d’heure sur le campus. J’ai restreint son enquête aux cinq dernières années. L’Antelax a pris vie dans les ateliers de recherches où travaillait ma mère, j’en ai la certitude et les notes fournies par mon amie me le confirment. Elle a aussi mis le doigt sur un article relatant la venue d’un laborantin français. D'après les mots du journaliste en formation, le spécialiste aurait bossé en collaboration avec un groupe d'étudiants en biochimie sur les recherches qu’il réalisait avec ses collègues français. L’interview de l’époque évoque une particule dérivée du cannabis pour soulager les malades du cancer. Léa a obtenu le nom du journaliste et nous avons fixé un rendez-vous avec lui en milieu de semaine prochaine. Cette piste reste la plus intéressante.

Allez je me lance, donc si je fais appel à mes souvenirs de mes cours de français de première, un sonnet est composé de deux quatrains et deux tercets. Les rimes s’entrelacent avec un code précis ABBA ABBA CCD EED et pour ajouter un peu de piment, il me faudra tisser le tout en alexandrins, douze syllabes, rien de plus. Harry et Monsieur Asselin sont vraiment sympas de me torturer ainsi. Je cherche par où commencer, parce qu'il faut que ce soit clair pour les deux et incompréhensible pour les fouineurs. Je me dois de donner du sens à mes propos.

Dans le matin naissant, dans l'herbe, un corps, sans vie.

Ce soir, nous collons les pièces de son histoire.

Il est tombé dans un terrible traquenard

Derrière ce bazar, un terrible délit.

La première strophe est venue sans que je m’y attende. Je me surprends à n’avoir à faire que peu de corrections pour rentrer dans le code de l’exercice. Rien de surprenant, combien de poètes ont utilisé les mots pour soulager leurs maux ?

Dans le champ se cache un homme au rôle précis

Qui efface les traces, tapit dans le noir

Égratigne sans nul scrupule sa mémoire.

Ne négligeons pas ce double crime impuni.

Les vers s'enchaînent avec fluidité, le texte coule de mes doigts au clavier. Je me sens à chaque phrase plus léger, comme le musicien qui transforme sa partition en une mélodie sans heurts. Les sonorités s'étalent, je murmure ma composition. Sur un coin de table, je déballe mes pensées, sur mon portable, mes émotions s’étalent. Je remballe mes larmes, abandonne mes idées ainsi mes progrès résonne en écho à mes rimes brodées. Oula je crois que mon cerveau bouillonne et déborde, sur le point de s'envoler. Quand une voix dans le lointain me ramène dans la réalité.

  • Zach, Alexis t’attends, me crie Harry en bas de l’escalier.
  • Deux minutes, réponds-je en réalisant l'heure.

Je saute de mon lit manquant de m'assommer à la poutre. Je file récupérer un polo, une paire de chaussettes et un caleçon dans la commode. Le trio rejoint mon ordinateur dans mon sac à dos au cas où je resterais dormir chez Lucas. Son dernier message ressemblait à une invitation. J’éteins la lumière, ferme la porte et descends les marches d’escaliers en courant. Alexis et Harry discutent dans la cuisine. Chacun donne son pronostic sur le résultat du match de ce soir.

  • Quelle efficacité, s'enthousiasme Alexis me voyant entrer.
  • Oui, je ne voudrais pas arriver en retard pour la rencontre au sommet.
  • Tu ne penses pas si bien dire, ajoute-t-il avec un grand sourire. S’ils gagnent, ils joueront les play-off.
  • Alors ne faites pas attendre les champions, vous voulez une escorte pour vous ouvrir la route, nous charrie Harry.
  • Non, j’ai prévu une petite marge au cas où, le rassure Alexis.
  • Alors tâchons de ne pas la faire fondre comme neige au soleil, précisé-je, connaissant la ponctualité de mon ami.
  • Zach, aucune chance avec le froid de canard qu’il fait ce soir, insiste-t-il en remontant la fermeture de sa parka.
  • Eva ne vient pas ? l'interrogé-je, surpris.
  • Si, nous la récupérons au passage. Elle faisait des emplettes avec Rose.
  • Bon match les jeunes et soyez prudents sur la route, nous conseille Harry d’un ton paternel.
  • Ne t’inquiètes pas, le rassuré-je avant d’ajouter que je resterai sûrement dormir chez Lucas.

Nous arrivons sur le trottoir, les flocons redoublent, la soirée s'annonce mouvementée. Pour l’heure, la route est encore bien dégagée. Nous arrivons rapidement à l'entrée de la rue Saint Catherine où les filles nous attendent. À peine nous ont-elles repéré qu’elles se précipitent à l’intérieur de l’habitacle.

  • Tabernacle, il fait un froid sibérien s’écrie Rose en refermant la portière, allez fonce grand frère.
  • Oula jeune fille, nous arrivons à l'heure, la tempère aussitôt Alexis.
  • Je veux arriver avant le coup d'envoi, insiste Pink Lady qui se dandine sur le siège arrière.
  • Mais qu’est-ce que tu fous ? balance son frère la voyant gigoter, attache-toi.
  • Je me change, grand Benet.
  • Pourquoi ? Tu es très bien comme ça, suggère-t-il en évitant de jeter un coup d'œil dans son rétroviseur intérieur.
  • Ah non on ne peut pas arriver sans la tenue officielle, sermonne-t-elle son frère, d’ailleurs nous avons acheté un polo pour chacun.
  • Ah, soupire Alexis sous le regard amusé de Léa.

L’effervescence qui règne autour de l’enceinte sportive est comparable à celle des abords des stades de foot le soir d’affiche incontournable. Je me revois enfant, encadré de mes parents. Chacun me tenait la main afin que je ne m’égare pas dans la foule. Ils avaient opté pour la version main dans la main pour se frayer un chemin au milieu des fans parfois un peu trop énervés au goût de maman. Le plus drôle, une fois installée dans le kop, Stella devenait une furie sous le regard attendri de Joseph. Mon père appréciait son tempérament de feu et souriait en la voyant affirmer son mécontentement quand nos voisins de gradins balançaient sans aucun remord un tas d’insanité. Le plus étrange, personne n’osait demander des comptes et essayait de se contenir, une petite victoire qu’elle savourait. Par contre quand l’équipe s’éteignait ou manquait d’enthousiasme, elle se levait et criait à plein poumon que rien n’était terminé tant que l’arbitre n’a pas sifflé pour annoncer la fin de la rencontre.

  • Zach, j’ai réservé une place juste entre toi et moi pour Lucas, m’annonce Rose en ne se privant pas de fleurir ses propos d’un clin d'œil appuyé.
  • Cool, merci.

L'ambiance est électrique dans les tribunes. D’un côté, les maillots blanc de l’université de Toronto tapissent les allées nord et de l'autre les grenat de Montréal garnissent le reste. Le contraste de couleurs scinde le lieu en deux parties distinctes. Les chants s'élèvent au moment de l'entrée des artistes dans l’arène. Deux mondes se côtoient, les sportifs derrière leur paroi de verre et les supporters sur leur banc en pierre. Même si l’air est glacial, une communion se crée entre chaque protagonistes.

  • Regarde Noah vient d'entrer, me secoue Rose.
  • Comment le reconnaître, avec leur tenue ils se ressemblent tous.
  • C'est simple, c’est le gardien, se moque-t-elle en me tirant la langue.
  • Oui c'est vrai que maintenant que tu le dis. Avec sa carrure, pas sûr qu'il reste de la place pour que le palet passe.

La fédération ne lésine pas avec la sécurité des artistes. Dans leur carapace, les joueurs sont à l’abri du moindre coup. Aussi, il est bien difficile de les identifier sans leur numéro. Léo entre à son tour, sous les acclamations du public. Il est le meilleur buteur de l'équipe. La ligue professionnelle lui fait les yeux doux. D'après Léa, dans la zone VIP, se trouvent des agents en quête de pépites. Elle m’a précisé qu’il aurait pu franchir le pas il y a deux ans mais avant il souhaitait terminer son cursus universitaire.

Le “bully” pour les puristes est donné, l’engagement pour les novices. D’un coup , Rose se met à hurler pour encourager son chéri qui vient de réaliser un premier arrêt. Sur leurs patins, les hockeyeurs vont à cent à l’heure. Les impacts sont impressionnants. Les deux camps ne se font aucun cadeau. Comment peuvent-ils sortir indemne après la multiplication des chocs. Dans le sport, les spécialistes usent et abusent de métaphores sur le lexique de la guerre. Combien de fois j'ai entendu des journalistes ou des entraîneurs au cours de conférences de presse dire qu’ils avaient gagné la bataille du milieu de terrain, que leur équipe était composée de guerriers, ou encore malheur au vaincu.

Le premier tiers temps se conclut sur le score de parité, aucun but n’a été marqué. Les joueurs regagnent leurs bancs avant de filer aux vestiaires. Dans les travées du stade, les cris des fans ont cédé la place à des bavardages divers et variés. Alexis et Eva sont tellement mignons, main dans la main, lèvres scellées, ils s'accordent un moment tendre. Rose et Léa échangent sur les exploits de leurs petits copains. L’une et l’autre pourraient en faire des tonnes, surtout connaissant Rose, pourtant elles se contentent de mettre en avant leur jeu. Les règles n’ont aucun secret pour les deux jeunes femmes, pour ma part je tente au fur et à mesure de les dompter. Le concept du hors jeu s’applique également dans ce sport. Je l’ai découvert quand Rose s'est levé en hurlant à l’arbitre qu’il devait s'acheter des lunettes, au demeurant, il en portait une paire sur son nez.

La partie reprend, la tension monte d'un cran lorsque l’adversaire trompe la vigilance de Noah. L’attaquant de Toronto réalise un petit exploit, son but éteint la salle. Mais la lucidité et la pugnacité des coéquipiers du gardien permettent de revenir au score dans la minute suivante provoquant une déferlante de cris. Lucas choisit ce moment pour apparaître dans mon champ de vision.

  • Tu arrives juste au bon moment, déclame Rose entre deux hourras.
  • J'ai eu un peu de mal à me libérer. Avec le match, le bar ne désemplissait pas et je ne voulais pas laisser mes potes en galère. Mais Jacques m’a dit de déguerpir, que j’avais fini mon service et qu’il se débrouillera.
  • Il a bien fait, je connais un beau gosse qui se languissait de ton absence, balance Rose en me prenant le bras.

Le brouhaha avale ses dernières paroles. Des hurlements suivent, accompagnés de sifflements hostiles. Léa vient s'agripper à mon bras libre, livide.

  • Que se passe-t-il ? demandé-je inquiet.

L’arrivée de Lucas et les taquineries de Rose m’ont distrait. Mon regard s’est détourné un bref instant de la glace. Quand mes yeux se portent à nouveau sur la piste, l’angoisse me saisit. Un joueur est allongé au sol, ses partenaires l'entourent et l'entrée du staff médical ne laisse présager rien de bon.

  • Léo, souffle Léa avant de s’effondrer en larmes.

Son corps tremble et je la serre dans mes bras, tout en gardant un œil sur l’écran géant qui montre le déroulé de l'action. Mon ami partait au but quand deux adversaires sont venus le prendre en sandwich. Jusque là, rien de surprenant, l’engagement sur le terrain est toujours à la limite du raisonnable. Les arbitres sanctionnent les comportements trop durs avec des exclusions temporaires. Le ralenti montre un geste qui n’a pas sa place dans une enceinte sportive. Le numéro deux a utilisé sa crosse pour couper la route du buteur. Léo n'a pas eu le temps d’amortir sa chute. Son casque a volé à l’impact et son visage s’est écrasé violemment sur le miroir gelé.

  • Tout va bien, tenté-je de rassurer Léa.
  • Je veux aller le voir, me supplie-t-elle.
  • Suis-moi, nous allons essayer de nous approcher.

J’ouvre la route pour nous frayer un passage dans la foule furibonde. Lucas nous accompagne. Léa, calée entre nos deux carcasses, avance en mode automatique. Dans ces moments, les secondes semblent devenir une éternité et je comprends l’angoisse qui l'habite. Quand nous arrivons à hauteur des bancs du coach, il est vide. Tous les partenaires de Léo, en cercle autour de lui, le protègent. Noah, en tête de liste, cache au caméra le déroulé des opérations. Je tape sur les protections qui encadrent le terrain pour attirer l’attention de l'équipe des coachs. Aucune réaction, leur attention se porte sur leur protégé.

Lucas tente une approche différente et se dirige vers le couloir où le service d’ordre garantit la sécurité des joueurs à leur entrée aux vestiaires. Il nous fait signe de le rejoindre.

  • J’ai expliqué le contexte, il est ok pour nous donner l'accès aux vestiaires, m’annonce Lucas.
  • Oh merci Lucas, s'écrie Léa tout en se jetant dans ses bras.
  • Léo à la tête dure, ajoute Lucas en resserrant à son tour l'étreinte.

Nous longeons le mur dans un silence glacial, quand les pompiers font leur apparition. Leur pas couvrent les sanglots de mon amie. J’attrape mon téléphone pour envoyer un message : “Oliver, tu es de garde ?”. Le réseau fait à nouveau défaut, laissant ma demande sans réponse. Quand les brancardiers apparaissent avec leur blessé, mon pouls s'accélère avant de ralentir, soulagé. Léo est conscient et nous adresse un sourire rassurant. Le médecin urgentiste nous fait signe d’approcher avant de pénétrer dans le camion. Dans l'instant suivant, il accorde à Léa de les accompagner. De toute façon, il est impossible de détacher sa main de celle de son cher et tendre.

  • Zach, ce n'est pas un accident, me lance mon ami avant que les portes se referment.

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