15 mars 2020 (Jardin secret)
Elle : « Non, mais sérieux ?!?
Moi : - Qu’est-ce que t’as encore à râler ?
Elle : - On est en pleine crise sanitaire, tu dois rentrer chez toi et voter, et qu’est-ce qu’on fait, nous ? On se retape la campagne belge ! Et un cimetière militaire de plus !
Moi : - Tu es au courant pour le machinvirus, toi ?… Eh bien au moins, ici, on ne risque pas de tomber sur des foules de gens !
Elle : - Ah ça non ! Comme d’habitude, on est en plein désert !
Moi : - Désert, c’est vite dit ! On est à moins de trois kilomètres d’Ypres…
Elle : - Eh ben voilà ! Incapable de rentrer chez toi en ligne droite après un dimanche en famille ! Nous revoilà à nous remanger de la cambrousse pour le plaisir de madame ! Et donc, il n’y a pas la crise du truc, ici ?
Moi : - Il y a la crise du "truc", comme tu dis, partout en Europe, mais ici en particulier, le seul virus qu’on risque de choper, c’est celui de la grippe espagnole, et encore, en creusant profond.
Elle : - Plus rien ne m’étonnerait venant de ta part.
Moi : - Donc tu sais que c’est au contact des gens qu’on risque d’être infecté ?
Elle : - À ce qu’il paraît.
Moi : - Et tu vois quelqu’un dans le coin ?
Elle : - Pas un rat, comme d’hab’.
Moi : - Bien. Tu as le sens de l’observation. Mais quel mauvais caractère, quand même… Les sautes d’humeur ne faisaient pas partie des options à l’achat, me semble-t-il… À part ça, tu ne m’as pas répondu tout à l’heure : comment ça se fait que tu sois au courant pour la crise sanitaire ?
Elle : - Ben, quand t’écoutes les infos sur l’autoradio, j’en profite moi aussi, qu’est-ce que tu crois ! Chuis pas sourde.
Moi : - D’accord, t’es pas sourde. Alors tu dois savoir que c’est peut-être notre dernière balade avant longtemps.
Elle : - Ah ?
Moi : - D’abord, il se peut que toutes les frontières soient fermées avant peu, ensuite on va peut-être tous tomber malades, voire pire.
Elle : - Ah pardon, TU vas tomber malade, TU risques de mourir. Pas moi.
Moi : - Parce que tu te crois immortelle ?
Elle : - Bien sûr. Je n’ai pas d’âme à rendre, moi.
Moi : - Ma pauvre, tu ne sais donc pas que tu peux finir à la casse, sous forme de compression façon César, mais en nettement moins joli ?
Elle : - Ouairk, le César, c’est pas ce gadget qui est devenu subitement tout pourri cette année ?
Moi : - Tu écoutes trop la radio, toi… Bref, une compression, c’est quand un bras mécanique t’arrache le moteur, quand ce dernier est vidé de ses liquides internes, et quand une presse hydraulique finit par te réduire en cube. Et, non, il n’y a pas de vie après la casse.
Elle : - HEIN !!! Non mais c’est carrément gore, ce que tu racontes là !!! Ça va pas la tête de me dire des trucs pareils ? Qu’est-ce qui te prend ?
Moi : - Je te rappelle qu’il n’y a pas une minute, tu faisais la fiérote en me rappelant très sympathiquement que je risquais de mourir et pas toi.
Elle : - Mouais bon, on oublie… On va dire que mes mots ont dépassé ma pensée.
Moi : - Écoute, petite insolente, j’ai prévu qu’on retourne un de ces quatre dans l’Artois.
Elle : - Ah non, pas l’Artois ! Tout sauf l’Artois !
Moi : - Ce sera ta punition. D’ailleurs, tu peux m’expliquer ce que tu as contre l’Artois ?
Elle : - C’est pas carrossable. J’en peux plus des vicinaux là-bas. Et en plus, j’ai des fois l’impression que tu me prends pour un 4x4. Je te rappelle que je suis une Twingo.
Moi : - On finira bien par y retourner, il y a encore plein de coins inexplorés…
Elle : - "Inexplorés", c’est bien le mot ! Tu as le chic pour aller dans des coins où l’essieu d’une citadine n’a jamais posé le pneu. Et puis l’état des chemins, avec ça… Tiens, je préfère encore la Belgique.
Moi : - Je croyais que ça ne te plaisait pas d’être ici ?
Elle : - On se caille moins que l’autre jour, mais… ce n’est pas encore le top. Cela dit, les toutes petites routes sont en bon état. C’est déjà ça. On voit que c’est le pays du vélo.
Moi : - Tu t’y connais en vélo, toi ?
Elle : - Bah ouais ! Bernard Hinault, Laurent Fignon, Greg LeMond, Marc Madiot, Charly Mottet et Jean-René Bernaudeau, voilà.
Moi : - C’est quoi, ça ?
Elle : - Ben, l’équipe Renault-Gitane. Je te rappelle que je roule pour Renault, et que je suis une Renault. J’ai l’esprit corporate.
Moi : - Sans doute, mais… pfiou, ça date…
Elle : - Quoi, les noms que j’ai en mémoire, ça date ?
Moi : - Ben l’équipe n’existe plus depuis longtemps, ça remonte au siècle dernier…
Elle : - C’est quoi, le siècle dernier ?
Moi : - C’était au temps où il n’y avait pas tant d’électronique dans les voitures, où elles ne nous causaient pas… C’était aussi au temps où on ne parlait pas de coronavirus. Bref, presque une époque bénie.
Elle : - Si les voitures étaient muettes, ce n’était pas si béni que ça. C’était comme avant l’invention de l’écriture… La préhistoire, quoi ! »
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