8 avril 2020 (La vie est belle)
Moi : « Hello, girls !
Elle : - Eh bien ça a l’air d’aller ! Tu sembles remise de notre expédition à Carrefour !
Moi : - Moi, j’ai dormi comme un bébé, et depuis ce matin, je ne lis que des bonnes nouvelles dans la presse.
L’autre : - Le monde peut s’écrouler, elle frétille comme un gardon.
Moi : - Et vous, ça ne va pas bien, Madame von Grillplatz ?
L’autre : - Oh, j’ai juste besoin de temps en temps de contempler la ligne de l’horizon en prenant l’air mystérieux.
Moi : - Quelque chose vous chagrine ? Encore que pour être chagrinée, il faudrait avoir un cœur…
L’autre : - N’avez-vous jamais ressenti ce besoin, parfois, de prendre un instant pour plonger la lumière de vos phares dans l’immensité du monde ?
Moi : - La lumière de mes phares ? Non.
L’autre : - N’avez-vous jamais envie de faire le point sur le temps qui passe ?
Moi : - J’avoue que c’est une tentation, ces jours-ci, contre laquelle je lutte vivement. Cela dit, si ça ne va pas, il vaut mieux exprimer votre mal-être.
Elle : - Elle nous fait une grosse crise de Sehnsucht.
L’autre : - Et quand bien même je parlerais, que feriez-vous ?
Moi : - Je n’en sais trop rien. Que diriez-vous de travailler sur votre niveau de conscience ? De reprogrammer votre système cognitif ? Le tout accompagné d’un petit smoothie-détox ?
L’autre : - Vous vous foutez de moi ?
Moi : - Pas du tout. Vous n’avez pas idée des e-mails et des messages qui circulent sur les réseaux sociaux depuis le début de la crise de la COVID-19. Tout le monde y va de sa pointe de sagesse et de sa bonne recette de cuisine pour que le confinement se passe dans la joie et la bonne humeur, parce qu’il paraît que c’est le moment de se reconnecter avec les vraies valeurs et d’être "body positive." Les gens sont tous devenus coachs de développement personnel. Ils font du yoga en chambre sur leur tapis fabriqué en PVC, mais attention, les perturbateurs du système endocrinien que dégage le plastique ne troublent nullement les offrandes au soleil de tous ces braves gens ! Ce qui me gêne plus, c’est le concours d’aphorismes lourdingues qu’on se tape sur Facebook, dans les publicités et ailleurs, du style : "La paix intérieure est le nouveau succès", "Votre voix fait la différence", "Le rire comme les essuie-glaces n’empêche pas la pluie", "Pour vivre heureux, vivez contents", "La chasse aux cons est un safari sans espoir", "Tuer son voisin à coups de sécateur, ça soulage." Et je vous en passe des centaines d’autres ! Je ne peux plus allumer mon ordinateur sans avoir à subir un sermon. Je me lève le matin encore à peu près de bonne humeur, et au bout de cinq minutes on m’assomme avec des messages du genre ″Vis cette journée comme si c’était la dernière.″ Franchement, c’est d’un goût, par les temps qui courent !
Elle : - Ho, calme-toi…
Moi : - J’ai pas envie de me calmer !!! Moi, la sagesse ayurvédique, les principes tao ou la philosophie zen, ça me tape sur le système ! À croire qu’ils sont des milliers à suivre un stage de méditation pleine conscience dans un ashram tellement ça fume sur les réseaux sociaux ces jours-ci ! Si je devais vous faire un résumé, ce serait : ″tant que ce sont les autres qui meurent, tout va bien, on reste cool.″ Personnellement, tant de positivisme béat finit par m’indisposer.
L’autre : - On va faire un échange, si vous voulez. Votre situation contre la nôtre, coincées sur le parking.
Moi : - Pardon, mais le trop-plein de bienveillance, ça me donne des envies de meurtre. Y a pas un chat qui traîne dans le coin ?
Elle : - Mmm, y en a qui peuvent numéroter leurs appentis…
Moi : - Le pire, je crois, ce sont les recettes de cuisine dont on nous bombarde. Entre la recette de ravioles de champignons, le velouté de lentilles corail, le gratin de pâtes en cassolettes, le risotto vert aux fines herbes et champignons, ou même le "veggie méditerranéen", je suis fatiguée des recettes dites "réconfortantes".
Elle : - Ça veut dire quoi, réconfortant ?
Moi : - En théorie, c’est synonyme de "direct sur les hanches". La raclette est réconfortante. La choucroute est réconfortante. Les tartines de saindoux fondant sont réconfortantes. Mais on est en train d’assister à un véritable changement civilisationnel : nous sommes passés du réconfortant traditionnel au réconfortant qui veille sur ta santé. Soit moins de gras et plus de légumineuses. On grossit moins mais on fait plus de gaz.
L’autre : - Manger a l’air tellement compliqué…
Moi : - Il y a juste un truc qui me chiffonne : est-ce quelqu’un sait que nous sommes sortis de l’hiver et que dans deux mois, nous sommes censés rentrer dans nos maillots de bain !? Ça suffit, le réconfortant !
Elle : - T’es sûre, pour les maillots de bain dans deux mois ?
Moi : - Mais le pire dans tout ça, c’est qu’on nous propose QUE des recettes végétariennes !!!
L’autre : - Enfer et damnation.
Moi : - Ça m’inspire un nouvel aphorisme : "C’est le jus de carotte qui sauvera l’humanité." Remarquez, ça change de l’ordinaire, quand il s’agit d’inventer tous les prétextes possibles et imaginables pour affamer les gens en leur disant que c’est pour leur bien.
L’autre : - Vous avez des problèmes aussi avec la cuisine saine ?
Moi : - J’ai des problèmes avec les enquiquineurs qui passent leur vie à faire des plats présentés sur des bouts d’ardoise décorés au vinaigre balsamique, composés de deux feuilles de salade et d’une rondelle de fromage de chèvre rôtie au four, et qui vous persuadent que ça, c’est la folie totale ! Bref…
L’autre : - Sinon, histoire de changer un peu de sujet, vous disiez que vous aviez de bonnes nouvelles ?
Moi : - Oui. Des chercheurs chinois ont montré que les gens de groupe sanguin O sont moins susceptibles d’attraper le coronavirus, comme ceux qui ont eu la rougeole ou sont vaccinés contre cette maladie développeraient moins de complications. Et des expérimentations sont en cours pour déterminer si le vaccin BCG peut prévenir de la COVID-19.
Elle : - Et alors ?
Moi : - Ben je coche toutes les cases : je suis de groupe sanguin O, j’ai eu la rougeole quand j’étais petite et j’ai été plusieurs fois vaccinée contre le bacille Calmette-Guérin.
Elle : - Wouah. Et t’as survécu ?
L’autre : - C’est quand même incroyable le nombre de saloperies que les humains peuvent attraper… !
Moi : - Et en plus je suis une femme. La COVID-machin touche principalement les hommes.
Elle : - Tu t’étais trompée !
Moi : - Tout le monde se trompe en ce moment, c’est devenu un sport national. J’ai bien le droit à me planter un peu moi aussi ! En fait, j’étais venue vous dire que c’est prouvé maintenant, je suis quasi immortelle.
Elle : - Qu’est-ce qu’elle raconte ?
L’autre : - T’inquiète, elle vient de découvrir qu’elle possède un semblant de traitement anticorrosion.
Elle : - Tu crois que mentalement, elle va bien ?
L’autre : - Tu vois, c’est là que nous sommes bien supérieures aux humains. Nous, on supporte l’enfermement. Imagine si une voiture devenait barge parce qu’elle est restée trop longtemps au garage… »
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