24 octobre 2020 (La grande vadrouille)
Elle : « Là ?
Moi : - Non.
Elle : - Et là ?
Moi : - Non plus.
Elle : - Ouh là, t’es bien difficile aujourd’hui.
Moi : - C’est plutôt le paysage qui ne s’y prête pas.
Elle : - Le bois là-bas ?
Moi : - C’est un bosquet. Un peu trop clairsemé. Roulons encore un peu.
Elle : - On cherche quoi, au juste ? Un cimetière militaire, ou bien… ?
Moi : - Ben les deux. C’est casse-pied, parce que maintenant que j’y pense, ça devient un peu plus difficile.
Elle : - Concentre-toi sur autre chose. Fait beau, hein.
Moi : - Ouais. C’est un peu pour ça qu’on est en balade.
Elle : - Ah ! Là !
Moi : - Mais non, derrière la haie, il y a une maison pas loin.
Elle : - Ah oui.
Moi : - C’est ce que je dis à chaque fois, c’est un vrai casse-tête.
Elle : - Et entre deux portières ?
Moi : - Mmm, je n’aime pas trop. Je préfère chercher encore un peu. Si je pouvais trouver l’endroit adéquat, ça m’arrangerait beaucoup.
Elle : - Et t’as déjà pensé, parmi les tombes ?
Moi : - Ça va pas la tête ?
Elle : - Ben quoi ! Les cimetières britanniques étant généralement entourés de murets, on ne te verrait pas… en te baissant bien…
Moi : - Je te rappelle que dans les cimetières, il y a des personnes. À cause de ça, il y a des choses qu’on ne peut pas se permettre.
Elle : - Donc il y a vraiment des gens ?
Moi : - Oui, une tombe, un mec ! Ou un morceau de mec…
Elle : - Et alors, ils sont un peu morts, non ? Ils se fichent bien de ce qui se passe au-dessus d’eux !
Moi : - Non, c’est une question de respect. Honnêtement, il y a d’autres endroits…
Elle : - …impossibles à trouver pour le moment. Alors que des cimetières militaires, ça fourmille dans le coin. Mais c’est de ta faute, aussi ! Toujours à te taper des kilomètres en pleine campagne ! Tu crois pas que ça irait mieux en ville ?
Moi : - Eh bien parlons-en, des cimetières communaux ! À part à Caudry et Calais où il y avait ce qu’il fallait, partout ailleurs, c’est zéro ! Bon, à la décharge des urbanistes qui conçoivent ce genre d’espaces, c’est vrai qu’on ne va pas au cimetière pour ça.
Elle : - Je crois que les gens ne se mangent pas non plus tant de route avant de se balader là-dedans !
Moi : - En tout cas, c’est bien gentil, l’automne, mais ces champs labourés ne font pas DU TOUT mon affaire.
Elle : - Et te retenir ?
Moi : - Eh, ce n’est que la deuxième fois depuis que nous sommes parties ce matin.
Elle : - Quoi ? T’as déjà fait aujourd’hui ?!
Moi : - Ben oui, à Delville Wood.
Elle : - Y a pas eu des morts, dans la forêt ? C’est pas ce que tu m’as expliqué ?
Moi : - Oh écoute, un petit pissou furtif, entre deux vieilles souches !
Elle : - Ben bravo. Tu joues les offusquées quand je te parle de faire ça entre deux tombes, et madame s’en va se soulager sur les anciens champs de bataille ! Mais ça, ce n’est rien !
Moi : - C’était surtout un cas de force majeure ! Merde, après quatre heures sur les routes ! Et puis au moins, ça surprend les fourmis.
Elle : - Je comprends mieux pourquoi tu es revenue avec les chaussures boueuses ! Tu es encore allée dans des endroits improbables !
Moi : - J’ai juste dû m’enfoncer un peu sous le couvert des arbres… OH !
Elle : - Quoi ?… AH ! Un cimetière !
Moi : - D’accord, un cimetière. Ce n’est pas pour ça que je m’exclame, ce n’est jamais que le cinquième de la journée. Non mais regarde à côté ! Je le crois pas !!! Un champ de maïs !!! En cette saison, c’est inespéré !
Elle : - Comment ça se fait qu’il est toujours là, le maïs ?
Moi : - Chais pas. Ils ne l’ont pas encore récolté, heu, moissonné… Je ne sais pas comment on dit, pour le maïs.
Elle : - Maïssonner ?
Moi : - Peu importe. C’est parfait, le maïs. Il faudrait qu’il y ait un champ de maïs à côté de chaque cimetière militaire. Tu vois, p’tite Maguette, on ne le sait pas assez, mais l’absence de lieux d’aisance dans les cimetières du Commonwealth est un véritable problème sociétal dont on ne parle pas suffisamment.
Elle : - En même temps, il y a tellement de problèmes dans le monde à l’heure actuelle…
Moi : - Je ne comprends pas comment les architectes britanniques, qui ont en général pensé à tout, à mettre des bancs pour les visiteurs, à foutre des fleurs partout pour faire joli, à concevoir des petits abris pour se protéger de la pluie, et cætera…
Elle : - Ça c’est normal, il fait tellement mauvais chez eux qu’ils ne pouvaient qu’y penser…
Moi : - …ont pu oublier de mettre des wawas dans leurs cimetières. Je ne comprends pas ! Je ne comprends pas !!! Ça me dépasse !
Elle : - Des nuls !… Allez, va faire ce que tu as à faire, et fais bien attention à toi. Quand tu es revenue l’autre fois avec ton jean déchiré et un genou en sang, j’ai bien cru que tu étais tombée sur une patrouille allemande !
Moi : - Meuh non, sotte, seulement tombée sur la seule surface en ciment de la journée. N’empêche qu’elle est utile, la petite bouteille de désinfectant dans ta boîte à gants, que j’emploie habituellement pour nettoyer le volant et les poignées de portes.
Elle : - Ouais, t’as dû quand même morfler un peu, avec de l’alcool à 90 %… »
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