12 novembre 2020 (Belle époque)
Moi : « Eh ben voilà, il suffisait que je parle immunité l’autre jour, et hop, on nous sort un vaccin.
Elle : - Tu n’iras pas taquiner le tigre en basse Belgique, alors.
Moi : - Non mais je t’ai déjà expliqué que tigre et lama, c’est pas pareil.
Elle : - Toujours à ergoter !… Bon, tu disais, un vaccin ? La crise est bientôt finie, alors ?
Moi : - C’est pas gagné. Les médias nous ont déjà servi un premier sondage qui montre qu’environ la moitié des Français ne se ferait pas vacciner.
Elle : - Et selon toi, qu’est-ce que ça révèle des Français ?
Moi : - Je me demande surtout ce que ça révèle des médias ! Car enfin, ce n’est que le premier vaccin, on ne sait pas encore quand on pourra l’avoir ici, on ne sait pas non plus s’il y en aura pour tous, s’il va être fortement recommandé ou obligatoire, s’il va être réservé seulement à certaines catégories de personnes. Bref, on baigne pour le moment en plein schwartz, mais ça blablate à tout va sur un sondage "mondial" dont on ignore comment les questions ont été posées et aussi à quel moment. Comme les débats autour du Linky, c’est pratiquement fini, et que la 5G, c’est quasiment plié, il faut bien trouver un autre combat !
Elle : - J’avais déjà remarqué : moins il se passe de choses et plus les humains remuent la poussière.
Moi : - C’est tout de même curieux de voir que les Français, qui râlent depuis des mois…
Elle : - Qui râlent depuis toujours, plutôt ! J’ai l’impression que vous naissez en râlant !
Moi : - …dès qu’ils voient une solution pointer à l’horizon, eh bien, ils jouent les snobs et font la fine bouche. Quand on en sera au trentième reconfinement, peut-être qu’à ce moment-là ils se sentiront prêts…
Elle : - Ils sont peut-être tout simplement prudents. Tout est allé très vite. Il devrait y avoir des vitesses maximales autorisées pour la recherche scientifique, comme sur les routes. Pour éviter les accidents.
Moi : - C’est presque profond ce que tu viens de dire là.
Elle : - Ah, mais je ne désespère pas que tu me prennes un jour au sérieux !
Moi : - Mmm, c’est peut-être plus fin que ce qu’un journaliste affirmait hier soir. Il déclarait benoîtement que les Français se lassaient à l’heure actuelle du second confinement, qu’il n’y avait plus la "magie" ni la "découverte" du premier confinement. Je l’ai trouvé un tout petit peu gonflé, le gars. Une "magie" qui s’est soldée par 30 000 morts au printemps. Ça coûte cher du tour de prestidigitation. J’imagine que pour beaucoup de journalistes parisiens, le confinement n’a rien changé à leurs habitudes : ils ont continué à aller au boulot, sauf qu’il y avait nettement moins de monde sur les routes, et ça c’était franchement super pour eux, tu vois. Ah, les petites obsessions des journalistes de la capitale… Il y a six mois, ils glosaient beaucoup sur les caissières des supermarchés, les livreurs à vélo et tous ceux qui étaient en première ligne. À l’heure actuelle, le héros nouveau a changé de visage : c’est le libraire. Lui et sa petite boutique sont les phares de la civilisation occidentale en cette fin d’année. Les JT n’ont jamais autant commenté la fermeture des librairies, devenues soudainement grande cause nationale.
Elle : - Oui, c’est à la radio tous les jours.
Moi : - Il faut voir les micro-trottoirs à la télé où les gens sanglotent presque devant les rideaux de fer baissés des librairies. Que n’auraient-ils pas relu les œuvres complètes de Chateaubriand si on leur avait seulement permis ! À la place, les Français en sont réduits à suivre l’œil humide les derniers JT de Jean-Pierre Pernaud avant qu’il prenne sa retraite.
Elle : - C’est vraiment la mouise.
Moi : - Pourtant, près de la moitié des livres se vendent aujourd’hui dans les supermarchés. Il y a des pans entiers du territoire français où ne se trouve aucune librairie. À quelques kilomètres d’ici, il n’y a plus aucune librairie à Lens et ses alentours. Donc, que les librairies soient ouvertes ou non… À l’inverse, on n’a pas un mot sur la fermeture des bibliothèques municipales qui doivent toucher infiniment plus de gens partout en France. Encore une fois, la réalité parisienne et la nôtre n’est pas forcément la même ! Et le pire, c’est que les grands médias ne savent plus traiter un sujet que par son aspect le plus mercantile. Par exemple, on nous fait croire que la grande libération, c’est le moment où on pourra à nouveau faire du shopping ! Tu te rends compte ?!? Si tu lisais "la liberté, c’est le shopping" dans un roman d’anticipation, tu flipperais, non ? Ça fait penser aux slogans totalitaires de "1984".
Elle : - Hein, il s’est passé un truc, en 1984 ?
Moi : - Parce que l’autre actualité du moment, c’est "sauvons le Black Friday !" "Sauvons Noël !" J’en peux plus !!!
Elle : - Encore des vies à sauver ? Il faut encore renforcer les gestes barrière ?
Moi : - Penses-tu ! Le Black Friday a été inventé pour que tout le monde ait envie de s’acheter le gadget du moment, c’est-à-dire ce qu’on va offrir un mois plus tard à Noël dans l’espoir de faire vaguement plaisir à quelqu’un, pour le retrouver sur E-Bay pas plus tard que deux jours après.
Elle : - C’est donc ça, le circuit court !
Moi : - Non, ça, c’est de la promotion commerciale.
Elle : - Ah ben, les opérations de promotion commerciale, je sais ce que c’est, il y en a aussi dans les garages ! Et donc, Noël, si je suis bien, c’est la deuxième partie de la grande promo ?
Moi : - À peu près. Au départ, Noël était une fête religieuse, qui a un peu tourné bizarrement au XXe siècle.
Elle : - Une fête religieuse, mmm… Ne me dis pas que ça a rapport avec Jésus !?
Moi : - Si.
Elle : - Non ?!? Le retour de Jésus !!!
Moi : - Oui, Jésus revient. Parfois.
Elle : - Et alors, à Noël, il meurt encore une fois ?
Moi : - Non, Pinette. Pâques, ce n’est qu’une seule fois par an.
Elle : - Bah dans ce cas, qu’est-ce qu’il fait à Noël ?
Moi : - Il naît.
Elle : - Ça alors ! Je n’y avais jamais pensé… et pourtant, c’est vrai, il faut bien qu’il sorte de l’usine à un moment donné.
Moi : - Pour te dire mon sentiment, avec un peu de chance, on fêtera moins Noël cette année.
Elle : - Comment ça, "avec un peu de chance" ?
Moi : - Ben, Noël, quand tu n’as pas d’enfants qui traînent à portée de main, c’est gonflant. On mange gras et sucré au mépris de son taux de cholestérol, on s’oblige à dépenser des fortunes à date fixe, et tous les ans en plus ! Noël cette année se fera sans doute en tout petit comité. Ça tombe bien, il y a plein de gens que je n’ai pas envie de voir.
Elle : - Tu finiras toute seule, toi !
Moi : - Peut-être bien. Quand je pense qu’il y a six mois, les gens déliraient à pleines pages de journaux sur le "monde d’après" ! "Le temps est venu pour une nouvelle façon de penser", "le temps est à la décroissance", "le temps est venu de ne plus se mentir". Eh bien, voilà, nous y sommes, dans le "monde d’après" ! Et il ressemble foutument au monde d’avant, le soleil en moins !
Elle : - Forcément, maintenant, on est en hiver. »
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