8 mai 2021, vers 13 heures (Le goût des merveilles)
Elle : « Allez, remue-toi ! Vite ! Il y a un rayon de soleil !
Moi : - Mais laisse-moi manger, bon sang !
Elle : - Non mais il ne faudra pas venir râler parce qu’il n’y aura plus que des nuages dans dix minutes !
Moi : - Oh là là, je ne peux même plus terminer mon sandwich ! On n’est pas aux pièces, zut !
Elle : - Eh bien comme ça tu iras empester ailleurs que dans mon habitacle. C’est quoi, le parfum du jour ?
Moi : - Une tartinade de thon avec quelques feuilles de salade.
Elle : - Rhâââ ! Allez ouste, va faire tes photos !
Moi : - Y a pas le feu au lac : il est prévu que le temps se dégage dans l’après-midi, on va voir de plus en plus de soleil ! Alors, lâche-moi !
Elle : - D’accord, mais vu la densité du cimetière britannique au kilomètre carré dans le coin, tu ferais bien de t’atteler à la tâche ! D’autant qu’il faut être rentrées pour 19 heures !
Moi (prenant une profonde inspiration) : - Aaah ! Y a pas, la Somme, c’est comme un coin à champignons pour moi ! Non mais regarde moi ça !
Elle : - Mmm.
Moi : - Je te sens moyennement enthousiaste.
Elle : - On finit par s’habituer à tout. T’as vu tes rangées de cadavres bien alignés, ça te suffit pour te rendre contente. Tant mieux pour toi.
Moi : - Mais enfin, c’est la première fois qu’on s’éloigne comme ça de Lille depuis février !
Elle : - Ouais, OK.
Moi : - Ça change de la course sur le périphérique de Lille. Une conduite sans stress, dans la campagne, avec de la belle musique… pour créer l’ambiance…
Elle : - Avec l’odeur du thon, je ne vois guère que ″Poissons morts″ pour être totalement in the mood !
Moi : - Et c’est toi qui voudrais retourner au bord de la mer ? (Un silence s’installe) Bon, je n’écouterai plus Julien Clerc avant un certain temps si c’est pour m’attirer de telles remarques.
Elle (sarcastique) : - Mais si ! ″Terre de France″, le 8 mai, c’est le bon moment.
Moi : - J’en étais où, avec tout ça ? … Disons qu’après un semi-confinement moyennement trépidant, la D929 apporte un changement salutaire.
Elle : - Ouais.
Moi : - Quoi, ″ouais″ ?!? Il y a aussi l’intérêt culturel et historique de nos virées ! Et il faut savoir regarder les jolies choses, même modestes.
Elle : - Moui.
Moi : - Dans la vie, il ne faut pas passer à côté de la poésie des détails infimes, de la nature bio qui nous tend les bras, de la beauté des instants spontanés et naturels qui ponctuent nos vies autrement douloureuses, de la magie d’une feuille qui chute en virevoltant, effleurée par la lumière du jour finissant, avant de se poser dans l’onde claire d’un ru oublié…
Elle : - Un ru ???
Moi : - …Et donc, quand je photographie des cimetières du Commonwealth, je capture l’alpha et l’omega, d’un côté la vie, symbolisée par les brins d’herbe, et de l’autre côté, la mort, symbolisée, par… heu, ben, les stèles, quoi.
Elle : - C’est profond. La vie, la mort, c’est on ne peut plus d’actualité. Et pour être tout à fait dans le vent, n’oublie pas de mettre des minorités visibles sur tes clichés.
Moi : - Ça va être dur. C’est pas un coin à Indiens, ici. Les Weppes, c’est rempli d’Indiens de toutes sortes (Sikhs, musulmans, hindous, zoroastriens), mais pas la Somme… Pour faire de l’image pluri-ethnique, je vais devoir débusquer les Australiens, Canadiens et autres, afin de rendre hommage au défunt Empire britannique et bien montrer que je suis 100 % open dans mon approche photographique.
Elle : - Va donc faire tes photos. Je crois que la tartinade thon te monte à la tête. Ou c’est un des effets secondaires du vaccin contre le coronamachin ? »
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