Introduction
Elles tenaient toutes deux plus de l’oiseau de proie que de la femme. Il fallait plisser les yeux pour s’en rendre compte, passer outre la merveilleuse diversion de leur ramage, le chant superbe de leurs voix. Il fallait les observer avec distance, d’une fascination détachée, et ne jamais – Ô grand jamais – entrer dans leur savant ballet. Femmes, pourtant, elles l’étaient, probablement plus qu’aucune autre. Il aurait été aisé de les prendre pour des créatures échappées d’un fantasme masculin, alors même qu’elles s’étaient entièrement dissociées du rapport des genres. Les hommes, pour elles, n’étaient qu’un anecdotique élément du paysage. Le désir faisait tourner leur monde, et ce désir s’incarnait par et pour le beau sexe.
D’abord entre elles. Un œil distrait les croirait heureuses, si bien seules à deux, si profondément tournées en elles que l’extérieur semblait n’être qu’un piètre décor de papier mâché pour situer leur pièce. Pauvre œil trompé. Heureuses, elles le furent sans doute autrefois. Le temps présent se contentait de rejouer leur aimable drame en boucle, tandis que ces femmes-oiseaux, enfermées dans leurs rôles, se plaisaient à y apporter de subtiles variantes, persuadées d’innover.
De leur union desséchée faute d’avoir pu se renouveler dans l’amour ou même l’estime, ne subsistait qu’un nihilisme joueur, une compétition cruelle à laquelle elles subordonnaient leur volupté. Sitôt séparées, elles chassaient. Leur regard rapace sélectionnait les prises, les plus à mêmes de blesser l’autre. Elles l’encerclaient silencieusement, puis, serres déployées, s’abattaient sur leur proie. Elles les tuaient d’attentions et de tendresse factice. Une fois tout acquis, le produit de leur prédation était déposé avec morgue au pied de la seconde, symbole de victoire, conquête sensuelle. Alors, et seulement alors redevenaient-elles égales et désirables à leurs yeux. Le théâtre repartait pour une nouvelle représentation.
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