Le verre dans la rue
Les yeux d’Aïko s’ouvrent, la lumière lui perfore les rétines. En se tournant dans son lit, pour esquiver le regard du soleil, elle allume son portable. 14 h 21.
D’un pas lourd et lent, elle descend les marches et se retrouve dans la cuisine après avoir longé le couloir, la main fixée dessus comme sur un rail pour ne pas tomber. La télévision retentit dans son dos. Elle s’assied à côté de Lenny sur le canapé avec son bol de céréales. Dans sa combinaison de lapin, bien plus confortable que ses affaires de la veille, elle regarde avec lui les débilités qui passent à la télé.
- T’as trouvé comment l’allumer.
- J’ai peut-être fait la guerre pendant quatre ans, mais je sais encore allumer ça.
- Ça passe quoi à la téloche ?
- Un animé. En fait, lui, là, montre Lenny du doigt. Il veut se venger parce que son village s’est fait sacrifier pour ressusciter un démon. Du coup, il est en train de faire une boucherie pour récupérer l’énergie de ses ennemis avant d’aller affronter le grand méchant.
- C’est complètement stylé, et débile, mais stylé.
- C’est pour ça qu’on regarde.
Les deux jeunes fixent la télé comme les déchets qu’ils sont. Peut-être bien que Lenny ne dort plus beaucoup, mais en revanche, la gueule de bois, il la déguste comme les autres.
- Et toute la nuit t’as regardé la télé ? demande Aïko en plongeant sa cuillère dans le bol.
- Oui.
- Tu t’es tapé toute la saison ?
- Non, avant j’étais sur des documentaires.
Ils regardent la fin de l’épisode, chacun s’appuyant sur l’autre. Aïko se lève, le bol vide et le ventre plein, mais toujours avec sa magnifique gueule de bois. Elle descend au sous-sol, éclairant sa plantation de cannabis parfaitement ordonnée. La fermière examine le panneau de contrôle, la qualité sera encore au rendez-vous selon celui-ci. Elle renifle, caresse ses plantes chéries, leur parle même. Pour Aïko, c’est ce qui fait toute la renommée de ses têtes si excellente.
- Eh bah, en quatre années tu t’es améliorée, siffle Lenny.
- T’as vu ? J’ai tout ce qu’il faut maintenant.
- Tu aurais un pistolet-mitrailleur ?
- Bien sûr, pourquoi ?
- Il y a une voiture dans la rue, et j’ai l’impression que les types nous surveillent. Ils sont là depuis qu’on est rentrée.
- Ah bon ? Bouge pas, on va voir ça depuis ma chambre.
La lumière s’éteint, la porte se verrouille. Aïko et Lenny grimpent les escaliers, entrant dans la chambre aux couleurs flashies, dont les fenêtres donnent sur la rue.
- Ouais t’as bien raison, je crois…
- Passe-moi ton MP, je vais aller leur causer deux mots.
- Attend avant de déclarer une guerre de gang, je veux savoir qui ils sont. Remplis un chargeur droit de ma Thomas, j’appelle Ernesto.
Lenny ouvre la caisse de munition, attrapant une boite de .35 Automatic Pistol Carbine. Il remplit le chargeur droit des trente cartouches, le donnant à Aïko qui raccroche.
- Apparemment, personne ne nous en veut, donc c’est peut-être plus personnel. Mais je ne sais pas qui pourrait m’en vouloir, je n’ai rien fait de méchant dernièrement. Même les Lowriders se sont contentés de faire leur petit business sans problème.
- J’en sais rien, mais ils ne vont pas rester longtemps ici.
- Attends, je vais aller discuter avec eux, et toi, tu restes en couverture avec le pistolet-mitrailleur, OK ?
- D’ac.
- Enfile ta longue veste et passe par-derrière, attends à l’angle de la rue, si je me projette au sol, défouraille les cartouches.
- T’inquiète.
Lenny attrape le pistolet-mitrailleur gris mat avec les poignées et la crosse dans un bois banal d’usine. L’arme dans son design carré ne possède pour unique rondeur le canon et son dissipateur de chaleur pour soutenir la cadence de cette petite sulfateuse. Qui revêt sobrement le surnom de « violon mortuaire » pour sa capacité à facilement entrer dans un étui de violon. Dommage que cette version ne détient pas un rail sur haut, avec un modeste red-dot, cette arme ne serait que plus redoutable selon Lenny. Mais pas grave, la bonne vieille « mire rouillée » fera l’affaire pour ce tireur d’exception.
Aïko sort de la maison par la porte avant, son pistolet préféré prêt à cracher rangé dans la poche de sa combi. La législation sur le transport des armes à feu demeure différente à moins de cent mètres du domicile. Aucune limite de chargeur, sécurité désactivée, cartouche engagé, telle est la loi du « home defense ». Appeler les forces de l’ordre ? Ils mettront trop de temps pour arriver, privilégiant la rapidité dans les quartiers cotés et touristiques. Ceux où les gangs foulent les trottoirs ne sont pas abandonnés, mais plutôt avec moins de passage. La police intervient uniquement quand un civil sans affiliation est en danger, ou quand le gunfight s’intensifie un peu trop. La règle (officieuse) stipule : mieux vaut arriver lorsque les cadavres et les douilles sont au sol. De toute façon, les gangsters ne se canardent exclusivement entre eux. Donc les personnes lambda n’ont rien à craindre, juste à déguerpir pour éviter les balles perdues.
Lenny attend au coin de la rue, son violon caché sous son long manteau.
Aïko discute avec les deux hommes dans la voiture. Pour l’instant, le type accroupi au coin de la rue à la veste verte ne s’est pas encore fait griller. Une idée lui vint en tête. Il traverse la route, rejoignant le parc qui fait face à la maison de sa colocataire. Mais avant qu’il n’y parvienne, un coup de feu retentit. Le deuxième détonne à peine que la sulfateuse est déjà brandie, elle crache ses rafales avec un recul vertical nul, procurant un massage d’épaule. La voiture qui tente de fuir finit dans le poteau qui soutient le rail de métro. Le klaxon résonne. Aïko se relève à peine que Lenny est déjà devant elle, pistolet-mitrailleur vide dans la main gauche, revolver encore chargé dans la main droite, braquée sur la berline familiale.
- Putain ! Tu ne leur as même pas laissé le temps de respirer !
- J’ai fait l’armée avec mes nanites dans le sang.
- C’est vrai, mais là tu les as séchés.
- Qu’est-ce qu’ils voulaient ? demande Lenny en s’avançant avec son amie vers la berline.
- Toi, répond-elle en braquant également la voiture en gruyère.
- Comment ça ?
- Je t’expliquerai après, d’abord, vérifie que ces deux chiens galeux sont bien morts.
Deux détonations retentissent.
- C’est bon.
- Remarque, déjà avec ce qu’ils ont dans le buffet je ne crois pas que c’était nécessaire, sort Aïko.
Et pour cause, les trente balles de .35 ont fait gicler le sang dans tout l’habitacle, réduisant également en une volée de cristaux le pare-brise arrière et les vitres.
La jeune décroche son portable et compose le 966. Elle demande le service mortuaire ainsi qu’une patrouille de police pour boucler le dossier.
Pétard entre les lèvres, assis sur les escaliers du palier de la porte, Aïko écoute et répond aux questions du policier. Tandis que les gens s’amassent autour de la voiture pour savoir qui possède la chance journalière du trouage de peau.
- Et le pistolet-mitrailleur, c’est celui-là ?
- Yep, tends Aïko, tirant un coup sur son cône.
- Culasse fermée, canon standard, frein de bouche civil, pas de rail… C’est bon, je vous le rends. Mais savez-vous que le dissipateur n’entre pas dans la légalité civile si vous vous balader avec ?
- Je sais, mais demandez à mon ami, c’est le sien.
Avant même que le policier ne rejoigne Lenny, celui-ci sort sa carte d’identité, avec l’incrustation de sa médaille. L’homme fait demi-tour. Les lois de limites aux armes à feu sont exonérées à ceux qui portent certaines distinctions.
- Bon, tant qu'il reste au domicile... se reprend-il. Vous auriez pu nous appeler pour éviter cette mare de sang, sermonne le policier. À quel gang appartiennent-ils ?
- Aucun… Ce sont des anarchistes…
- … Je serais vous j’aurais pris un chargeur camembert… Gérard, appelle la dépanneuse, emmène-moi ces merdes à la casse, change d’humeur l’uniforme.
- On peut rentrer ?
- Presque. Vous n’auriez pas pris leurs cartes d’identité à tout hasard ?
- Ce sont des anarchistes, ils n’en ont pas.
- Gérard, change de destination, contacte le légiste, je veux qu’on sache leurs noms, virevolte-t-il.
- À quoi ça va vous servir ? Vous ne pouvez rien pour eux, ils sont morts.
- Peut-être, mais je ne tiens pas à ce que des attentats se déclenchent en ville. Ils ont peut-être perdu la guerre, mais ils vont être revanchards.
- Et bien qu’ils viennent, je les transformerais en gruyère, souffle Lenny.
- Monsieur, se lancer dans une vendetta privée ne peut que vous desservir.
- Nuance, c’est pour défendre mon pays que je fais, ce n’est pas une vendetta privée.
- Évitez quand même de vous engager là-dedans. Les forces de l'ordre servent à protéger ses honnêtes citoyens.
Lenny détourne le regard vers son amie, « cause toujours », souligne-t-il à ce policier.
Les deux hommes en uniforme terminent le rapport sur leur tablette, tandis que la dépanneuse met la carcasse sur son plateau.
La porte se claque, Lenny s’assied sur le canapé, sur la table, deux cartes d’identité lui font face. Jake Lyons, Chapin Savard. Ces noms lui ouvrent une piste. Aïko lui rapporte aussi un troisième nom, Vivien. Ce serait le commanditaire de cette attaque qui devait se dérouler en kidnapping. Sachant que son ami est une cible, la proprio de la maison passe en mode défense : chaque chargeur qui traîne, elle le remplit, à tel point de devoir retourner à l’armurier racheter des boites de munitions.
- T’as une idée de comment tu vas t’y prendre ? demande Aïko en fermant la porte d’entrée.
- Possible. T’as un ordi ? réplique Lenny qui l’accompagne au gun store.
- Nope, rétorque-t-elle en sautillant dans la descente des marches.
- Avec la tune que t’as, tu n’as même pas d’ordi ?
- Flemme, ça coûte cher, et je m’en servirai trop peu. Je suis plutôt offline. Je préfère aller au cybercafé. L’abonnement n’est pas excessif, et en plus, ils ont un petit moka là-bas, affirme-t-elle avec un OK de ses doigts. Il me fait saliver rien qu’à y penser.
- Pas grave alors, j’irai au cyber.
- Je te montrerai sur le retour où il est. Donc, qu’est-c’que t’as en tête ?
- Je vais faire quelques recherches sur eux pour savoir où ils habitent. Ensuite j’irai aux adresses pour en découvrir plus, et trouver ce Vivien, explique Lenny en claquant la portière de la Slide.
- Si t’as besoin d’aide je peux demander à Mickey ou Rachel de venir, on est jamais de trop pour dézinguer de l’anarchiste.
- J’y penserai.
- Je te propose, on passe au gun shop, ensuite on va au bar prévenir les autres. Qui sait, peut-être qu’ils savent un truc.
- Je te suis.
- Normal, c’est moi qui conduis.
- Tu ne peux jamais t’empêcher de terminer sur une blague toi.
- Non, sors un grand sourire Aïko.
La Slide s’arrête parfaitement au son silencieux de la roue libre sur le parking. Aïko demande si son boss est là, Mousse répond affirmativement de la tête, lavant un de ses verres. Elle se dirige vers le carré VIP. Ernesto parle avec Jules, le livreur long-courrier des Lowriders, quand Aïko débarque à la table.
- Oulà, toi, à ta tête, et à ta combi, faut pas te faire chier.
- J’ai eu un petit problème avec mon pote tout à l’heure.
- Jules, on reprendra après. Vas-y Aïko, je t’écoute.
- Deux anarchistes l’attendaient pour lui faire la peau.
- Les enflures… Tu crois qu’hier ils l’ont repéré avec sa médaille ?
- Peut-être, Lenny se souvient qu’un type chelou nous regardait au coin de la rue hier avant qu’on rentre.
- Ouais, Mickey m’en a parlé. Et donc, ils sont où maintenant ?
- Chez le légiste. Lenny les a troués avec mon Thomas. T’aurais dû voir ça, il était à un bon vingt, trente mètres, mais il ne les a pas ratés. Trente bastos dans l’buffet.
- Sérieux ?
- Ouais.
- Tiens, quand on parle du loup.
Lenny s’assied au carré, d’un air plus serein qu’à l’arrivée.
- Qu’est-ce que tu faisais dehors ?
- Je vérifiais que personne ne nous suivait.
- Et donc ?
- Vous avez entendu des rafales de plomb ?
- Non.
- Vous possédez votre réponse.
- Tu peux me tutoyer, tu es le frère d’Aïko. Et c’est ma fille. Tu fais partie de la famille.
- Merci… reste distant Lenny.
- Alors, comme ça, il parait que tu te débrouilles avec un calibre ?
- Si l’on essaye de s’attaquer à Aïko, oui, regarde Lenny d’un œil convergeant vers la concernée.
- Tu es un bon gars.
- Il est à vous le mec qui picole au bar ?
Ernesto se penche, observe l’homme pendant quelques secondes avant de revenir à Lenny.
- Non, pourquoi ? Tu veux que je le fasse venir ? Tu veux que je le travaille au chalumeau ?
- Pas la peine pour l’instant. Bien que mon instinct n’ait pas confiance en lui. Je me méfie de tout le monde quand on tente de me tirer dessus, reflex de guerre.
- T’inquiète, je te comprends.
- Avec Lenny, on se demandait si tu ne connaîtrais pas ces deux noms, demande Aïko en tendant un bout de papier.
- Non… C’est les deux types que vous avez séchés ?
- Exact.
- Si vous voulez, je peux me renseigner.
- Ça nous…
D’un dixième de seconde, Lenny bondit, et tire un coup à la hanche avec son revolver, l’homme qui sortait son pistolet le voit s’envoler à deux mètres. À la détonation, Mousse brandit son calibre 12, encore une fois.
- Finalement, va chercher ton chalumeau. Je savais bien que je ne pouvais pas le sentir.
Toute la table reste bouche bée face à l’action de Lenny. Sa prévention, sa rapidité. Personne ne peut réussir à l’égaler.
- Jules, Mousse, descendez-moi ce guignol au sous-sol. Tu as de ces réflexes, dis-moi.
- La guerre… tourne d’un œil Lenny vers Aïko.
- Du coup, tu peux nous aider ? demande-t-elle.
- On va descendre, peut-être que ce connard va nous apporter des réponses.
Lenny ramasse l’arme avec un magnifique trou dans la glissière. Le groupe croise au sous-sol Mousse qui remonte à son bar, tandis que Jules braque l’attaquant scotché sur une chaise.
- Nom, prénom, adresse, commence Ernesto.
- Va te faire foutre.
- Jules, Aïko, foutez moi ce mange merde à poil.
Les deux Lowriders attrapent l’homme vissé à la chaise et le déshabillent, fouillant à l’occasion ses poches.
- Dans l’armée, vous aviez quoi comme tortures ?
- Les officiels ou les réelles ?
- Les deux.
- J’en connais que très peu, j’étais plus soldat qu’autre chose.
- Qu’est-ce que tu en penses de lui brûler les baloches au chalumeau ? Ou mieux, de les frire, propose Ernesto en allumant une friteuse.
- Tant que j’ai les infos qu’il me faut.
- J’ai sa carte ! Et des clés, brandit Jules.
- Parfait, passe-moi ça, tend sa main le chef. Ercole Endrizzi… C’est un nom de patte ça ? Tu habites… Parme Street, le 19. Lenny, voilà tes informations.
- J’ai pas fini. Ce Vivien, je le trouve où ?
- Va crever !
- Tu lui diras dans l’outre-monde.
- Tu as fini avec lui ?
- De toute façon, il ne dira rien de plus.
- Jules, mets-lui la boule dans la bouche. Ça va sentir le cochon frit. Je vais lui apprendre le respect au spaghetti, personne ne s’attaque à ma famille…
Le patriarche rapproche la friteuse sur rallonge qui est en effervescence.
- Maintenez-le bien, paraît qu’il faut deux cuissons.
Les Lowriders soulèvent l’homme et le rapprochent de la friteuse. Il commence à se débattre, à hurler dans son bâillon, mais ça ne changera rien. Ses deux sublimes et belles boules claires se transforment en nuggets bien cuits sous les cris étouffés et les larmes aux yeux. Il prend conscience de l’individu qui lui fait face. Ce n’est pas n’importe qui, et ce type-là déteste les Adgianiens. Surtout depuis qu’un d’eux lui a tiré dans la jambe, le contraignant à une longue rééducation. Et s’il y a bien une chose qui révulse Ernesto, c’est de se sentir vulnérable. C’est aussi pour cette raison qu’aucun Adgianien n’est assis dans sa famille.
Lenny regarde la torture sans broncher, il lui en faut bien plus pour sourciller. L’homme transpire à grosses gouttes, nul doute que dans chacune sa haine y coule.
- Les baloches nuggets, ça fait toujours son effet. Jules, Aïko, terminez cette merde et donnez à manger aux poissons. Lenny, on doit aller au 19 Parme Street.
- Je vais y aller avec Aïko. Ne t’inquiète pas.
- Allez viens, j’insiste pour qu’on y aille ensemble.
Lenny se tourne vers son amie de toujours. Elle lui fait signe de la tête, mieux vaut qu’il suive la demande d’Ernesto. Il devrait même plutôt se considérer comme chanceux.
Le jeune homme emprunte les pas du tortionnaire. Derrière eux, le son d’une lame qui s’immisce retentit, comme le dernier soupir.
Ernesto démarre sa Pavana. V8, avec de délicates lignes verticales qui rallient les ailes arrière à l’avant, avec les phares plus bas que la moyenne, sans oublier son toit décapotable. De ses couleurs chaudes, jaune et orange, avec sa fresque, la longue muscle car classique frappe la pupille de loin.
- Alors, depuis quand connais-tu Aïko ?
- Depuis la primaire.
- Ça fait longtemps.
- Ouais. Je suis toujours là pour la calmer, et elle, pour me sortir.
- Vous vous complétez, c’est bien. Avoir une famille, c’est important.
- Si tu savais… Ma seule famille c’est Aïko, et sa mère de son vivant.
- Je n’ai pas eu l’occasion de la rencontrer.
- Normal. Elle est morte il y a un peu moins de cinq ans. C’est en partie à cause de ça que je me suis engagé dans l’armée, et Aïko chez toi.
- Je ne l’ai pas engagé, je lui ai ouvert les bras, c’est différent.
- Maladresse dans ma phrase. Mais tu as compris le principe.
- Je suis à cheval sur les mots. Chaque assemblage de lettres possède sa propre définition.
- Je vois ce que tu veux dire. Mais la philosophie, ce n’est pas mon fort.
- Pour toi, c’est plutôt les calibres j’ai l’impression.
- Pourquoi crois-tu que j’ai fait l’armée ?
- Tu sais, je suis toujours à la recherche de membres. Surtout quand ils sont excellents.
- Merci… Mais pour le moment je préfère décliner. J’aime être versatile.
- Attention, ça pourrait te jouer des tours.
- Ou c’est moi qui pourrais les jouer aux autres.
- Fais très attention.
- Tu n’as rien à craindre de moi, tant qu’Aïko vivra heureuse chez les Lowriders, je peux toujours donner un coup de main. Mais je veux rester en freelance.
- Tu sais, à force de nous côtoyer, surtout avec Aïko, tu finiras par nous rejoindre.
- J’en doute. Aïko te le confirmera, j’ai toujours été très solitaire. Je vais là où le vent me mène. Bien que le vent actuel soit plutôt bon.
- Alors, si tu veux, j’aurai peut-être besoin d’aide par moment. Ça te convient mieux comme formulation ?
- Oui. Toi même tu l’as dit, chaque mot possède une importance.
La Pavana prend l’un des ponts pour rejoindre Almann. Les deux hommes se font remarquer en entrant dans Little Adgian. Personne ne comprend ce que ces deux énergumènes viennent faire ici. Dans ce quartier au charme d’époque avec ses rues pavées, ses petits commerces familiaux, de pizza, de fromage ou encore de costumes chic… Ça l’était il y a une dizaine d’années, les photos de cette époque-là valent cher maintenant que des immeubles surplombent la baie. La mafia aura eu beau tenter quoi que ce soit, le béton et le verre sont rapidement sortis de terre. Avec quelques désagréments en route, mais tout de même bâtis par cette entreprise tentaculaire qui contrôle l’intégralité du BTP dans le pays, et même un peu du marché en dehors de la frontière.
19 Parme Street
Lenny et Ernesto descendent de la voiture. Les habitants lancent un regard sur les deux intrus. Mais un barouf les camoufle. Deux familles mafieuses sont en train de s’entretuer. Quelque cent mètres plus loin dans leurs chics carrosses. Les deux étrangers profitent de la diversion pour rapidement s’incruster dans l’immeuble, puis l’appartement.
Tous les deux sortent leurs armes. Ernesto braque son Clock, un pistolet au design carré qui cycle qu’importe les conditions. Tous les deux se séparent, l’un fouille la chambre ainsi que la salle de bain, l’autre le salon et la cuisine.
- Putain, si je retrouve ce salaud de Vivien, je le crève à petit feu !
- Qu’est-ce qu’il y a ? demande Ernesto en pénétrant dans le salon.
- Le bâtard, je comprends mieux maintenant, rétorque Lenny, lettre en main.
- Explique. La famille peut aider ?
- C’est à cause de ce gamin que j’ai buté durant la guerre…
- Tu as tué un gosse ?
- Il allait rafaler sur tout le monde, alors j’ai répliqué.
- Oui, je m’en rappelle, à la télé ça parlait d’enfant soldat suicidaire.
- C’est ça, grâce à moi l’armée a vite capté le truc et l’on s’est méfié. Le gars qui m’en veut, c’est le père du gamin. Je pensais qu’un type de ce genre aurait péri sous les bombes.
- Il n’y a rien qui indique comment le retrouver ?
- Non, la suite est dans le « premier message ».
- On est dans une impasse j’ai l’impression, soupire Ernesto.
- Moi aussi, continuons de chercher, sait-on jamais.
Les deux hommes retournent intégralement l’appartement, les meubles tombent, le canapé se fait ouvrir en deux. Lenny profite de ce saccage pour se défouler, Ernesto, lui, s’amuse tout simplement à foutre le bordel, et ce, jusqu’à :
- J’ai une disquette ! sort le chef des Lowriders.
- Fais voir ! Tu crois qu’il y a quelque chose dessus ?
- 32 gigas, il y a de quoi mettre non ?
- Prends-là… Tu entends ça ?
- De ?
- Il y a des gens qui montent l’escalier.
- Et ? Ils ont bien le droit de rentrer chez eux ?
Lenny tend son oreille remplie de nanites toutes excitées.
- C’est les flics, faut se barrer !
- Suis-moi !
Ernesto ouvre la fenêtre de la chambre, bondissant sur l’échelle de secours. Les deux hommes descendent à toute vitesse, zappant même le dernier étage en sautant. Ils courent à travers la ruelle, Ernesto décroche son magnifique portable à trois chiffres.
- Ouais ? On est à l’angle de Parme et Arezzo. On peut échanger de caisse ? … Parfait, je t’attends, raccroche le lowrider.
- Qu’est-ce qu’on fait ?
- On attend, dans peu de temps, un de mes frères va nous passer sa caisse pour qu’on dégage, en même temps il récupère la mienne.
- Pourquoi tout ce manège ?
- T’as vu comment les capellinis nous regardaient. Je suis sûr qu’ils ont appelé les flics avec le barouf qu’on a fait, et si on part récupérer ma Pavana, les flics nous cueilleront. Alors que mon frère, lui, il n’a rien fait.
- Ça ne le fait pas tomber pour complicité ?
- Preuve ?
- On va espérer qu’il y en aille zéro.
Les deux hommes patientent dans la ruelle, quelques minutes plus tard une voiture arrive en trombe, Ernesto reconnaît la sonorité de son frère.
Le long coupé classique aux coupes carré des années 70 se gare devant les fuyards qui sortent de leur ruelle. Les deux proches échangent leurs clés. Ernesto, avec sa classique aux couleurs cyan dérape, il change de rue, grillant au passage le feu qui passe au rouge. Lenny n’a même pas le temps de mettre sa ceinture qui est ballotté sur le siège. La Sherm disparaît du quartier de Little Adgian.
- J’ai un creux moi, pas toi ?
- Ouais.
- Fat Moe’s, ça te va ?
- Allons-y.
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