Le balafré

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 La photo du « cadavre » de Lenny a convaincu l’homme derrière tout ça. Il rejoint la ville en voiture d’ici deux heures. Ses « aspirants » ont rendez-vous dans le quartier des finances, sur la promenade qui borde la baie de New Haven, point d’entrée pour s’engouffrer dans le pays.

 Lenny enfile sa longue veste olive terne. C’est le seul présent que sa mère lui a laissé à l’orphelinat. Si on peut appeler ça un cadeau… Elle s’est sans aucun doute débarrassée de ce cache-poussière à la teinte militaire qui devait appartenir à son père. C’est tout ce qu’il a en lien avec eux.

 Après une visite à l’armurerie, Aïko a acheté une sangle pour que le Thomas tienne sous la veste de Lenny. Les chargeurs sont rangés dans une besace coyote du côté gauche. Lenny va enfin pouvoir sortir de sa planque. Dans le doute que d’autres tueurs soient envoyés, il est resté au garage de Mickey.

 Sa médaille en main, il la reluque. Connaissant la loi et ses exceptions, il devra l’enfiler avant de soulever son pistolet-mitrailleur.

  • Prêt ? demande le garagiste.
  • Plus prêt que jamais.

 La voiture bleue, au coffre propre dorénavant, reçoit Lenny sur la banquette arrière. Aïko conduit cette dernière en direction du quartier financier entre le centre-ville et « le quartier bourge ». Un secteur plutôt tranquille, sans trop de gangs, avec ses hauts immeubles généralement cubique, mais parfois avec des formes variantes. Le loyer des esclaves de bureaux qui résident dans le coin est au petit bonheur la chance, mais très souvent exorbitant. Au moins, ils vivent à proximité de leurs boulots de comptable, boursier ou plutôt informaticien lambda dans un open space quelconque. Aujourd’hui la rue sera un peu plus animée, ça leur changera de leur écran qui réfléchissent un traitement de texte.

 La voiture bleue se gare sur le parking face à la baie.

  • Alors ? Chaud pour flinguer de l’anarchiste ?
  • Qu’est-ce que tu crois ? Je l’attends cette ordure. Et toi, ton flingue est prêt ?
  • Ouais, j’ai pris tous mes chargeurs. Tu sais qu’on aurait de quoi faire sauter une banque avec tout ce qu’on a ?
  • Peut-être, mais je préfère décapsuler du fils de pute.
  • D’accord avec toi ! Bon, qu’est-ce qu’il fout ton copain ?

 Aïko scrute son portable, encore rien, aucun message de ses amis qui auraient repéré la cible. La conductrice regarde autour d’elle, peut-être l’a-t-on suivi ? Non, le groupe à pris toutes les dispositions pour.

  • T’as combien de chargeurs ? demande-t-elle.
  • Trois bâtons et deux camemberts. Et toi ?
  • Une dizaine de dix coups.
  • Règle à la con.
  • De toute façon, mon flingue ne prend pas les doubles piles. Donc la loi ne change rien pour moi.
  • T’aurais dû le choisir en .40 Auto, au moins il serait plus puissant.
  • Flemme. Le .35 ça ne coûte pas cher. Attends… se retourne-t-elle. J’ai l’impression que cette voiture passe pour la troisième fois.
  • C’est peut-être la bonne.

 Aussitôt, Aïko envoie un message à Jules, qui, sur le qui-vive, démarre aussi sec et file la voiture suspecte.

 De là-haut, dans sa tour, un homme derrière son ordinateur observe le monde extérieur. Sa vie cruellement chiante ne le fait plus bander d’un pouce. Son patron pénètre dans son bureau, beuglant : « Bertier ! Vous êtes nul ! Ce dossier n’est ni à fait, ni à refaire ! Vous n’êtes qu’un bon à rien ! Faites-moi un nouveau dossier, et au plus vite ! »

 Bertier ne pense qu’une chose : « Cause toujours, d’ici trois heures je saute du toit, alors ton dossier tu peux te le foutre au cul ! ». Ce qu’il répond :

  • Oui monsieur.
  • Et grouillez-vous ! claque la porte le patron.

 Bertier regarde cette voiture bleue, garée face à la baie qui mène vers l’ouest. Il aimerait tellement y être, rêver de partir ailleurs, loin de ce monde qui vire à la folie, où il n’est qu’un moins que rien. Un homme, assez imposant, s’approche de la voiture. Que va-t-il faire chier le conducteur qui profite de la vue ?

 Mais l’homme se projette à terre et fait marche arrière à toute vitesse. Bertier aperçoit les morceaux de la vitre voler en éclats sur le sol légèrement gelé.

  • Tu l’as eu ? hurle Aïko.
  • Nan ! Démarre la caisse, je ne tiens pas à le laisser se barrer !

 Le moteur de la berline bleue démarre après un toussotement hivernal. Les pneus avant crissent. Suivre la bagnole marron : Aïko reste focus. En plus, ce n’est pas sa voiture, elle peut donc conduire comme une dingue.

  • Il t’en reste beaucoup ?
  • T’inquiète, j’ai assez dans le camembert pour lui faire bouffer son erreur.

 Aïko colle au mieux la sportive marron qui se faufile entre les voitures, mais qui ralentit assez souvent en prévenance du verglas au sol. Lenny qui s’est avancé sur le siège passager avant ouvre la fenêtre. Il se met en position, épaule son pistolet-mitrailleur Thomas, et fait feu. La rafale claque la voiture d’une magnifique ligne droite. Les impacts, dont la peinture a sauté, marquent désormais la cible. Le chauffeur se gratte la nuque, des morceaux de verre sécurit le démangent, cette fusillade aurait eu le siècle dernier, elle serait en sang.

 Les deux voitures longent le bord de la baie, l’une sous les tirs enragés de l’autre. La dernière salve fait mouche. Les pneus ainsi que quelques parties mécaniques se font toucher. Le moteur fume, elle glisse sur une plaque de verglas et heurte un des poteaux du zoo. La tête dans l’airbag, le fuyard dégaine son pistolet-mitrailleur compact et canarde la voiture bleue avant de s’engouffrer dans le zoo.

 Lenny et Aïko descendent, le militaire recharge son arme, reprenant un camembert.

  • Préviens la sécurité, et les flics, évite qu’on me tire dessus !
  • Fais gaffe !
  • T’inquiète, j’ai mes nanites, lance Lenny avec un sourire satisfait en engageant le nouveau chargeur camembert dans son arme.

 Ce tourmenteur d’anarchiste ne le sait pas encore, mais son nom demeure déjà dans sur la liste des futurs déchets à incinérer.

 Les gens dans le zoo fuient en direction de la sortie, où se trouve Lenny. Thomas en main, les civils prennent peur, mais il brandit sa médaille accrochée sur sa veste.

  • Cassez-vous d’ici ! Où il est ce putain d’anarchiste ?

 L’une des personnes, paralysée par la peur, lui indique une direction.

 Lenny fonce sans réfléchir, dans le pire des cas, son sang lui sauvera la vie. Plus il s’avance, plus la piste se précise, sa cible part en direction de la banquise. Le zoo se vide peu à peu, l’annonce se répète sur tous les haut-parleurs.

  • Merci Aïko, songe Lenny à voix haute.

 Le zoo est maintenant désert. La perception accrue du chasseur repère sa proie. Canon levé, il se précipite, prêt à vider ses 50 munitions dans le bide de l’anarchiste.

 L’ours blanc, qui s’apprêtait à être nourri, fixe Lenny à travers la vitre. Si c’est à cause de ça qu’on l’a privé de son repas, il va le bouffer.

 Arme toujours levée, le militaire avance, au loin derrière, il entend les sirènes de police, c’est fini, il a gagné, qu’importe l’issue. À un détail près.

 D’un sursaut, Lenny fait une roulade en sautant, se mettant à couvert derrière un décor de fausse banquise.

 Vivien sursaute lui aussi, le canon de son pistolet-mitrailleur fumant, le proprio de la cage n’est pas heureux de cette visite impromptue.

 Par-derrière, l’homme se fait soulever dans la mâchoire de l’ours. Il dégringole le monticule blanc au centre de la cage pour finir sur le bord de la banquise, les cheveux dans l’eau.

 L’ours lui saute dessus, malheureusement, pour la cible, son arme ne réside plus dans ses mains.

 Lenny entend les cris. Il éprouve une satisfaction à ce son. En temps normal, il aurait évité la mort atroce qui se prodigue. Mais cet homme est une raclure qui veut porter atteinte à sa liberté. Alors il ne trouve rien de mieux que de retirer le chargeur de sa Thomas et de regarder le spectacle, accoudé à la rambarde.

 Grâce à la vidéosurveillance, la police retrouve très rapidement les deux hommes. En arrivant sur le lieu, ils braquent Lenny, qui, connaissant les risques, a déjà éparpillé ses armes et ses chargeurs sur le sol en levant ses mains dès leur venue. Juste après, les uniformes repèrent la mare rouge dans l’eau et cet ours heureux de son repas grassouillet.

  • Qu’est-ce ?
  • C’était une raclure de fond d’chiotte d’anarchiste.
  • Rien en somme, change de comportement le policier en passant les menottes.
  • Exact.

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