Incipit
La mousse du temps émousse le souvenir de ce que nous fûmes. Elle nous absorbe, nous enfouit, nous entombe, comme le lierre des pierres tombales tombe et recouvre les épitaphes, derniers vestiges par lesquels nous vivons encore. Quelques lettres d’or qui scintillent de leur reflet en guise du souvenir qui s’effacera, s’estompera et plongera dans les vastes oubliettes de l’oubli et de l’abandon. Un cimetière, n’apparaît-il pas comme le plus bel aveu d’impuissance de l’homme ? Nécropole des vanités présomptueuses. Charnier de ses superbes fatuités. Comme une insulte, un blasphème irrévérencieux à sa mégalomanie orgueilleuse… Les pierres y sont figées et froides ; parfois même renversées. Comme un coup du sort. Un coup d’éclat. Un coup d’état. La mort, tyrannique, renverse tout !
Après le cortège des fleurs colorées, déposées avec chagrin, aux pétales de larmes sincères ou feintes, aux couleurs de la peine ou de l’hypocrisie, à l’odeur de la douleur ou non, succèdera, pourtant et en son temps, la sécheresse. Ensuite, l’oubli. Enfin, l’abandon. Et jurent les collines verdoyantes ! Et outragent les arbres élancés, vigoureux et vivants ! Antithèses disconvenantes, discordantes et dissonantes de ce champ de mort aride, sec et stérile. Séculaires témoins silencieux de la ronde des costumes de bois, leur chant n’est pas le même. Tous ces morts, invincibles, crâneurs, hâbleurs se jouaient avec prétention de la vie. Comme moi. Comme toi. Comme nous. Pendant que la vie se jouait d’eux. De moi. De toi. De nous. Jusqu’à ce que la mort nous rappelle. Nous happe. Nous fauche. Tragique et inéluctable rappel de ce qu’est la vie. De l’autre côté du versant, finie l’esbrouffe du charlatan. Terminée la frime ostentatoire. Un cimetière nous ramène à notre condition. Sans lendemain et sans éternité. Tant de vanité et pourtant si pauvres, si démunis. Le sens de la vie est tel et tellement cruel qu’on préfère lui être infidèle.
Comme s’émousse le souvenir, la vie va, ainsi et de même. Et s’éteignent les lettres d’or. Et s’effacent les dates, les noms, les prénoms. Et enfin nous partons. Que c’est long de mourir !
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