Chapitre 8 : Accusations
Vyrian regarda la jeune femme et son compagnon disparaitre à l’horizon. Bien que la beauté de l’endroit persistait, le ressenti du chercheur avait radicalement changé. Ce monde d’apparence chaleureux se révélait cruel et froid.
Les visages se faisaient suspicieux. Le bannissement de Yomi eut rapidement fait le tour du village. Principal sujet de discussion, le nom de la jeune femme circulait dans un murmure à peine audible.
Un groupe ne tarda pas à se former près de Faric. Tous purent voir l’homme ensanglanté, le doigt tranché. Harcelé de questions, le jeune politicien peinait à y répondre.
Dégouté, le scientifique observait l’homme qui avait ruiné la vie de la jeune femme, accepter la gentillesse du peuple d’un ton faussement humble. Vyrian regrettait que le conseil se soit déroulé en huis-clos. Tous auraient alors pu voir la vraie nature de cet homme. Au lieu de ça, Xam en avait fait un martyre soutenant sa politique sans le vouloir.
Fiévreux, le politicien ne paraissait que plus crédible. Sa blessure avait fini par rallier les habitants les plus récalcitrants. Il était le premier à avoir tenté de leurs apporter des réponses, il s’était battu pour leur cause et en ressortait blessé.
En état de choc, il ne parvenait à détacher ses yeux de son moignon. Des spasmes parcouraient son corps. Malgré sa souffrance, Vyrian ne parvenait à éprouver de la pitié. L’empathie ressentie pour la bannie se reporta sur le politicien véreux. Quelques belles paroles suffirent à insuffler de la haine envers la jeune femme. Convaincu de sa dangerosité, certains habitants proposèrent leur soutien à Faric.
L’intéressé les écouta, se contentant de leur accorder de furtifs regards embrumés de larmes. Touchés par ce regard souffrant, les soutiens se firent plus nombreux. Lorsque cela virait à l’exagération, le jeune politicien croassait quelques remerciements empreints de douleur.
Impuissant mais outré, le chercheur toujours anesthésié sentait se débattre en lui de virulentes émotions. Pourtant, elles ne parvenaient à s’exprimer. Son électrocardiogramme restait invariablement constant, inflexible aux sentiments qui le taraudaient.
Vyrian souffrait de sa passivité. Homme de sciences et d’action, aller au-delà des dangers était devenu une seconde nature. Assister à ce spectacle le désolait.
Alerté par les cris d’indignation de Dungal, Vyrian sortit de ses pensées. Le vieil homme se débattait, tentant d’échapper aux complices de Faric.
— N’avez-vous pas honte ! Comment pouvez-vous le soutenir ! Cet homme vous manipule. Interrogez-le sur sa blessure !
Dallan et Fara sortirent à leur tour, plus calmes mais non moins énervés. Le maire et son épouse s’avancèrent sous les injonctions belliqueuses des hommes de Faric et le regard réprobateur de la foule. De nouveau face à son rival, Faric se ragaillardit devant leur souffrance. Son regard brillait d’un éclat mal sain.
L’homme à l’initiative de cette idée, s’approcha des deux rivaux et s’adressa respectueusement à Faric.
— Que voulez-vous faire d’eux ?
L’intéressé regarda l’homme avec appréciation, semblant le voir pour la première fois. Après avoir sondé l’assemblé du regard, il attendit, marquant la gravité de la situation.
— Je vous remercie. Comme l’a dit Dungal, je me suis fait mordre par le Xealeras accompagnant Yomi. La jeune femme refusant de coopérer, j’ai perdu mon sang froid. Sous l’effet de la colère, je l’ai frappé. Je m’excuse auprès de ses parents pour mon geste déplacé. Néanmoins, j’estime que compte tenu de la situation et de son refus de collaborer mon geste se révélait justifié.
L’aveu de l’homme séduit un peu plus le cœur des villageois. Des cris de soutient retentirent. Le désespoir de Vyrian face à la situation semblait sans fin. La passivité des habitants face à la situation le sidérait. Personne ne tentait d’obtenir des réponses par ses propres moyens. Les consciences semblaient s’alléger de reporter ainsi leurs craintes. Le libre-arbitre disparaissait sous l’effet de la peur et de l’incertitude.
Comme pour soutenir ses sombres pensées, un homme surenchérit sur les paroles du politicien.
— Je vous avais bien dis que cette bestiole était louche !
Faric afficha un sourire de satisfaction, appréciant la situation. Il enchaina.
— En cette période de crise, vos interrogations sont légitimes. Beaucoup d’entre vous ont perdu un être cher. Les Visionnaires surveillent en permanence le moindre signe permettant de retrouver les nôtres. Malgré leurs efforts, aucun indice n’a encore été trouvé quant à la localisation de ces spectres. J’aimerai pouvoir faire plus, seulement …
Le politicien fut interrompu par la foule conquise.
— Seulement, ce n’est pas à vous de vous charger de cela ! Il y a plusieurs années, nous avons accordé notre confiance au mauvais homme. Dallan nous a trahis sur tous les plans. Il nous a mis en danger avec Yomi. Depuis son arrivée les choses n’ont plus été les mêmes. Sans pouvoir l’expliquer, quelque chose avait changé. Ça ne peut pas être une coïncidence ! Les Sanctionneurs veulent nous punir pour avoir enfreins les règles de ce monde ! Toutes personnes ne subissant pas les effets de la magie doit être exécutée le plus tôt possible. Les règles sont très strictes à ce sujet ! De telles personnes sont bien trop dangereuses pour qu’on les laisse agir à leur guise, en plus s’il s’agit effectivement d’une Fusionnée, je n’ose pas imaginer les dégâts dont elle est capable.
Faric mit fin à la tirade de l’homme qui semblait s’être autoproclamé porte-parole du peuple.
Mère profita de cette accalmie pour expliquer certains détails au chercheur.
— Tout à l’heure je t’ai expliqué que Yomi n’interagissait que partiellement à cause de son statut d’étrangère. Or, il se trouve qu’il existe un cas similaire propre à ce monde. Certains enfants naissent avec la particularité de pouvoir exercer la magie mais sans en ressentir les effets. Certains les nomment les étrangers du fait de leur adaptation partielle aux règles de ce monde, mais en aucun cas, l’origine de Yomi n’a été divulguée.
La certitude de Mère surpris le chercheur. Au vu de la situation, il la trouvait bien présomptueuse d’avancer une telle chose.
La voix du politicien coupa court à ses réflexions.
— Ne blâmons pas trop Dallan. Perdre un membre de sa famille est une douloureuse épreuve. Mettre un terme à l’existence de son enfant est pire encore. Imaginez-vous devoir passer le reste de votre vie avec le souvenir du corps sans vie de votre nouveau-né. Ses yeux pétillants et ses babillements inexistant de son visage froid. Je vous demande de penser à cela.
L’indignation disparut, les regards fixaient à présent le sol, honteux. Faric se tenait là devant eux souffrant pourtant son discours se voulait sévère et juste.
Dallan tout comme Vyrian n’était pas dupe. Il s’agissait uniquement d’un stratagème pour augmenter la sympathie du peuple à son égard, au désespoir du chercheur, cela était efficace.
Satisfait de son petit effet, Faric reprit la parole.
— Dallan en tant que père endeuillé et chef de ce village, avez-vous quelques informations susceptibles de faire progresser la retrouvaille des nôtres ?
Dallan répondit la colère couvant dans sa voix.
— Malheureusement, je n’en ai aucune.
La foule émit des protestations. Faric tel un chef d’orchestre, les calma. Il refoula difficilement un sourire triomphant et reprit la parole.
— Si je ne m’abuse, il me semble que vous aviez échoué à votre fonction de protéger et conseiller les villageois.
A ces paroles la foule surenchérit. Faric l’apaisa une fois de plus.
— Je me vois donc dans l’obligation d’émettre aux villageois une proposition de vote.
Dungal donna un coup de coude à Dallan, lui soufflant à l’oreille.
— Mais défendez-vous !
— Ça ne servirait à rien.
— Alors quoi vous vous avouez vaincu ?
— Taisez-vous. Ne rendez pas la situation plus compliquée.
Le doyen du village s’approcha du trio formé par Fara, Dallan et Dungal. Il fit face au maire.
— Je ne peux que me ranger à l’avis de la population. Vous avez failli à votre tâche. Je me vois donc dans l’obligation de vous démettre de vos fonctions et de choisir un nouveau candidat au poste de maire.
Tous les regards se tournèrent vers Faric, celui-ci tentait de rester humble mais il était évident qu’il jubilait.
Le doyen connaissait la rivalité des deux hommes aussi accéléra-t-il la procédure.
— Bien nous allons procéder de ce pas à la passation des pouvoirs. Messieurs approchez-vous. Attrapez-vous les poignets. Bien. Dallan répétez après moi.
« De par mes erreurs, ma tâche prend fin
Je te la confie, prend en soin
Que la sagesse te guide dans tes choix »
À votre tour, à présent Faric.
« Laisse-moi te relever de tes fonctions
C’est avec honneur que j’accepte cette mission
Que mes choix soient emplis de sagesse »
Saluez à présent votre nouveau maire !
Faric fut acclamé par la foule. Il savourait son heure de gloire. Dallan quant à lui, avait un air grave. Le doyen termina la procédure.
— Comme le veut la tradition, le chef récemment nommé se doit d’exposer ses plans à son prédécesseur, afin que celui-ci puisse lui apporter sa sagesse.
Faric ne se priva pas.
— Comme vous tous j’ai récemment appris l’existence d’une Fusionnée parmi nous. Heureusement, celle-ci fut bannie par notre ancien chef. N’oublions pas l’effort que ce geste lui a coûté, sachant qu’il s’agissait de sa propre fille Yomi. La pauvre enfant se retrouve à présent livrée à elle-même. En tant que nouveau chef et en connaissance de sa puissance. Je propose qu’on l’exorcise. Bien entendu, je connais les risques d’une telle pratique, la survie de l’exorcisée est très faible. Néanmoins, nous ne pouvons, nous permettre de laisser une telle menace dans la nature. Il ne faudrait pas que les autres villages voient cela comme une faiblesse, d’être incapable de s’occuper des nôtres, ou pire comme une déclaration de guerre.
A ses paroles, le couple qui jusque-là faisait preuve de retenu, dissimulant au mieux leurs émotions, ne purent masquer leur inquiétude. Des murmures s’élevèrent de la foule mais personne ne s’opposa à cette idée. Faric poursuivit sa liste d’action.
— Connaissant l’amour dont peut faire preuve un parent pour son enfant, je me vois dans l’obligation d’emprisonner Dallan ainsi que sa femme.
Faric se tourna vers Dungal semblant juger la dangerosité du vieil homme. Après une courte réflexion, il l’ajouta à la liste des captifs.
Profitant de son titre fraichement acquis, le politicien poursuivit théâtralement.
— Pour ce qui est de la menace des Sanctionneurs, je m’en vais de ce pas à la bibliothèque espérant trouver au plus vite un moyen de les mettre hors d’état de nuire.
Le doyen quelque peu nerveux par les paroles du nouveau chef prit la parole.
— Dallan qu’en pensez-vous ?
Dallan fit de son mieux pour ne pas laisser percer l’amertume dans sa voix mais elle lui échappa.
— De sages paroles. Il est bon de ne pas sous-estimer l’influence des émotions sur le raisonnement. Tout comme il est bon de se méfier de l’abus de pouvoir.
Faric salua ces paroles d’un sourire avant de se retourner face à la foule qui s’écarta sur son passage. Fara, Dallan et Dungal furent conduits dans les cachots du village.
Dallan le visage sombre regarda les liens qu’on lui avait passés autour des poignets.
On les emprisonna dans des cellules différentes. A présent hors de vue, Dallan laissa s’échapper sa rage. Il envoya voler la gamelle sensée servir à ses ablutions, le récipient vint percuter les barreaux de sa cellule dans un bruit métallique. Surprise, Fara sursauta. La pauvre femme peinait à se remettre de la perte de ses filles. Face au peuple, elle avait su stopper ses sanglots maintenant ceux-ci soulevaient sa poitrine.
Seul, Dungal paraissait calme, le vieil homme s’était allongé sur la paille leur faisant guise de couchage maudissant les douleurs que cela provoquait à son dos.
Aucun garde n’avait été posté devant les cellules. Le chercheur en déduisit que le politicien devait être convaincu de la sécurité des cachots. Dans un monde emplit de magie, Vyrian ne doutait pas que les cellules soient imperméables à cet art.
Tandis que le chercheur découvrait le triste logis des trois Mysticys, il entendit le cri étouffé de Fara, suffisamment fort pour lui parvenir mais trop faible pour inquiéter les autres prisonniers. La mère endeuillée se tenait là devant lui, les yeux écarquillés.
Pensant qu’elle l’avait repéré comme Xam avait eu conscience de sa présence, le scientifique compris son erreur lorsqu’il compris que ce n’était lui qu’elle dévisageait mais Mère. Vyrian eut le cœur étreint par une froide certitude. Cela ne faisait aucun doute. Fara l’avait reconnue.
La voix de la femme s’éleva dans un murmure emplit d’espoir.
— Mère, viens-nous en aide ! Trouve Almarann !
Les suppliques contractèrent le coeur du scientifique. l’intelligence artificielle tourna le dos à la mère éplorée. Vyrian dévisagea Mère.
— Qu’as-tu fait ?
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