Chapitre 3 : Contact
Lorsque Vyrian revint à lui, son esprit fut assailli de questions. Le scientifique aurait bien aimé pouvoir y répondre, mais seule Mère détenait les informations nécessaires. Constatant une augmentation de l’activité cérébrale du chercheur, elle prit de ses nouvelles.
— Comment vous sentez-vous?
— Intrigué.
L’image mentale du scientifique était terne, l'énergie qui l'habitait semblait l'avoir désertée. Avant que Mère n’ait pu le questionner davantage sur son état, il enchaina.
— Je suis intrigué par le Projet Trimondes, j’ai du mal à saisir le déroulement de l’opération.
L'intelligence artificielle comprit le message. Le chercheur ne souhaitait pas aborder son passé, préférant se concentrer sur la mission. Soit. Elle répondit à sa demande.
— Très bien.
Satisfait, Vyrian attendit des explications... qui ne vinrent pas ! Au lieu de ça, une interface apparut. Un nouveau monde s'étendait sous les yeux du chercheur. Il reconnut sans difficulté le paysage que lui avait montré Mère la veille. L’endroit lui paraissait encore plus beau. Vyrian humait les effluves des fleurs et ressentait la fraicheur du vent sur sa peau. Il en savourait chaque brise. Il aimait cet endroit.
Mère le laissa quelques instants encore à sa contemplation.
— Les stimuli que je vous projette sont issus du Monde Mythique en temps réel. J'ai pour fonction de surveiller toute trace de vie y compris celle des autres mondes.
Pour la première fois, Vyrian réalisa la complexité de Mère. Toutes ces années, il l'avait cru uniquement au service de leur survie, il s'avérait que ce n'était pas le cas. L'intelligence artificielle poursuivit ses explications.
— En ce qui concerne le développement de ces mondes, leur vitesse est sidérante. Les six années que vous venez de vivre plongé en état de Télépathie représentent dix-huit ans pour eux.
Après un bref calcul mental, Vyrian réalisa l'importance de cette information. Le Projet Trimondes avait été lancé la première année passée en état de Télépathie. Dix-huit ans s'étaient écoulés dans les trois mondes, le projet entrait dans une phase critique. Il s'agissait de l'instant crucial où son sort allait être scellé. Ces résultats seraient-ils concluants ? Qu'apporteraient-ils ? Seraient-ils aussi néfastes que Mère l'annonçait ?
L'intelligence artificielle intercepta les pensées du chercheur.
— Voyez-le par vous-même.
— J'y compte bien.
Un zoom fit apparaître une vaste plaine. En retrait se tenait un village en bordure de forêt. Vyrian appréciait l'harmonie qu'il entretenait avec la nature. Les chemins d'accès, bien qu'aménagés, paraissaient naturels. Les constructions semblaient être une extension même de l'environnement. Le chercheur fut ébahi par une telle prouesse architecturale. De loin, le village se fondait dans le paysage.
Vyrian aurait aimé fouler les sentiers, sentir la terre sous ses semelles. Malheureusement, cela lui était impossible. Mère sentit le désarroi du scientifique. Ne pouvant se permettre de perdre son attention, elle poursuivit.
— Alteryx est un village de dompteurs. C’est un bon endroit pour vous familiariser avec le Monde Mythique et ses créatures. A cette période de l’année se déroule la cérémonie du passage à l’âge adulte. Vous rencontrerez Yomi, une Exilée. Il s'agit d'un des nouveau-nés du projet Trimondes. Fara et Dallan l’ont trouvée non loin du village. Ils l’ont adoptée et élevée comme leur propre fille, Ylméria.
Croyant Mère sur parole, Vyrian se laissa guider. Dans une maison semblable aux autres, le scientifique regardait avec circonspection la jeune femme blonde qui se trouvait devant lui. Son poing délicat venait de percuter le mur de la chambre.
Surpris, le chercheur s'interrogea.
— Que lui arrive-t-il ?
— Voici Ylméria. Visiblement, Yomi est sortie avant qu’elle n’ait eu le temps de lui toucher quelques mots sur l’importance des traditions.
— Mais comment pouvez-vous le savoir ? Nous venons juste d’arriver.
— La vie des Mysticys, c'est ainsi que tes prédécesseurs ont nommé les habitants de ce monde est rythmée par des cérémonies. Ylméria y accorde énormément d’importance, tandis que Yomi les considère comme futiles et dépassées.
Vyrian reporta son attention sur la jeune femme qui avait rapidement retrouvé son calme. Seuls ses yeux trahissaient son humeur. Ils étaient voilés comme si une tempête couvait en elle.
Sans qu’il en comprenne la raison, l’image de Clana, se superposa au visage de la jeune Mysticys, certains traits se confondirent, d’autres s’accentuèrent. Les deux femmes se ressemblaient étrangement. Vyrian tendit la main pour toucher le visage de celle qu’il aimait. Son geste fut stoppé par un déferlement de tristesse. La chaleur qui commençait à regagner son corps se tarit. Le scientifique se retrouva plus seul qu’il ne l’avait jamais été. Il secoua la tête. Aussitôt l’image de Clana se décomposa, ses traits se flétrirent, sa peau craquela et elle disparut dans un nuage de poussière.
Le chercheur avait conscience que son esprit lui jouait des tours, sa souffrance n'en était pas moins réelle. Par prudence, Vyrian détourna les yeux du visage d’Ylméria. Son regard glissa sur sa tunique fendue au niveau des hanches. Le reflet du soleil sur ses dagues attira son attention : cinq fines lames étaient maintenues attachées à sa cuisse.
Un long soupir sortit Vyrian de sa contemplation. Résignée, la jeune femme posa l’une de ses mains à l'endroit où son poing avait endommagé le mur. A son contact, les extrémités de l’impact se rejoignirent, effaçant toute trace de son excès de colère.
Vyrian restait interdit devant un tel prodige. Focalisé sur le mur, il ne vit pas Ylméria quitter la chambre. Mère s’imposa à l’esprit du chercheur et le sortit de son admiration.
— Dépêchons-nous de retrouver Yomi. La cérémonie débute dans quelques heures, elle ne doit pas être bien loin.
Le point de vue changea brusquement lorsque Mère retourna sur l’allée principale. Cette plongée, bien que minime, provoqua chez le chercheur une série de haut-le-cœur. Cela faisait des années qu’il était alité. Voir à travers Mère était déroutant et cela devenait rapidement insupportable lorsqu’elle changeait d'angle de vue.
Mère s’arrêta afin de laisser le temps au scientifique de s'habituer. Elle avait besoin de ses conseils. Malade, il ne lui servirait à rien. De plus, Mère connaissait Yomi depuis son plus jeune âge, elle avait une idée du lieu où elle se trouvait.
Après quelques inspirations-expirations difficiles, Vyrian parvint à se maitriser. Seul le goût âcre de la bile attestait de son mal-être. La projection reprit tranquillement lui permettant de récupérer.
Plus Vyrian découvrait le bourg, plus l’envie d’y vivre se faisait forte. Il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas trouvé un endroit attrayant.
Mère s’arrêta au bout d’une rue, mettant fin aux pensées du chercheur. Deux stèles marquaient la sortie du village. Elle les désigna successivement à Vyrian.
— Ce sont des pierres de bénédictions. A sa naissance, chaque enfant est béni par le chef du village, lui conférant ainsi la protection de ses ancêtres. Au-delà de ces stèles, la protection est inefficace. Chaque ville possède ses propres enchantements. Mais à l'extérieur, tout peut arriver.
Sur ses paroles, Mère dépassa les deux reliques et se dirigea vers un sentier bien entretenu. Après plusieurs mètres, Vyrian distingua une imposante construction. Mère lui apporta quelques explications.
— Ici vit Dungal, le mentor de Yomi. Il exerce différents métiers, d’où la taille démesurée de son foyer. N’étant pas très apprécié au sein du village, il a choisi de vivre à l’extérieur.
— Il ne bénéficie donc d'aucune protection.
— C’est exact.
— Le Monde que tu me décris parait bien plus dangereux que ce que j’ai pu observer.
— Aujourd’hui le village est paisible. Les activités sont à l’arrêt, beaucoup de villageois attendent à la prairie le début de la cérémonie.
Mère pénétra à l’intérieur de la demeure. Elle traversa les murs. Deux voix parvinrent aux oreilles de Vyrian. Il déduisit qu'elles appartenaient à Dungal et Yomi.
La jeune femme était assise sur un canapé. Plus petite que sa sœur adoptive, des cheveux auburn encadraient son visage. Elle portait un simple pantalon de toile complété par une chemise nouée sur le côté, des protections renforçaient ses articulations. Vyrian ne distingua aucune arme.
Plus intrigant, en face d’elle se tenait sur une table une créature que le biologiste aurait prise pour un louveteau, si une lueur ne pulsait pas de son flanc. Il voulut questionner Mère, elle lui intima le silence.
Vyrian se tut et observa la leçon qui se déroulait sous ses yeux. L'homme interrogea son élève.
— Rappelle-moi ce que je t’ai enseigné sur les Xealeras.
Yomi se râcla la gorge, commença son énoncé. Vyrian perdit le flot de ses paroles, focalisé sur l'onglet qui venait de s'ouvrir en périphérie de son champ de vision. Une représentation du Xealeras y figurait. Il comprit assez rapidement que les paroles de la jeune Mysticys se retrouvaient transcrites sur son bestiaire.
"Présentation :
Créatures d’origine mythique, les Xealeras sont couramment surnommées "créatures aux mille visages", en raison de leur complexité comportementale. Une vieille croyance suggère que leur excentricité a pour seul but d’impressionner leurs adversaires.
Description physique :
Canidés pourvus d'ailes ou d'un dard, leur allure dépend en partie de leur environnement. De taille variable, les plus petits individus ne dépassent pas un mètre au garrot.
Facilement reconnaissable aux glyphes parcourant leur corps. Ces marques sont spécifiques à chaque individu. Néanmoins, il existe trois caractéristiques communes : dégradés, mouvants et luminescents.
Magie :
Les glyphes apparaissent lorsque la maturité magique est atteinte. Souvent réprésentés sous forme de spirales, des changements de gamme de couleurs permettent d'observer le flux de magie se déplacer des extrémités vers le centre du glyphe. Elle est plus concentrée au centre de la spirale, la couleur associée y est sombre. A l'opposé, les extrémités seront plus claires. Une fois le flux d’énergie parvenu au centre de la spirale, il est renvoyé en périphérie. Ce fonctionnement possèdent des similitudes avec les battements d’un cœur, d'où son nom de "cœur magique".
Il s’agit de leur source de puissance. Ils servent d’indicateur sur la qualité magique de l’animal, sur sa puissance et sur son expérience. Plus les symboles sont complexes, plus le Xealeras est expérimenté, plus les couleurs sont vives, plus il est puissant et plus le flux magique circule rapidement, plus la qualité de la magie est élevée.
Reproduction :
Les Xealeras ne deviennent pas pubères lors de l’adolescence, mais uniquement lorsqu’ils trouvent le partenaire avec lequel ils veulent passer le reste de leur vie. Ce sont des animaux extrêmement fidèles. Habituellement, le jeune est élevé par ses deux parents. Il n’y a pas d’âge précis pour que le petit s’émancipe, cela peut très bien ne jamais se produire. Généralement, les Xealeras donnent naissance à deux petits. Le premier né est souvent un mâle, la seconde naissance quant à elle marque l'arrivée d'une femelle. Ce type de natalité permet de maintenir constant le sex-ratio de l’espèce, l'ainé protégeant la dernière née."
Captivé par ces découvertes, le chercheur observa fébrilement le coeur magique de l'animal, il s'extasiait devant sa beauté complexe. Yomi ne partageait pas son engouement. Elle se renfonça dans le canapé soupirant de lassitude.
— Dungal à quoi tout cela sert-il ?
— Patience. Vérifions tout d'abord.
Tout en parlant, l’homme ouvrit et tendit un livre à sa disciple. Ensemble, ils vérifièrent les connaissances de la jeune femme. Les vérifications terminées, il fit un geste appéciateur à son élève, signe qu'elle maitrisait le sujet.
— Bien. Je n'ai jamais douté de ton savoir. Cependant, tu te reposes trop dessus. Tu ne cherches pas à savoir ce que signifie un changement des caractéristiques du coeur magique de Xam. Tu me l'a amené car tu as vu qu'il réagissait différemment et tu t'es donc inquiétées. Maintenant que nous avons revu les propriétés des Xealeras, peux-tu essayer d'émettre une hypothèse sur l'état de Xam?
La jeune femme reporta son attention sur son compagnon. Le cœur magique de la créature pulsait frénétiquement, le rythme semblait s’être accéléré. Yomi hasarda une réponse.
— Il est stressé ?
— Et par quoi pourrait-il être stressé ?
— Je ressens depuis quelque temps une étrange aura, ça pourrait venir de là.
Attentif aux dires de son élève, Dungal fit défiler les pages du livre jusqu’à ce que tous puissent lire "les Sanctionneurs". Seulement, Xam n’était pas de cet avis. Il passa sa queue sous la page et la fit tourner.
Seul le titre recouvert d’enluminures avait de l’importance pour Vyrian, le reste était inexistant, seule la "légende de Numyrhis" comptait.
Une voix s’immisça dans sa tête.
— Comme ma maitresse, vous ne venez pas d’ici. J’ignore la raison de votre présence, mais je vous conseille de partir.
Ahuri, Vyrian chercha la provenance de la voix. Tous vaquaient à leurs occupations. Tous sauf Xam. Le chercheur avait la désagréable impression que la créature le fixait. Il savait que cela était impossible. Pourtant, cette voix n’appartenait à aucune des personnes présentes dans la pièce. Après tout « impossible » avait-il réellement sa place dans ce monde ?
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