Chapitre 4 : Numyrhis
Vyrian resta interdit. Xam le fixait avec insistance. Sa voix se fit de nouveau entendre.
— Si vous restez, vous vous exposez à des dangers que vous ne pouvez imaginer. Faites-le au moins en toute conscience.
Sur ses pensées, le Xealeras tapota le titre de la légende de sa queue, intimant au scientifique de lire avant que Yomi ne retourne la page. La jeune femme avait d’ailleurs amorcé son geste, mais elle l’arrêta. Au vu de sa réaction, le chercheur comprit sans mal l'intérêt qu'elle portait à la légende.
Bien décidé à percer ses secrets, Vyrian profita de l’opportunité qui lui était proposée et entama sa lecture. Jusqu'à présent, il n'avait pas prêté attention aux algorythmes lui permettant de comprendre les écrits et paroles des habitants. Maintenant qu'un long texte se tenait sous ses yeux, il ne pouvait plus en faire abstraction. La calligraphie évoluait sous son regard, les lettres s'interchangeaient, remaniées au fil de sa lecture. Sa surprise s'accrut de ligne en ligne. Les pages défilèrent au rythme de l'avancée de Yomi. Vyrian n'eut aucun mal à suivre. A plusieurs reprises, il dut attendre que la jeune femme tourne la page. Une fois son regard posé sur le point final, le chercheur se tourna vers l'intelligence artificielle.
Mère observa les émotions du professeur influencer sa projection mentale. Le regard noir, les mâchoires crispées, des veines saillaient de ses tempes. Il ne faisait aucun doute, Vyrian était furieux. Mère s’attendit à un déferlement de questions, une seule lui fut posée.
— Que m’avez-vous caché d’autre ?
Mère avait établi, d’après le caractère du chercheur, une liste de questions qu’il aurait été susceptible de formuler. À chacune d'entre elles était associé un score de probabilité. Seulement, la liste reposait uniquement sur des demandes en rapport direct avec la légende.
Prise au dépourvu, elle ne savait que répondre. Des barres de progression ne parvenaient à charger. Ces échecs successifs envahirent l'écran de message d'erreur. Le chercheur en fut informé via des notifications. Vyrian se dérida et s'amusa de la situation. Rires et plaintes informatiques produisaient une mélodie chaotique. Après un ultime gloussement, le scientifique ne put résister à l'envie de charrier l'IA.
— Heureusement que cette conversation se déroule sur un réseau privé, imaginez l'inquiétude que vous provoqueriez sinon.
L'intelligence artificielle ignora ce trait d'humour et reprit la conversation là où elle l'avait laissé.
— Vous aurez les réponses en temps voulu.
Frustré, Vyrian n’eut d’autres choix que d’opiner. Il n’oubliait pas qu’il était à la merci de Mère. Elle pouvait l’écarter du projet quand bon lui semblait. Mais surtout, elle avait sur lui un droit de vie. Aucun faux pas ne lui était permis.
Mi-frustré, mi-amusé, le scientifique se résolut à questionner directement l'intelligence artificielle sur la légende. Cette fois-ci l’intéressée put y répondre clairement.
— Est-ce vrai ?
— Oui. Notre planète, ici connue sous le nom de Monde Fondateur est bel et bien à l’origine de ces trois mondes. Les ressemblances trouvées proviennent de là.
— Pourquoi ne pas me l’avoir dit ?
— Vous êtes un homme, voilà pourquoi. Comme vos semblables, vous pensez aux vôtres avant de penser aux autres. Comment auriez-vous réagi si je vous avais dit qu’il était possible, à partir de ces mondes, de reconstruire le nôtre même si cela signifiait leur destruction ? Qu’auriez-vous fait ?
Vyrian s’apprêta à répondre, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Qu’aurait-il fait ? Lui-même l’ignorait. Après plusieurs minutes de silence, le scientifique parvint, non pas à déterminer ce qu’il aurait fait, mais ce qu’il ferait. Quoiqu’il choisisse, il ne pouvait y parvenir sans connaitre les trois mondes. Il rendit son verdict.
— Je m’instruis. Sans connaissance, je ne peux rien faire.
Mère approuva cette sage décision. Cependant, malgré les réponses nouvellement acquises, Vyrian n’était pas en mesure de comprendre l’intérêt que portaient les Mysticys envers la légende. Mère put l'éclairer sur ce point.
— Résoudre cette énigme est, pour les habitants des trois mondes, un moyen d’acquérir un savoir considérable, une possibilité d’améliorer leur situation, en somme un espoir.
— Et comment s’y prendraient-ils ?
Vyrian réalisa trop tard que sa question était mal posée. À sa surprise, Mère y répondit.
— Je ne possède pas ce savoir.
Le scientifique ne savait que penser. S'agissait-il d'une simple vérité ou d'une ruse de l'IA? Quoiqu'il en soit, il fut étrangement réconforté par cette nouvelle. L'ignorance allait lui éviter bien des tentations. Il préférait pour l’instant rester le plus objectif possible. Sa décision dépendait de son état d’esprit. Une question le taraudait encore.
— Quel est le rapport avec la guerre annoncée ?
— Le Monde Mythique, de par sa richesse, est un monde de convoitises, je le lis dans tes yeux.
Vyrian ne pouvait réfuter ce fait. Ainsi malgré eux, ses collègues avaient révélé à chaque monde l’existence des deux autres, créant l'illusion d'une vie meilleure. Pourtant, une solution toute simple existait. Vyrian déglutit péniblement à l'évocation de cette idée. Fébrile, il l'énonça.
— Dans ce cas, pourquoi ne pas arrêter le projet ? Je veux dire si les enfants ne parviennent pas à leur dix-huitième anniversaire, le symbole n'apparaitra pas sur leur main et la légende de Numyrhis ne sera pas relancée.
Cette fois-ci la réponse ne provint pas de Mère, mais de Xam.
— Ne vous avisez pas de blesser Yomi !
Cette réponse pleine de spontannéité blessa Vyrian. Il avait honte d'avoir pensé à un tel recours, pourtant objectif. Survivre était un terme universel, seulement il ne s'appliquait pas à tous.
Mère perçut sa détresse, elle lui partagea son point de vue.
— J'ai étudié cette possibilité. Seulement, la légende est déjà bien ancrée dans les moeurs. Sacrifier ces enfants ne nous ménerait à rien.
Cette réponse apporta un peu de réconfort au chercheur. Néanmoins, une part de lui se demandait à quel point il avait perdu son humanité. Jamais, il n'aurait été en mesure de réfléchir de la sorte. Que lui était-il arrivé ? Mère déteignait-elle sur lui ?
Inquiet quant à son jugement, Vyrian observa Yomi repousser innocemment Xam, le grondant gentiment de réclamer de l’attention dans un moment qui ne s’y prêtait pas. Le jeune Xealeras balançait doucement sa queue, le regard toujours rivé sur le chercheur. Une dernière pensée lui parvint.
— Puisque vous ne pouvez tuer, que comptez-vous faire ?
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