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Il existe encore aujourd'hui à Souliers, en Provence, une place du village qui s'anime, le dimanche, aux cris des joueurs de boules et aux exclamations des spectateurs attentifs aux soubresauts de la sphère métallique. Parmi les vieux qui, sous le regard des plus jeunes, jouent autant qu'ils s'invectivent, il en est un, bien connu de tous les habitants du village pour ses "coups de gueule" et son mauvais caractère, que tout le monde appelle "Pécouï". Et du plus petit au plus grand nul n'ignore à Souliers que le vieux qui joue aux boules, le dimanche, en criant plus fort que les autres et qui pique parfois des colères dignes du "Bondiou" s'appelle "Pécouï". Nul ne l'ignore en effet et nul ne saurait l'ignorer car, à Souliers, comme dans tout le pays alentour, Pécouï est une institution !

Pourtant, Pécouï ne s'appelle pas vraiment "Pécouï".

Il se nomme en réalité Barnabé, ou Marius, ou bien encore Modeste... qui sait ? D'ailleurs, peu importe; ce qui importe, c'est que Pécouï, avant qu'on l'eût rebaptisé, avait un nom. Un véritable nom... Alors, à Souliers, en Provence, il fallut bien, un beau jour, que l'on se creusât le "ciboulot" pour découvrir la véritable identité de Pécouï. Comment s'était-il donc appelé avant qu'on l'eût affublé d'un pareil surnom ?

Aussi, on se renseigna...

Dans tout le village, dans tout le pays alentour, jusqu'à Aix, Toulon et Marseille, on fit fonctionner le téléphone arabe. Jusqu'au moindre recoin du moindre hameau, on chercha à s'enquérir du moindre souvenir qui eût pu orienter les recherches... En vain.

Pécouï, bien entendu, n'a jamais su - ou voulu - répondre. N'avait-il pas cent ans ? N'était-il pas le plus vieux de tous les vieux du village ? Comment aurait-il pu se souvenir lui qui avait "fait" trois guerres ? Et puis, après tout, que leur importait aux autres qu'il s'appelât Pécouï plutôt que Barnabé, Marius ou Modeste !

Le fait est que, de toute façon, rien ne permit jamais aux "autres" de découvrir la véritable identité de Pécouï et l'on eût tôt fait d'enterrer la question. Après tout, Pécouï n'avait nullement besoin de s'appeler autrement que "Pécouï"; et puis, si l'on avait retrouvé son véritable nom, qu'en aurait-on fait ? Pécouï aurait continué de s'appeler "Pécouï" parce que c'était ainsi qu'on l'avait toujours appelé et parce qu'en Provence même les choses qui ont des raisons de changer ne changent pas.

Si bien que, à Souliers, il y a longtemps que l'on a cessé de s'essorer la cervelle en ruminant des questions sans importance et, le dimanche, sur la place du village, Pécouï s'appelle toujours "Pécouï" et les boules courent toujours après le "boutchin"...

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