Quelques jours plus tard, c'est lui même qui me l'avait rapportée, en secret, pour me demander ce que j'en pensais. Je l'avais écouté, sans mot dire, puis, pour ne pas le décevoir et parce que l'histoire était trop jolie pour être invraisemblable, je l'avais rassuré :

- C'est parfaitement plausible, avais-je péroré, et l'on connaît de nombreux cas de songes divinatoires qui, pour la plupart, ont pu être vérifiés scientifiquement...

- Alors c'est vrai ! s'était-il empressé de conclure.

- C'est vrai ! avais-je confirmé sans aucune hésitation.

Et, pareil au dernier hallali que souffle le chasseur dans son cor triomphant lorsqu'il sait que la bête ne s'échappera plus, il avait poussé un long cri de victoire alors que je riais de le voir si heureux et m'accordais l'absolution en songeant qu'une si grande joie excusait forcément un si petit mensonge.

Puis, avant de nous quitter, il m'avait fait promettre - juré, craché ! - de n'en toucher mot à personne, et surtout pas à Pécouï.

J'avais donc promis...

Je l'avais regardé s'éloigner, le coeur content, vers d'autres histoires, d'autres secrets et d'autres serments, avant de m'en retourner à mon tour.

En chemin, j'avais longuement réfléchi.

L'enfant n'avait-il pas inconsciemment élaboré une trame qui eût circonvenu les quelques éléments qu'il possédait afin qu'ils s'enchaînassent, avec d'autres, plus ou moins fantasmatiques, en une histoire parfaitement cohérente et plausible ?

Sans doute. D'ailleurs, je ne voyais pas d'autre explication.

L'hypothèse du songe divinatoire ? Elle avait certes eu le mérite d'enchanter Benjamin mais elle ne pouvait évidemment pas me satisfaire. Et j'aurais préféré la torture plutôt que d'y accorder une once de crédit sans posséder aucun argument qui m'y eût autorisé.

Je m'en tins donc à ma première intuition et, après une nuit interminable, dont une partie fut consacrée à chercher la faille et l'autre à chercher le sommeil, je décrétai, in fine, que l'hypothèse, quoiqu'elle fût difficilement vérifiable, était, indubitablement vérifiée...