Chapitre 10 : L’Ombre des Drakkars
Luminar sous tension
La côte bretonne était plongée dans une lumière grise et froide, le ciel chargé annonçant une tempête imminente. Le vent marin sifflait à travers les murs du château de Luminar, rappelant que le calme apparent n'était qu'une trêve fragile. Dans la grande salle, Aldemar se tenait penché sur une carte usée, chaque marque rouge trahissant un village pillé par les Vikings, chaque nom un lieu sous sa responsabilité.
Le silence fut rompu par le bruit des bottes d'Edwyn et Thibaut entrant ensemble. Leurs visages étaient graves, empreints d'une complicité forgée par les batailles, mais aussi d'une inquiétude partagée.
— « Les éclaireurs ont aperçu trois drakkars près de Plouharnel à l'aube, » annonça Thibaut. « Les villages alentours ont été évacués, mais ils brûlent tout sur leur passage. »
Aldemar leva un regard fatigué vers son fils.
— « Combien de temps avant qu'ils progressent plus loin dans les terres ? »
— « Quelques jours, peut-être moins, » répondit Edwyn, sans hésiter. « Ces attaques sont trop organisées pour être de simples pillages. Ils attendent quelque chose... ou quelqu'un. »
Aldemar hocha la tête, absorbé par ses réflexions.
— « Nous ne leur laisserons pas l'initiative. Edwyn, prépare les troupes. Thibaut, veille à ce qu'ils soient prêts à partir avant la nuit. »
Thibaut esquissa un sourire narquois.
— « Vous voulez dire : surveiller Edwyn pour qu'il ne fonce pas tête baissée, n'est-ce pas ? »
Edwyn répondit d'un regard noir.
— « Ne confonds pas audace et imprudence, Thibaut. Peut-être pourrais-tu apprendre quelque chose. »
Aldemar leva une main pour couper court à leur échange.
— « Gardez votre énergie pour ceux qui méritent votre colère. »
Dans un coin de la pièce, Père Théobald observait la scène. Il s'avança d'un pas, sa voix calme et grave résonnant dans la grande salle.
— « Une bataille est toujours un dernier recours. Mais si elle est inévitable, veillez à ce que votre cœur ne soit pas aveuglé par l'orgueil. »
Ces mots tombèrent comme un écho solennel, et même Aldemar sembla en être touché.
Dans les couloirs, Isolde s'activait à préparer des potions et des bandages pour les guérisseurs. Edwyn croisa son chemin et ralentit.
— « Tu te prépares à nous sauver, n'est-ce pas ? » dit-il avec un sourire en coin, cherchant à alléger l'atmosphère.
Isolde répondit avec un calme inébranlable.
— « Je fais ma part. Assure-toi que ce ne soit pas vain, Edwyn. Reviens. »
Son ton était doux, mais son regard portait une intensité qui fit réfléchir Edwyn alors qu'il continuait son chemin.
Les falaises de Plouharnel
Le lendemain, les troupes bretonnes atteignirent les terres ravagées. Depuis une colline surplombant la plage, Edwyn et Thibaut observaient les drakkars alignés, leurs silhouettes sombres se détachant sur l'horizon. Une vingtaine de guerriers vikings patrouillaient autour des navires, mais il manquait une partie de leurs forces.
— « Ils sont moins nombreux que prévu, » murmura Thibaut.
— « Le reste est probablement à l'intérieur des terres, » répondit Edwyn. « C'est une diversion. Mais nous allons frapper avant qu'ils ne reviennent. »
Il ordonna rapidement ses troupes : une unité légère contournerait la plage pour couper toute retraite, tandis que lui-même et Thibaut mèneraient une charge frontale.
La bataille éclate
Le combat débuta avec la violence d'une tempête. La charge bretonne prit les Vikings par surprise, semant la confusion dans leurs rangs. Edwyn, en tête, combattait avec une précision féroce, son épée fendant l'air avant de plonger dans le torse d'un ennemi. À ses côtés, Thibaut galvanisait les hommes, son bouclier bloquant un coup tandis que son épée transperçait un adversaire.
— « Tenez la ligne ! » hurla Edwyn en parant une hache menaçant son flanc.
Mais un cor retentit soudain depuis les bois, et une vague de renforts vikings surgit, leurs cris de guerre résonnant sur la plage. Le sol se couvrit de boue et de sang tandis que les Bretons luttaient pour maintenir leur position.
— « C'était un piège ! » grogna Thibaut en esquivant une lame.
Edwyn, le visage ensanglanté, refusa de reculer.
— « Nous ne céderons pas un pouce ! Tenez vos positions ! »
Non loin, Bastien de Saint-Cyr combattait avec la maîtrise d'un vétéran, sa lame dansant avec efficacité. Il abattit un adversaire avant de crier à Edwyn.
— « Si nous restons, nous serons encerclés ! Il faut reculer ! »
Edwyn hésita, ses poings serrés autour de son épée. Mais il savait que Bastien avait raison.
— « Thibaut, donne l'ordre de repli. Protégez les blessés. »
Une retraite stratégique
Sous la pression des renforts vikings, les Bretons se replièrent vers les collines, couvrant leur retraite avec acharnement. Père Théobald, resté en arrière, accueillit les survivants avec une sérénité calme, récitant des prières pour les âmes des disparus.
Edwyn, depuis une hauteur, observa les drakkars toujours alignés sur la plage. Ses mains tremblaient, non de peur, mais de rage contenue.
— « Ce n'est que le début, » murmura-t-il en fixant l'horizon.
Un avertissement bienvenu
Plus tard, alors que les soldats installaient un campement de fortune dans les collines surplombant la plage, Bastien de Saint-Cyr s'approcha d'Edwyn, suivi de Père Théobald. Bastien arborait une expression sévère, tandis que Théobald gardait un regard empreint de gravité, ses mains croisées devant lui.
Edwyn, assis sur une pierre, nettoyait sa lame encore maculée de sang séché. Ses gestes étaient lents, presque mécaniques. À l'approche des deux hommes, il releva les yeux, son visage marqué par l'épuisement et une lueur de défi.
— « Si c'est pour me rappeler que nous avons battu en retraite, je suis déjà au courant, » lança-t-il d'un ton tranchant.
Bastien ne broncha pas devant l'attitude du jeune homme.
— « Ce n'est pas la retraite que je critique, » rétorqua-t-il, croisant les bras. « C'est ton impulsivité. Si tu veux commander des hommes, tu dois apprendre à réfléchir avant d'agir. Aujourd'hui, ta bravoure a failli nous coûter bien plus que quelques vies. »
Père Théobald posa une main apaisante sur l'épaule de Bastien, signalant qu'il souhaitait intervenir. Il avança d'un pas vers Edwyn, sa voix calme mais empreinte d'autorité.
— « Écoutez bien, Edwyn, » commença-t-il. « La colère est un feu puissant. Elle peut être une force motrice, mais si elle n'est pas maîtrisée, elle consume tout sur son passage, y compris ceux que vous aimez. »
Il marqua une pause, observant attentivement le visage tendu d'Edwyn avant de continuer.
— « Votre père porte un poids immense sur ses épaules. Il espère que vous serez prêt à le porter un jour. Mais pour cela, vous devez apprendre à guider avec sagesse, et non seulement avec votre épée. »
Edwyn serra les mâchoires, incapable de répondre immédiatement. Les mots des deux hommes semblaient percer ses défenses, plantant une graine de réflexion dans son esprit. Il baissa les yeux vers sa lame, les muscles de sa mâchoire toujours contractés, avant de murmurer :
— « Je comprends. Je... Je ferai mieux. »
Bastien posa une main ferme mais rassurante sur son épaule.
— « Être un leader, ce n'est pas seulement combattre, Edwyn. C'est écouter, observer, et agir avec discernement. Mais ne t'inquiète pas, tu n'as pas à apprendre cela seul. Nous sommes là pour t'aider. »
Les deux hommes le laissèrent seul, retournant au campement. Edwyn, lui, resta immobile, son regard fixé sur l'horizon sombre. Les drakkars étaient encore visibles, leurs coques noires découpant la nuit. Pourtant, ce n'était pas leur présence qui pesait sur son esprit, mais les paroles de Bastien et de Théobald. Elles résonnaient en lui comme un rappel, insistant et inéluctable, de ce qu'il devait devenir.
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