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« Je ne suis pas celle que tu crois. Je t’ai menti depuis des semaines, seulement pour te séduire. »

Cela, évidemment, Sibyl ne pouvait le lui dire. Elle avait besoin d’une fille à la hauteur, d’une soupirante prête à se mettre dans le rouge pour lui offrir le repas. Mais, plus que tout, elle voulait qu’on l’effleure, qu’on la touche, qu’on l’embrasse ; avec désir et sans pitié. Depuis combien de temps n’avait-elle pas goûté la chaleur d’un corps qui s’enivrerait du sien ?

« Une déesse tombée d’un astre » ? À l’en croire, Julia était sous le charme. Si elle rompait le charme maintenant, en confessant la supercherie, elle se priverait d’une belle affaire déjà conclue. Non ! Elle s’était donné trop de mal ! Elle en avait trop bavé pour être honnête maintenant. Cette histoire d’un soir, cette jolie illusion, elle la méritait.

La main froide de Julia cherchait tant bien que mal son chemin sous les sequins. Sitôt qu’elle glissa sur sa poitrine, le téton de Sibyl se raidit, gelé. Volontairement frigide, luttant contre l’envie de lui tomber dans les bras, la jeune femme glissa sa main chétive contre ce visage rond. Du bout des doigts, elle caressa la joue gonflée d’envie de la brune qui, déjà, tentait de lui voler un baiser. Détournant le regard, la conductrice reporta son attention sur le ciel dégagé, la Nuit scintillante dans sa robe de soirée. Julia, désemparée, n’eut qu’une pommette à embrasser. Au creux de ses lèvres aguicheuses, sourdait une puissante déception. Sibyl jubilait.

— Chez toi ou chez moi ? demanda-t-elle, les pupilles happées par la Nuit envoûtante.

Selon la réponse, l’illusion durerait peut-être plus d’un soir.

— Et pourquoi pas ici ? la surprit Julia.

Comme l’impatience lui allait bien ! Déjà, la langue avide de Sibyl préparait le terrain de sa lèvre mordue.

— Ici, il fait froid. Et tu as les mains glacées.

— Mais tu as bien dit que tu avais des couvertures à l’arrière ?

Oui, par excès de prévenance, cela lui avait échappé.

Sans attendre de confirmation, Julia se contortionna pour se faufiler à grand peine entre les deux sièges avant. Sibyl tenta de la retenir.

— Attention à …

Trop tard. Son rencard venait de se vautrer dans la marée d’objets en vrac qui traînaient sur et sous la banquette. Avant que la conductrice puisse protester, l’autre avait tiré jusqu’à elle l’un des plaids étendus par-dessus ce simulacre de brocante ; révélé sa bonbonne de gaz, ses sacs de provisions, un tabouret pliable, le fer à lisser, sa trousse de toilette, des piles de vêtements et ses cageots de livres.

— Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ?

— C’est… hmm… des choses que je dois porter à… une association.

— Les bouquins, les courses, ok. Mais tu leur refiles aussi tes vieilles brosses à dents ?

— Non. Ça c’est… comment dire ? Pour rester présentable. J’ai toujours de quoi me changer, de quoi m’apprêter, et même de quoi étudier. D’où cette voiture pas très glamour.

— Et moi qui croyais que j’étais pleine de surprises…

Les lèvres de Sibyl se tordirent, rictus en coin. Son bobard venait-il par hasard de consolider ses attraits ?

À l’arrière, Julia se frayait une place entre les habits pliés et une caisse qui débordait de manuscrits. Elle en piocha un au hasard et entama de le feuilleter.

— Traité d’architecture ? Ça intéresse les démunis, ça ? Ça explique comment bricoler une maison avec quatre plaques de tôle ?

Sibyl pouffa. Elle vérifia que le frein à main était convenablement serré, puis glissa à son tour le buste entre les sièges, par-dessus la console.

— Je te l’ai dit, j’ai toujours de quoi étudier. Ce sont mes livres, pour les cours. T’es pas tombée sur le plus fun, cela dit.

— C’est vrai, j’oubliais que tu veux être le prochain Corbusier.

— Et toi… Coco Chanel ?

La moue péchue de Julia se fendit d’un sourire. Sa main, à nouveau, égratina les sequins entre les seins de sa belle.

— C’est une jolie robe. Mais, si tu me laisses prendre tes mesures, je t’en ferai une plus belle encore. La robe parfaite. Celle dans laquelle n’importe qui voudra te rouler une pelle.

— Et pourquoi je voudrais que n’importe qui me roule une pelle ?

Leurs yeux se dévorant pétillaient d’envie. Tout en continuant de tourner machinalement les pages qu’elle entrevoyait à peine, la brune pimpante admit :

— J’avais du mal à croire que tu me plairais. Je les connais, les filles comme toi. Belles. Riches. Vous croyez tout valoir et tout mériter. D’habitude, les filles comme toi rechignent à se salir les pompes, trouvent le ciel d’un ennui… et, surtout, elles ne jouent pas les baroudeuses dans un tas de ferraille en trimbalant tout leur nécessaire de camping. Qu’est-ce que tu es, Lucie ? Une espèce de bobo à paillettes ?

— Une espèce rare, à ce qu’on dirait.

Les diversions ne tiendraient pas éternellement. Pressée d’en découdre, Sibyl saisit d’une main le menton de l’autre et asséna à sa bouche trop bavarde un baiser enfiévré. Sitôt, le livre tomba. Les paumes gelées de Julia lui saisirent le visage pour lui rendre son ardeur. Faute de place à l’arrière et l’envie lancinant, la brune lâcha un soupir supplicié :

— Chez toi.

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