La jeune femme était charmante. Le manoir, une véritable oeuvre d'art. Lumineux, froid et finement ciselé. D'une stature telle qu'il était impossible à appréhender en son entièreté d'un seul regard.

La façade était évidente, et pourtant dissimulait un grand nombre de secrets derrière des parois compliquées.

"Je suis Anne Short, la soeur du colonel. Il descend dans une minute." déclara-t-elle, le visage insondable.

Mills s'attendait à voir un homme imposant. C'était une silhouette élancée qui descendit l'escalier. Il paraissait frêle ; ses mains avaient les mêmes mouvements flous de branches d'arbres balayées par le vent.

Par crainte de le blesser en la serrant, Mills ne prit pas l'initiative d'avancer sa main.

Son costume ressemblait à un uniforme, à ceci près que son étoffe était d'un blanc fabuleux.

Il semblait tout autant un spectre qu'un dieu miséricordieux. Il se tint face à un Mills immobile, les mains dans le dos.

"Vous pouvez vous asseoir. Je resterai debout, si vous voulez bien."

Mills ébaucha un mouvement pour s'asseoir, mais observa que la jeune femme restait également debout, et il se redressa aussitôt. Il se racla la gorge avant de parler.

"Monsieur, je…"

Il dansait d'un pied sur l'autre.

"Capitaine Langhorn a pensé que vous pourriez nous être d'une aide précieuse au sujet de la série de meurtres qui ont récemment ensanglanté Londres."

"Vous savez, je m'attendais à ce que vous veniez me questionner. À cause de mon passé.

Le ton était léger, poli, nonchalant, sans aucune trace de honte ou d'embarras.

"Nous avons noté des similitudes avec votre–"

"Mes crimes passés. Vous pouvez prononcer les mots, inspecteur. Croyez-moi, je suis conscient de l'horreur de mes actes. Et également très loin d'eux maintenant.

Comme Mills restait silencieux, il poursuivit :

"La guerre m'a permis d'exprimer le meilleur de mes sentiments, mais m'a laissé les accomplir de la plus scandaleuse manière. Vous voyez, inspecteur, un soldat entrainé est une arme formidable lors d'une guerre. Imaginez alors en commander un régiment entier. Vous vous sentez aussi puissant qu'un dieu. Mais non le chrétien bienveillant, qui vous invite au pardon et à la miséricorde. J'ai plutôt pris exemple sur les idoles vindicatives des tribus indiennes. Ces Indiens font d'ailleurs preuve d'un engagement total dans le conflit. Ils rechignent souvent à faire des prisonniers, n'épargnant que ceux qui acceptent de devenir leurs esclaves."

Le colonel eut un sourire froid.

"Étrangement, personne en Angleterre n'a eu l'idée de leur demander des comptes pour leurs infâmes agissements. Peut-être parce que le roi les considère comme des barbares primitifs. Mais je peux vous assurer qu'ils ont une spiritualité très élevée. À mon sujet, cependant, les autorités ont considéré qu'un officier d'une nation civilisée ne peut agir ainsi."

"Vous avez tué des femmes, Monsieur."

Short fit un large geste, comme s'il chassait une mouche.

"Ils oublient que la guerre n'a rien à voir avec le fait d'être civilisé ou non. Les civilisations à leur apogée –pensez aux Romains– continuent de faire la guerre. Ce qui signifie annihiler des vies, démembrer des corps, et transpercer d'autres humains avec de tranchantes pièces de métal, que ce soit une ogive ou la lame d'une épée."

"Pourquoi avez-vous tué ces femmes, monsieur ?"

Il haussa les épaules.

"Je n'étais pas moi-même. Je souffrais, j'étais sous l'influence de drogues. Je ne suis plus le même, à présent. Ni l'assassin de ces nouvelles victimes. Mais je puis vous dire ceci : les légendes sont juste des légendes. Elles ne sont vraies que pour ceux qui y croient."