VI
Lorsque Mills entra dans le bureau de Langhorn, ce dernier préparait sa pipe.
“Trois corps et aucun suspect. Le sort n’est pas en notre faveur, Mills.”
“Les femmes ont peur de sortir en centre-ville. Nous avons l’habitude des crimes commis à Whitechapel ou Southwark. Et ce sont généralement des vols."
L’inspecteur se figea.
“Dites-moi, Mills, quel type de femme rentre à pied dans les rues de Londres ?”
“Je ne vois qu’un genre : les prostituées. Ce que nos victimes ne sont pas.”
“Ce qui signifie qu’elles étaient accompagnées, dans un fiacre, ou une berline. Sans doute pas une calèche. Il fait trop froid. C’est certainement à bord de l’un d’entre eux qu’elles ont été tuées.”
“Ce qui expliquerait que les semelles de leurs chaussures soient sèches.”
“Exactement. Et leur corps a été jeté en chemin, le bruit de la chute couvert par le bruit des sabots..”
“Nous devons savoir avec qui elles se trouvaient plus tôt dans la soirée. A propos, qu’a dit le mari de lady Short ?”
“Une chose intéressante. Je cite : ‘Il y a quelque chose d’étrange avec ma femme. J’ai toujours suspecté qu’il y avait quelque chose de plus que de simplement s'occuper de son frère.’ Il a ajouté qu’elle avait commencé à s’éloigner de lui de plus en plus. Ainsi, il a accepté la séparation.”
“A-t-elle des amies ?”
“En fait, oui. Elle les voit régulièrement.”
Langhorn regarda par la fenêtre.
“Peut-être devrions-nous les questionner.”
***
“Nous n’avons pas trouvé l’arme des meurtres, mais peut-être pourrions-nous comparer avec celle utilisée par le colonel Short. A-t-elle été conservée ?”
“Absolument. Elle doit se trouver aux Archives du Département de la Défense.”
“J’aimerais la voir, monsieur. Cela pourrait apporter un éclairage sur le mode d’action du meurtrier.”
“Je vais demander au directeur qu’il nous arrange un rendez-vous.”
***
“Messieurs, je suis assez embarrassé. J’ai de mauvaises nouvelles. Autant pour moi que pour vous.”
“Que voulez-vous dire exactement ?”
“Nous n’avons pas retrouvé l’arme du colonel Short. Elle a disparu de nos archives.”
“Comment est-ce possible ?”
“Elle a été volée. Nous ignorons pour l’heure comment et par qui.”
“Ne gardez-vous pas un registre des personnes qui consultent les preuves ?”
“Bien sûr. Le dernier visiteur est un individu nommé Asthon Ren. Cela date de bien avant le premier meurtre.”
“Nous pouvons alors supposer que notre série de crimes a été perpétrée avec l’arme du colonel ?”
“Cela semble probable, messieurs.”
Langhorn grimaça.
“Que savons-nous à propos de l’arme ? Quelle est son origine ?”
“D'après le rapport rédigé à l’époque, elle a été fabriquée à la main, selon une technique primitive, mais d’une grande qualité d’exécution néanmoins. J’imagine qu’il s’agit d’une pièce unique, provenant des Amériques. Ce qui expliquerait que le tueur a voulu s’en emparer. Demander un tel ouvrage à un manufacturier local aurait assurément engendré des suspicions.”
“Qui avait connaissance de son existence ? Et qu’elle était gardée ici ?”
“La réponse à la première question va vous décevoir : toute personne qui avait lu les journaux lors du procès du colonel. Mais seules quelques personnes sont au courant de l’adresse de ce bâtiment. Et un nombre encore plus réduit y ont accès.”
“De quelle manière les visiteurs ont-ils accès aux dossiers ?”
“Ils doivent avoir une lettre de recommandation, signée par un juge. Ou bien ils doivent être membres de la Sureté, comme vous. Et ils ne peuvent consulter les documents et indices que dans une seule pièce, sous la surveillance d’un clerc assermenté. Aussi, je ne comprends pas comment un vol a-t-il eu lieu.”
“Est-il possible de rencontrer ce clerc ?”
Le directeur prit une respiration.
“Malheureusement, il est mort voici quelques jours. Il a été retrouvé dans la Tamise. Sans doute le résultat d’une nuit de beuverie. Il était connu pour son penchant pour le gin.”
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