Le courant d'air !
Rien n'est jamais simple !
On se dit que le mauvais sort est réservé aux perdants ou tout du moins aux autres. Mais parfois le destin prend des raccourcis et t'offre un billet aller simple à bord d'un ascenseur direct pour un " ennui maximum " selon la loi de Murphy dite encore " loi de la tartine beurrée ".
Je m'en souviens comme si c'était hier.
J'étais chez moi dans mon salon, à regarder une émission sur mon écran de télévision. Une soirée banale à suivre un divertissement, sans grande conviction, après un repas en ma seule compagnie dans ma petite cuisine. Des chanteurs se succédaient sur une scène lumineuse et apportaient une présence réconfortante en reprenant des tubes français des années 80.
Au dehors, la tempête claquait les toits, secouait les volets et noyait les gouttières. Dans la rue, l'eau débordait des caniveaux et chantait sa fureur en s'engouffrant dans les regards avec force de bouillons. J'avais donc deux concerts pour le prix d'un. Mais Mitsy n'avait pas le même engouement musical et s'inquiétait à chaque coup de tonnerre en miaulant ses angoisses, à moins qu'elle ne tenta de reprendre à son compte l'un ou l'autre refrain.
Elle passa furtive derrière les meubles, lança des regards fous à la recherche d'une échappatoire. Sur une curieuse inspiration, sans doute incontrôlable, elle traversa le dessus du buffet et bouscula des pommes pink ladies qui se mirent à tomber sur le parquet en rebondissant, comme animées d'une soudaine envie de vivre.
Attiré par le raffut, alors que je revenais de la salle de bain dans un très séduisant pyjama bleu à fines rayures rouge fuchsia, je me mis à courir derrière ma petite chatte complètement hystérique.
J'avais encore laissé la porte de la buanderie entrouverte pour ventiler les odeurs de cuisine. Malheureusement, ce type de local donnait sur l'extérieur par un moucharabieh et je compris trop tard que ma boule de poils venait de prendre la fuite.
Enfilant en catastrophe une robe de chambre et un joli bonnet de nuit, je fonçais sans réfléchir vers la porte d'entrée, attrapant au passage un vieux parapluie. Mon appartement se trouvait au premier étage d'un immeuble à taille humaine et il m'arrivait souvent de descendre au rez-de-chaussée pour guetter le facteur en laissant ma porte entrouverte à l'aide d'un vieux chausson.
Arrivé sur le palier au pied du bâtiment, je réalisai que j'étais en tongues. J'ouvris la porte vitrée en déverrouillant la serrure électrique. L'air s'engouffra d'un seul coup, violemment, emportant mon bonnet dans la cage d'escalier. J'allais ouvrir la bouche quand je me pris une douche phénoménale.
Et soudain, je crus " mourir ".
Une porte, la porte de mon logement, venait de claquer brutalement et le son de l'impact contre le dormant rebondit dans tous les étages. Avec lui une terrible angoisse prit corps et me vrilla fortement les tripes. Les clés de mon appartement étaient restées sur la serrure à l'intérieur. Et bien sûr, sécurité oblige, il n'y avait pas moyen d'ouvrir de l'extérieur.
Des images de colère et d'insultes défilèrent dans ma tête. J'avais les larmes aux yeux. Le double se trouvait chez le concierge de la résidence. Mais que faire un dimanche soir, de surcroît en tongues et en pyjama rayé, au beau milieu d'une tempête.
L'éclairage sur minuterie s'éteignit dans une mise en scène théâtrale de rideau qui tombe, sans les applaudissements. Assis sur les marches, je broyais du noir en m'essuyant le visage trempé de pluie et de larmes d'un revers de manche quand je réalisai que ma fifille toute humide, le poil en bataille, tournait autour de mes jambes en miaulant pour se faire pardonner.
Il était 23h00.
Des éclairs transperçaient le vitrage blindé de l'entrée.
J'avais imaginé une toute autre soirée.
Je glissai alors mes mains dans les poches de ma robe de chambre pour découvrir une boule de chocolat aux noisettes inattendue, encore dans son écrin doré.
Un sourire amer apparut sur mes lèvres tout en écoutant le ronronnement de ma petite chatte. Le téléviseur d'un voisin se réveilla entre deux bourrasques et la voix de Mike Brant vint franchir tout l'espace avec des paroles d'une grande tristesse :
" Rien qu'une larme dans tes yeux... "
Oui je sais... Ne riez pas !
=O=
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