Le chaperon aux cheveux de feu !¹

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Jasmine réside dans une cité et squatte une barre d'immeuble que l'on s'apprête à détruire prochainement.

En dehors d'elle, plus personne n'y habite. Portes et fenêtres sont murés en grande partie. Mais elle a ses passages. Alors elle se terre dans ces locaux de fortune tant que les keufs ne l'ont pas repérée. Elle aime bien son soixante mètres carrés. Elle n'a pas beaucoup de lumière et s'éclaire souvent avec des bougies qu'elle emprunte à l'église.

Pour l'eau, elle se débrouille avec un bidon qu'elle remplit chaque nuit à une bouche d'incendie. Elle n'a pas très chaud non plus, mais difficile de faire un feu sans se faire remarquer alors, elle accumule les couches de vêtements et s'isole dans une pièce pour dormir avec tous les cartons d'emballage qu'elle a pu récupérer dans les bennes derrière les services de livraison des grandes surfaces...

Depuis quelques jours, elle se faufile tôt le matin avant l'arrivée des équipes d'artificiers qui conditionnent des aménagements pour supporter des charges d'explosifs, dans les différents étages. Vu qu'il y a plus d'une centaine d'appartements, répartis sur six niveaux et desservis par une vingtaine d'escaliers, elle sait qu'elle peut encore rester sans se faire repérer. Elle a bien conscience que c'est du provisoire.

De toute façon, elle n'a pas d'autres endroits où aller pour l'instant, à part chez sa grand-mère maternelle Simone qui l'accueille de temps à autre pour qu'elle fasse une grande toilette. Mais il faudra bien qu'elle quitte son antre pour une demeure plus tranquille. La vie de Jasmine est si difficile. Elle ne se plaint à personne de ses conditions précaires. Pour beaucoup de personnes, c'est un fantôme aux cheveux de feu.

*

Sa vie tourne autour du malfrat Loupio, une sorte de proxénète et de revendeur de cam. Elle fait des passes pour lui et touche un pourcentage. En général, c'est le matin ou parfois le soir. On lui laisse un mot dans une boîte aux lettres avec des consignes. Elle se rend alors dans un petit hôtel près du périph'. Le gars à l'accueil reçoit des instructions par téléphone et perçoit au passage une com'.

Après plusieurs passes, elle en profite pour se laver et s'habiller avec des vêtements propres. Son protecteur tient à appater la clientèle en s'assurant qu'elle fait toujours son petit effet. Alors, elle dispose de jolis dessous, de fringues près du corps et de chaussures à talons hauts, un perfecto et un petit sac à main d'un beau rouge carmin. Et sur ces beaux cheveux, une casquette incarnat à la gavroche.

Elle a besoin de tunes pour elle bien sûr, mais aussi pour sa grand-mère qui est très malade. Elle assure des heures à mi-temps comme serveuse dans un petit bar le midi au moment du coup de feu. On lui confie aussi des ménages à la station-service tard le soir pour nettoyer les chiottes presque toujours dégueulasses.

Ça change tous les jours.

Sauf que là, elle gamberge de trop.

Elle rame depuis trop longtemps pour s'en sortir. Alors un matin, elle se décide à voir son mac pour passer un deal.

  • Salut Loupio. Ça roule !
  • Qu'est-ce tu fous-là, la pisseuse ? Tu m'apportes du fric.
  • Pas vraiment, en fait, j'ai besoin d'un coup de main.
  • Retire ta capuche quand tu me causes, hein la petite pouffe.

Jasmine montre son visage en rabattant sa capuche en arrière et retire sa casquette. Elle a de beaux cheveux flamboyants de couleur rouille. Et l'espace d'un instant, un rai de lumière vient mettre en évidence une balafre sur sa joue, souvenir cuisant de sa première rencontre avec son marlou.

Elle avait cru au grand amour mais il lui avait ricané au nez. Alors histoire de la mettre dans le rang, il lui avait entaillé la joue. Elle en avait beaucoup souffert et s'était jurée qu'un jour prochain, elle se vengerait. Et justement, celui-ci était arrivé !

Demain les artificiers doivent faire sauter toute la barre de son immeuble. Mais Loupio n'est pas au courant. Alors elle lui propose de se pointer à son squatt pour l'aider à déménager afin qu'elle puisse s'intaller chez sa grand-mère pendant quelques temps.

  • Ma grand-mère sera là. Elle apporte des bijoux qu'elle voudrait échanger contre de l'argent.

Et comme Loupio connait des receleurs, ça pourrait être pour lui, une bonne affaire.

  • Alors qu'est-ce que t'en penses ?
  • Disons que cela m'intéresse ! Ta grand-mère sera là.
  • Oui je lui ai demandé de venir. Comme ça, elle te dira combien elle en attend. Elle a besoin d'argent pour se payer un traitement médical. Elle m'a pas précisé. Une chimio, une transfusion, j'sais pas trop !
  • À quelle heure !
  • Demain à 10 : 00. Mais il faudra te montrer discret parce qu'ils vont bientôt faire sauter mon squat.
  • Ok, la futée. J'te préviens. Pas d'ambrouille.

Elle acquiesce sans mot dire, remet sa casquette en avalant ses beaux cheveux, rabat sa capuche et repart sans un regard en arrière dans sa démarche féline et lascive.

*

Comme convenu, Loupio se pointe incognito à la planque de Jasmine. Mais la jeune fille qui connait bien tous les passages a retiré une plaque métallique, posée au sol pour couvrir une trappe, dans un espace sans lumière entre des paliers et des escaliers. Sa grand-mère se tient à l'étage juste au-dessus et sert d'appat.

Au moment de l'apercevoir, le malfrat se prend de plein fouet dans le buffet un chariot lesté de bouteilles de gaz et propulsé par Jasmine qui a pris son élan. Déséquilibré, le marlou part à la renverse, entrainant dans sa chute, le fardeau improvisé dont il se retrouve lesté, sur plusieurs étages.

Jasmine et la grand-mère longent un couloir et prennent une issue par un autre escalier de service. Dans ce dédale, elle est chez elle et se dirige sans le besoin de s'orienter. Mais Simone, très fragile sur ses jambes, ralentit sans cesse leur fuite. Le temps tourne, les secondes galopent... La mise à feu est prévue pour 10 : 15. Et il leur reste que quelques minutes...

*

Au pied de l'immeuble, il faut suivre une tranchée, passer entre des buttes de gravats et se glisser le long des palissades de chantier pour rejoindre un terrain vague envahi par les ronces et les taillis. Simone s'essouffle. Mais Jasmine la soulage au mieux en la soutenant au maximum. Son cœur bât à tout rompre, encore sous le coup de l'émotion de son crime. Elle espère que ce salopard de Loupio a eu son compte.

Alors une série de détonations s'enchaîne en cascade et résonne derrière les deux femmes emportées par l'onde de choc... Elles ne doivent surtout pas se retourner... Juste courir... courir sans cesse... Elles se font submerger par un violent déplacement d'air qui leur secoue les oreilles et les empêchent de respirer. Plaquées au sol, elles attendent que cela cesse. Un nuage impressionnant de poussières de ciment les submerge et les engloutit. L'air revient. Alors sans attendre et presque à l'aveugle, elles finissent par s'éloigner et trouver refuge dans d'immenses buses de chantier.

*

Loupio ouvre les yeux ! Il souffre du dos et ne sent plus du tout ses jambes.

Un bruit extrêmement sonore en écho résonne de partout autour de lui et occupe tout l'espace. Il a l'impression d'une cascade de plaques de béton qui s'entrechoquent et se disloquent. Alors tout cède, s'affaisse et amorce une descente vertigineuse.

Alors, il revoit son île, la Sicile.

Il revoit l'Etna qui crache ses laves et déversent ses cendres...

Sa vie se déroule à la vitesse de la lumière comme dans un film en accéléré.

La mort vient lui proposer une dernière passe et il est clair qu'elle n'a pas pris rendez-vous.

=O=

¹ Adaptation moderne du conte du " Petit chaperon rouge " de Charles Perrault et des Frères Grimm.

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