Nous vivons là depuis longtemps déjà.

Un peu dispersés entre les allées, les massifs et les parterres de fleurs. Présents inlassablement la nuit et le jour.

Sous la pluie, lavés, délavés.

Au soleil, brûlés, nous perdons nos couleurs.

Au froid, on se craquelle.

Un fois par jour, la maîtresse de la maison passe avec son arrosoir et disperse ses larmes de pluie sur nos amies les roses, les pivoines rouges et charnues et les pensées délicates. Plus loin attendent des fleurs de roche qui courent naturellement sur des pentes escarpées.

Aux murs et aux grillages coulent et serpentent des glycines.

Quelques arbres fruitiers se répandent sur nous dès le mois de juin de leurs cerises sucrées. Les mouches et les abeilles, les papillons et les libellules se plaisent alors à nous rendre visite, nous fréquenter plus que de raison, pour boire ce suc revigorant.

*

Moi je m'appelle Grincheux.

Et de toute la bande, je suis malgré mon caractère de cochon, le seul qui soit vraiment amoureux de la belle Blanche-Neige. Je la vois du coin de l'œil. Ne pouvant me mouvoir, j'espère sans cesse qu'on vint à la déplacer pour je puisse l'admirer et surtout qu'elle me remarque.

La dame à la pluie se fait rare depuis quelques temps. Elle ne vient plus nous admirer. Je crains qu'il lui soit arrivé grand malheur. Et le jardin se meurt.

Alors une nuit, sans trop savoir pourquoi, des ombres masquées entrent dans notre lieu de vie, notre espace de poésie, notre jardin de contes. Ils portent de grands sacs et sans ménagement, ils entreprennent de nous kidnapper. Bien sûr, ils s'emparent de mes frères et surtout ils se saisissent de ma belle princesse.

Au matin, me voilà tout seul désespéré dans la rosée, la goutte au nez.

Quand le soleil vient à poindre, je sens sa brûlure plus fort que d'habitude. Plus de goût à rien et l'envie de mourir m'étreint sans cesse.

*

Oh ! Je vous vois sourire.

Oui vous les passants de la ville.

Sans doute êtes-vous là à vous demander ce que peut bien faire un malheureux nain de jardin, tout seul entre deux parterres de roses, et vous vous moquerez à raison.

Sans doute vous direz-vous aussi que si on m'abandonne au milieu des fleurs, c'est que je ne l'ai pas volé. Le comble de ne pas plaire, même à des cambrioleurs.

Moi le Nain Grincheux !

Un jour d'hiver prochain, je prendrai mon courage à deux mains et je partirai pour la rejoindre. La vie sans elle n'a aucun sens.

Elle me manque tant ma Blanche-Neige.

=O=