Le cerisier sur la route du Peux !

4 minutes de lecture

Depuis un long moment, je m'intéressais à Lucie.

Quand je dis un long moment, je parle d'une époque datant de la maternelle. Et là, nous arrivions en quatrième. Oui je vois ce que vous allez dire. Que j'ai ramé comme un malade, incapable de lui avouer ce que j'éprouvais pour elle. Il faut signaler qu'elle était toujours très entourée et parfois un peu hautaine. Elle avait sa cour, et elle aimait bien commander à ses soupirants, se sentir au centre des intérêts.

Et pour cela, elle se révélait pleine d'atouts. Elle était intelligente et réussissait à l'école, toujours dans les premières. Plutôt jolie, soignée, légèrement maquillée, enfin avec du blush. J'aimais beaucoup ses robes fleuris, ses petites chaussettes et ses souliers vernis. Elle avait une façon bien à elle de nouer ses nattes très blondes. Cela me faisait penser aux coiffures de ces femmes des pays de l'est, ukrainienne ou russe. D'ailleurs, je fantasmais, si si j'insiste, je fantasmais disais-je en l'imaginant en costume traditionnel folklorique d'Europe centrale.

Au collège, je commençais à m'intéresser à la lecture et ma mère m'incitait à m'investir dans de grands auteurs. Alors j'avais très vite signalé mon intérêt pour faire partie de l'équipe de rédaction du journal interne. Jeux, mots croisés, histoires courtes, derniers potins. Il ne manquait pas d'occasion de briller et de raconter bien des choses sur ce support. Aussi, qu'elle ne fut pas ma surprise quand je découvris que Lucie rejoignait notre groupe pour animer une rubrique mode et cuisine. Etait-ce par ambition, parce que j'étais là aussi, un peu des deux ?

Cela semble curieux à première vue de traiter d'une telle thématique dans un journal de collège mais nous avions des cours de travaux pratiques. Fréquemment les filles faisaient de la couture ou de la cuisine. Et pour les garçons, nous avions la version masculine avec le bricolage, basé notamment sur le travail du bois ou de petits montages électriques. Et à ce sujet, je me souvins d'une occasion particulière où les professeurs avaient mixé nos séances. J'avais réalisé ainsi avec mon amie des langues de chat. Oui, parce que, pour tout vous dire, je lui plaisais un peu. Mais aucun de nous deux n'avait jamais osé l'avouer à l'autre. Ni même se déclarer par un joli compliment. D'évidence, trop nuls.

Mais nous avions maintes occasions de nous retrouver en dehors du cadre scolaire, de partager de bons moments. On n'avait pas vraiment de secrets l'un pour l'autre. Je sais juste que ses parents ne voulaient pas me voir trainer avec leur fille, un garçon dont les résultats flirtaient avec la médiocrité. Cela traduisait un manque certain d'ambition. L'archétype même du loser. Mais on ne fait pas toujours ce que l'on veut mais plutôt ce que l'on peut. Certains instants de la vie m'encourageaient et me transcendaient. D'autres au contraire me démolissaient et m'enfermaient dans un puits sans fond.

Mais pour Lucie, et malgré tous ces obstacles, j'avais eu largement le temps de me préparer depuis sept ou huit ans. Je lui avais écrit de petits poèmes, collectés dans ma boîte à secrets moult objets qui lui étaient destinés : une véritable plume d'oie, des calots aux couleurs incroyables, des osselets, un carnet avec des fleurs séchées dont des coquelicots et des bleuets et surtout des boutons d'or.

Alors, je pris mon courage à deux mains. Je m'attendais à un refus. Mais je lui proposai d'aller faire une balade à bicyclette dans les prés en limite du village du Peux. Il fallait contourner la cité de l'ancien champ de manœuvre, longer le bois de Soyaux et rejoindre de fameux cerisiers, en bordure d'une jolie route de campagne, et qui en ce mois de juin, devaient regorger de fruits.

Je n'ai jamais su si ces arbres étaient sauvages ou appartenaient à des producteurs du village proche. Avec les copains, on aimait s'installer dans les branches et se cacher dans les feuillages. De là où nous étions, on pouvait voir arriver dans toutes les directions. Le soleil glissait ses rayons à l'horizontale vers la fin de l'après-midi et un parfum de vacances s'immisçait dans le léger vent. Alors j'étais à peu près sûr qu'elle apprécierait que je partage une telle escapade uniquement avec elle.

*

D'autant que j'étais prêt à toutes les folies et je crois qu'elle en profita.

Pour un baiser sur la joue, je dus lui apporter les cerises les plus hautes et les plus rouges. Pour deux bises, une par joue, il me fallut courir dans le champ voisin, rempli d'arbres fruitiers, et cette fois prendre des risques fous, en volant des pêches. Certaines se révélaient encore dures. Je devais donc vérifier et choisir seulement les plus mûres, ce qui prenait un temps considérable. Mais pour deux baisers que n'aurais-je pas fait ? Et sans le voir venir, j'eus alors, bien au-delà de ma récompense, un vrai baiser au goût de pêche.

D'autres occasions de voler pour elle en dehors de cette belle après-midi ne se représentèrent pas.

Les parents en rentrant de notre escapade, n'avaient pas apprécié d'être restés si longtemps sans aucune nouvelle. Ils jettèrent sur nous l'interdit comme ultime sentence. À cette époque, les libertés fluctuaient en fonction des modes d'éducation propres à chaque famille. Et je ne sais si nous étions téméraires et imprudents à la fois mais nous ne disposions pas de téléphone portable pour donner de nos nouvelles ou qui permette de nous suivre à la trace. Nous avions juste nos bicyclettes pour fidèles destriers, nos premiers émois qui nous bouleversaient la tête et le ventre, une envie irrépressible quotidienne à vouloir se déprendre de ces libertés limitées.

Je sais juste une chose et encore aujourd'hui.

Je donnerai n'importe quoi pour m'assoir à côté de toi, Lucie, dans ce cerisier.

=O=

Annotations

Vous aimez lire Jean-Michel Palacios ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0