Au-delà du silence
1. Dans le silence de la Nature, je retrouve ma vraie nature.
Je marche en silence.
Mes pas se frayant un passage dans les herbes hautes nourrissent l'écoute. Tout autour, des frôlements dans les feuilles mortes sous les buissons, comme autant de chuchotements de dame Nature, viennent ainsi chatouiller mon oreille.
Ce silence semble habité.
Ici au cœur de la forêt.
Mais aussi le long des chemins qui bordent des champs céréaliers en culture ou moissonnés. Dans les lisières, hors des sentiers. Tout en haut des houpiers au gré de vagues de brises d'air.
Je prends conscience que je vis au milieu d'un monde en effervescence. Mille détails le révèlent. Je partage ce silence en harmonie avec la faune et la flore. Le dialogue intérieur que je mène s'avère avant toute chose de nature émotionnelle.
L'herbe couchée de part et d'autre du sentier témoigne d'une activité nocturne, suite au passage de grands gibiers. Tout en progressant, je les imagine en file indienne et cela me procure une profonde jouissance.
***
Mes pensées s'activent et mon imaginaire se déploie.
Je constate que d'autres cherchent un moment d'évasion. Des empreintes de bottes ou de chaussures de randonnée saisies dans la boue formée lors d'une ondée récente m'indiquent que l'on me précède de quelques heures.
Est-il lui-même sous l'emprise d'une envie irrépressible de sortir de chez lui, d'échapper à un enfermement, un confinement ou agit-il ainsi pour répondre au besoin de fuir la routine ? Peut-être supporte-t-il mal la promiscuité de sa famille, exacerbée par une vie en communauté permanente, trop prégnante ?
Mes hypothèses vont bon train.
Plus loin, le sol semble tourmenté par des sortes de labours en de multiples emplacements. Je visualise sans effort l'oeuvre d'une harde de sangliers, piétinant la terre grasse de leurs ongles et retournant la couche végétale de leur groin.
Tous ces témoignages alimentent ma banque mémorielle de messages silencieux.
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Je respire.
Je puise dans l'air des parfums de fleurs sauvages, des odeurs de fumier répandu dans les champs parfois très âcres. J'aime ressentir ces moments, le plus souvent en fin d'après-midi ou au soir couchant lorsqu'enfin tout s'apaise.
Mais ce silence tant apprécié s'avère rarement uniforme et permanent. Apanage d'un monde rural, il règne toujours une certaine activité, qu'elle soit animale ou humaine. Bien sûr, elle est en rien comparable à la forme bruyante et agressive de quartiers populaires fortement urbanisés au sein de grandes agglomérations.
Ici, pas de files ininterrompues de véhicules sur de grandes avenues. Pas de coup de klaxons, pas d'invectives. Pas de fumées d'échappement. Pas de commerces. Pas de vibration émanant des lumières de néon. Pas de feux tricolores parlant sans fin pour dédier le passage à des piétons.
Comme préservé d'un monde hyperactif et insassiable, on arrose ici et là des jardins de fleurs ou des semences dans les potagers. De chaque côté des clôtures, entre voisins, on échange quelques salutations et des banalités, souvent sur la météo du lendemain. Puis d'un geste de la main, chacun se retire dans son antre. À l'heure de souper, assis dans la cuisine devant l'écran d'un téléviseur, on se noie dans des images en provenance du restant de la planète.
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La lumière décroît.
Un courant d'air vient par moment apporter un peu de fraîcheur en bruissant tel un fantôme dans les graminées, les champs d'orge ou de colza. Un coucou répète à l'envi sa présence dans son nid ou celui de son voisin. Un paon lui répond par ses cris déchirants de Léon. Un coq annonce qu'il va s'endormir. Un âne crie à tue-tête et le hénissement d'un cheval lui succède. Des chiens s'interpellent pour signaler un promeneur ou la passage furtif d'un renard.
Le jour diminue encore.
Quelques chauves-souris dessinent des arabesques dans les derniers rougeoiments du soleil. Le disque d'or sombre dans l'horizon laissant derrière lui un ciel d'artiste cher aux impressionnistes où se déclinent des couleurs somptueuses de bleu, de mauve, de rouge ou de jaune orangé.
Le long d'une mare, le coassement des crapauds annonce un concile à bulles, sorte de grande kermesse baveuse qui rythmera la nuit qui s'avance sous le teint blafard de la lune.
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À l'intérieur de mon cerveau, encore en ébullition, un silence bienfaiteur s'installe.
Les pensées, sombres pour certaines, se dispersent, s'étirent, s'évanouissent et disparaissent telles des nuages.
D'autres viennent alors, plus éparses et légères.
Je renoue enfin avec mon moi profond et j'accède à ma vraie nature.
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J'aimerais que le temps se fige et que cet instant de plénitude et de silence dure à jamais.
=O=
2. La Nature souffre et je m'identifie à ses tourments silencieux
Cette Nature souffre et moi avec elle.
Très souvent, lors de ces balades, je découvre des décharges sauvages et cela me met hors de moi. Alors je crie à la place de ce biotope muet.
- Comment de sombres pseudo-artisans ou bricoleurs du dimanche peuvent-ils déverser en toute impunité des gravats ?
On devine des empreintes laissées par des véhicules sur de longues distances et à plusieurs reprises. Bien sûr, ces lâches entreprises se déroulent en pleine nuit ou tôt le matin. Les énergumènes disparaissent incognito, sans aucun état d'âme, laissant derrière eux leur forfait au non vouloir d'une forêt généreuse et riche de très nombreux habitants.
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Hotte et plan de travail d'une vieille cuisine, cloisons en plaque de plâtre pour créer un séjour, briquettes, composants métalliques, huiles usagées extraites d'un ancien garage, restes de peinture et diluants en bidons et mille autres choses indistinctes.
Il semble très facile de reconstituer l'origine des matériaux.
Difficile cependant de savoir si cela traduit les actions malveillantes de plusieurs intervenants. Avec le temps, la Nature absorbera en silence ces déchets en les enveloppant de son manteau de verdure, mais sans pouvoir les ingérer et les digérer en totalité. Certains métaux lourds s'insinueront dans le sol et viendront polluer la nappe phréatique.
Pourtant, une déchetterie opérationnelle et très organisée offre des services de qualité aux particuliers et aux professionnels dans la communauté de communes voisine. Je suppose des travaux de maçonnerie ou de peinture au noir dont le paiement s'effectue de la main à la main. Pourtant le coût de recyclage par un entrepreneur se situerait autour de 50 € la tonne de gravats.
- Silence !
Personne n'entreprendra une quelconque démarche structurée avec photos et commentaires à l'appui. Pourtant, les journaux télévisés se font l'écho de ces décharges sauvages et dénoncent l'inaction des services publics. Reste alors à lancer des actions sur les réseaux sociaux, voire un mouvement associatif auprès des édiles.
- Impuissance !
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Chaque année mon village organise des ramassages de printemps comme beaucoup de villes de France. Une vingtaine de bénévoles, de tous âges, se donnent rendez-vous sur la place près de la mairie. Armés de sacs en plastique et équipés de gants, ces chevaliers des temps modernes arpentent les ruelles, bas-côtés, berges du ru, l'aire de sport et ses abords, l'abri bus.
La pollution omniprésente choque et indiffère à la fois.
Les services de la DIR assurent des opérations de débroussaillage le long des départementales en limite de la forêt de Retz. Le résultat s'avère des plus édifiants.
Car tous les jours, des consommateurs rentrent du drive du fast-food local. Ils consomment en chemin et se débarrassent sans vergogne des emballages par la fenêtre du véhicule. Sacs en papier, cartons, polystyrène, canettes en métal, couverts en plastique ou bouteilles en verre jonchent les fossés. Au passage des engins de voieries, ces déchets se retrouvent hachés menus.
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Les mots de Francis Cabrel prennent alors tout leur sens :
- "Est-ce que ce monde est sérieux ? "
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Dans l'hémisphère sud, au coeur de l'Ile de La Réunion, les cirques de Mafate, Cilaos et Salazie constituent des espaces naturels ouverts à la randonnée pédestre et aux habitants qui résident dans des ilets. La pollution représente un grave fléau. À titre d'exemple, chaque année, on extrait 150 tonnes de déchets par hélitreuillage depuis le cirque de Mafate.
À l'initiative du Parc national de La Réunion, IRT¹, l'association Ti Tang Récup et les ambassadeurs du Parc avec Groupama océan Indien en tête, mettent en place l'opération "Mafate - zéro déchet". Depuis octobre 2015, des randonneurs prennent le départ des sentiers du Col des Bœufs, de Marla et du Col du Taïbit avec des sacs Nout kèr, nout tèr²
Confectionnés avec des matériaux de réemploi à base de tee-shirts usagés et de plastiques recyclés, ils permettent la collecte les déchets et la protection du Parc national et la préservation de l’inscription des Pitons, cirques et remparts de La Réunion au Patrimoine mondial.
Les passages saisonniers de cyclones ou de tempêtes tropicales génèrent des pluies intenses et diluviennes. Des déchets d'électroménagers dévalent alors des ravines et finissent dans l' embouchure des rivières au milieu des galets.
¹ Ile de La Réunion Tourisme
² Notre cœur, notre Terre
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Dans les océans du monde entier, j'imagine ces gyres de plastique qui se constituent par les courants et qui se délitent sous l'action du soleil et du sel. Cette soupe se désagrège et se retrouve en microparticules dans le ventre des mammifères marins.
Sur terre, des zones d'enfouissement de déchets exposées en plein air contiennent des quantités phénoménales de plastique de toute forme. Le soleil, les vents et la pluie contribuent à détruire cette matière qui se répand au gré des phénomènes éoliens dans les montagnes. Dans les Pyrénées, dans les Rocheuses, on retrouve des microparticules de 10 à 150 microns. Dans les Alpes, il neige régulièrement du plastique.
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Cette pollution quotidienne et insidieuse s'avère connue aujourd'hui du grand public et des autorités de l'environnement de tous les pays de la planète. Prendre ce problème à bras le corps pourrait constituer une ressource de matière première pour le recyclage et du travail pour beaucoup de personnes dans le besoin.
=O=
3. Au-delà du silence, les pensées s'apaisent.
À force de hurler dans ma tête, d'espérer que notre monde prenne conscience de sa longue marche vers un futile et funeste destin, je réalise qu'il faudrait tout arrêter et remettre nos réalités en perspective.
- Que voulons-nous pour nos enfants ?
- Mieux comprendre.
- Apprendre à faire la part des choses.
- Mieux interpréter notre évolution humaine dans cet anthropocène.
- Saisir toutes les opportunités de dessiner un meilleur destin.
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Le récent confinement lié au coronavirus mais aussi une société davantage productiviste suscitent des vocations à changer de vie vers un tourisme vert ou à prendre soin de soi par du développement personnel.
Avez-vous participé à une retraite dans un monastère ou une abbaye ? Un stage de bien-être ou de développement mental ou émotionnel ? Ces opportunités donnent l'occasion d'un rendez-vous précieux avec soi-même.
L'avantage de ces séjours réside dans la volonté évidente et nécessaire de se poser, mais surtout d'arrêter de parler sans cesse pour ne rien dire, de se taire autant à l'extérieur qu'à l'intérieur, pour réapprendre à communiquer.
- Faire taire ses pensées.
- Ne plus avoir peur.
- S'accepter tel que l'on est.
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Nos sociétés modernes obligent à paraître, à faire semblant. Du reste, les termes de faux, fake, infox, intox, complot nourrissent les échanges sur la toile. Et la défiance nourrit notre quotidien envers les institutions de chaque état ainsi que les vecteurs d'informations.
Pour illustrer mon propos, je vous invite à découvrir les paroles de la chanson de Francis Cabrel, "les Faussaires" parues sur la tournée de 2004.
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Pour se singulariser, chaque individu parle, gesticule, se plaint, s'exibe, sans doute pour masquer sa véritable identité. Chacun empile des couches en plus de celles qui gravitent autour de son enveloppe physique et de son aura. Pour se faire, il ajoute des vêtements de prix. Il se dote de signes extérieurs de richesse, bague, collier, montre, sac, voiture...
Tout semble bon pour échapper à la médiocrité du quotidien en usant de subterfuges, de drogues, d'alcools ou de médicaments.
On s'aime et l'on se déteste, à tour de rôle ou en même temps.
Le miroir inlassable renvoie une image pas toujours satisfaisante ou qui, au contraire, nous ravit et nous valorise.
"Au bout du compte, on se rend compte qu'on est toujours tout seul au monde".
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Ces lieux de vie monacale ou en séminaire s'avèrent isolés du monde ou perdus en pleine nature. La démarche vise à mettre en place une autre horloge. Ici, on prend le temps d'être présent à soi-même et de respirer un air plus vif et pur.
Peu à peu les pensées s'apaisent.
Au menu, méditations guidées et repas équilibrés avec peu de viande, des animations plus ou moins ludiques pour développer des capacités sensorielles basées sur la confiance en soi et surtout en l'autre.
Des temps de partages de témoignages ponctuent les séances collectives. Chacun évoque s'il le souhaite, avec humilité et pudeur, une souffrance, des douleurs, des souvenirs. Peu à peu, les sacs à dos glonflés par les aléas de toute une vie, s'allègent.
Les émotions transpirent dans un sourire et dans un geste de compassion. Le partage des tâches ménagères, les activités en groupe sans jamais prononcer aucun mot, uniquement avec le regard, révèlent notre véritable nature.
En renouant avec soi, on devient plus présent à l'autre, ce qui finalement paraît d'une grande logique. Ici, l'intérêt de chaque individu réside non pas dans sa position sociale mais dans les qualités humaines qu'il dégage.
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Dans ce retour au silence, on se parle avec les yeux, avec le coeur. Sans doute la meilleure façon de communiquer quand le monde ne veut plus rien entendre.
"And the vision that was planted in my brain, still remains
Within the sound of silence "
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