Tu me manques !
David se réveilla à 8 heures, avec de terribles maux de crâne. Instable, il déboula dans la salle de bain et chercha dans l'armoire à pharmacie un cachet qu'il jeta dans un verre d'eau. En attendant devant le miroir que la dilution se fasse, il se dévisagea tout en massant ses joues râpeuses.
- T'as une sale tête ! se dit-il face à la glace, en esquissant un sourire complice.
- C'est sûr que pas rasé, les yeux injectés de sang, tu fais pitié !
- Quoi ? réagit-il comme pour repousser des fantômes.
Encore dans le cirage, il se retourna, poussa le rideau de douche. Rien. Il sortit de la salle d'eau en trébuchant sur ses chaussons qui traînaient sur le passage. Son cœur cognait dans sa poitrine.
Personne.
La bouche pâteuse, il revint sur ses pas et but d'une traite le verre qui l'attendait sur le lavabo.
- Dingue ce truc ! C'est dans ma tête ? lâcha-t-il agacé en essuyant d'un revers de main, ses lèvres nappées d’un résidu blanchâtre.
La soirée précédente, il devisait avec des collègues au Lounge Bar Le Qu4tre, tout en sirotant de merveilleux cocktails et en refaisant le monde par le prisme de la publicité. Il se souvint de ses grandes difficultés à rentrer chez lui.
Oubliant cette voix étrange émanant sans doute, de son imagination, il prit une douche, se rasa, enfila une chemise propre, un costume de ville bien coupé. Au moment de partir, il chercha ses clés de maison. Il ouvrit la porte, attrapa sa serviette en cuir et là, il aperçut le trousseau qui se balançait à l'extérieur.
- Mais il est grave, le gars, s'invectiva-t-il en voyant dans la serrure s'agiter le porte-clés à l'effigie de Saint-Thomas qui semblait le narguer.
Il jeta un coup d'œil à sa montre qui affichait 9 heures. Il devait présenter une maquette pour un produit de cosmétique dans deux heures...
Il claqua la porte, s'engouffra dans le vieil ascenseur et attendit avec impatience de rejoindre le rez-de-chaussée. La migraine s'estompait. Il ne fumait plus depuis des années. Il lui fallait cependant sa dose de caféine pour démarrer la journée.
- Mais que je suis con, que je suis c... ! hurla-t-il à tue-tête.
« Que je suis con, que je suis c... » reprit l'écho fidèle, avec comme une pointe d’ironie.
Il sortit de l'ascenseur tel un Pandore de sa boîte et s'élança dans le large escalier en colimaçon avec ses belles marches en marbre, couvertes d'une moquette de velours rouge, tenue par des tringles dorées. Il s'aida de la rambarde en fer forgé et atteignit le troisième niveau. Essoufflé, il glissa fébrile la clé dans la serrure, tourna deux tours et entra. Comme sur des rails, il déboula dans la cuisine.
- Mon chéri ! As-tu oublié quelque chose ?
Refusant de prêter attention à cette voix qu'il croyait dans sa tête, il revit mentalement son premier rendez-vous avec une jolie femme brune. Puis, plus tard, dans un déshabillé, décoiffée et sans fard, délicieuse avec sa bouche bien faite, des sourcils dessinés avec soin et des yeux vert eau à s’y perdre à jamais. Il émanait d’elle un parfum enivrant qui lui rappelait son amour perdu.
- Arrête de faire cela ? Réussit-il à murmurer, excédé par ces flash-backs émouvants et sensuels.
- Tu ne bois même pas ton café et tu pars sans me dire au revoir. Tu n’es pas gentil, mon poussin.
- Mais enfin, tu n'es plus là... Non ?
- Si tu voyais ta tête, mon sucre d’orge. Bois ton café. Il est encore chaud !
David saisit l’anse de son mug fétiche, décoré d’une image sexy de Betty Boop. Il passa dans son salon. Chaque gorgée révélait une saveur corsée qui l'apaisait. Le front collé sur la fenêtre qui s'embuait, il resta un moment à regarder la pluie tomber dans la rue où se formait un bouchon à l'allure d'une chenille lumineuse.
Il se retourna, décidé à se reprendre en main. Son regard plongea alors dans une grande photographie en noir et blanc, accrochée à l'un des murs du salon. En un instant, elle lui rappela l'amour de sa vie avec ce visage si vivant, au charme envoûtant.
Il se rapprocha d'elle.
Brune, des yeux très clairs et des traits si fins et délicats, elle dégageait une tendresse infinie et une volupté extraordinaire.
- Annabelle ! Si tu savais comme tu me manques !
- Mais bien sûr que je le sais, mon amour !
Il posa la tasse sur une table basse et effaça d’un geste vif les larmes qui voilaient ses yeux fatigués. Il claqua la porte, ferma et dévala les escaliers comme pour se libérer du poids immense de ses émotions.
— C’est tout de même un monde. J’ai beau lui parler. Avoir des gestes tendres. Il les refuse. Je le trouve changé. Depuis cet accident sur l’autoroute, les urgences avec ces appareils d'assistance et puis cette sorte de grande distance, … et cette lumière éblouissante…
…
— Mais maintenant, cela suffit. Je ne suis tout de même pas transparente à ce point. Il pourrait faire un effort, non ?
...
*
Quelques notes de piano résonnèrent dans les étages.
Un frôlement agita des roses blanches disposées dans un grand vase sur la table du salon.
Sur le living, le poisson rouge un instant subjugué, reprit sa ronde incessante et l’horloge à pendule égrena à nouveau le temps qui passe.
=O=
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