Ce sera plus facile !

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1. Les rêves d'enfants

Les enfants ! Hum comment dire ? On dit souvent que la vérité sort de la bouche des enfants mais, sait-on vraiment à quoi ils pensent.

Les enfants ! hein ?

À quoi pensent-ils ?

Faut aller voir ?

Le vent du matin soulève la poussière qui scintille dans les premiers rayons du soleil et tourbillonne en mini tornades.

  • Et Nicky ! qu'est-ce que tu fais dehors avec tes potes aux gros flingues...

Des gouttes de rosée, comme autant de pierres précieuses, brillent dans les toiles d'araignées accrochées aux buissons...

  • Sors de chez toi, Johnny ! On va régler ça entre hommes...

Un vautour tourne haut dans le ciel bleu orangé, profitant des courants ascendants, en poussant parfois des cris stridents...

  • Antoine ?
  • Oui maman !
  • Range tes super-héros dans ta mallette à jouets et viens mettre la table... Veux-tu ? Tu seras un amour !
  • Hum, hum.

Alors en se rapprochant d'Antoine, on pourrait l'entendre murmurer.

  • J'ai l'air ridicule et fragile, limite minable. Mais quand j'serai grand, j'aurai une grande maison et un immense jardin. Et moi et mes copains, on se fera des batailles de paintball...Et aussi. J'aurai plein d'argent et plein de gens sous mes ordres pour faire le ménage, la cuisine et me servir.

Et reprenant son souffle agité par les émotions.

  • Et j'aurai des filles super canon, comme dans les films que mon père regarde en douce, à se pavaner au bord de ma piscine...

Puis soudain, le regard habité d'une étrange lueur.

  • Et j'mettrai mes vieux en hôpital psychiatrique. J'serai plus tranquille...Et ma vie s'ra plus facile !

***


2. Au-delà de la fenêtre, un destin !

Alexandre regarde la télévision tous les jours du matin jusqu'au soir.

Parfois, souvent, enfin presque tout le temps, il regarde aussi l'écran de sa console. Et parfois, enfin tout le temps, comme une sorte de réflexe, il prend dans sa poche son téléphone portable pour regarder les messages de sa meuf.

Enfin pas si souvent, car dans la journée, il se rend au bahut pour faire comme d'autres adolescents de son âge : étudier. Pour savoir comment se comporter dans la vie quand il sera plus grand, quand il sera un adulte.

De toute façon, lui, il sait déjà tout ce qu'il faut savoir pour être un grand.

Et si les "grands" pouvaient deviner comment lui, Alexandre, n'en a rien à faire de ces cours. Dès le seuil de la salle de classe franchie, il s'installe tout au fond, près du radiateur quand il y en a un. Il remonte la capuche de son sweet sur sa nuque, calle son dos contre la chaise qu'il bascule sur le mur derrière lui et croise les jambes derrière chaque pied de la chaise... Trop fort !

Sur la fenêtre, les matins d'hiver, il dessine la porte d'une maison dans la buée qui se dépose sur le carreau. Et par cette porte, par cette autre fenêtre, il s'envole, il s'échappe, emportant avec lui la voix monotone du professeur de français.

Montaigne peut lui dire doctement que " faire des voyages me semble un exercice profitable. L’esprit y a une activité continuelle pour remarquer les choses inconnues et nouvelles, et je ne connais pas de meilleure école pour former la vie." Il a lu sur Internet que le philosophe souffrait de la gravelle et que malgré tout, il voyageait dans sa Dordogne mais aussi en Europe à cheval à la rencontre des gens pour trouver l'inspiration de ses futurs "Essais".

François Villon peut lui susurrer la longue plainte de ses pendus " Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! " Et que lui importe que du côté de Montfaucon, aux nuits de pleine lune, les sorcières viennent cueillir sous les pendus, la mandragore.

Lui, dans sa tête, il "trace". Il chante avec les "restos du coeur". Sa route est déjà écrite, bien distincte. Il aime le foot, c'est sa passion.

Malheureusement, sa mère n'a pas assez de tunes pour lui payer des cours en club. Et les chaussures sont trop chères. Alors il reste derrière la grille du stade à regarder dans le soir qui tombe les futurs grands jouer.

Puis plus tard, à la nuit venue, il aime à se rendre sur la passerelle qui surplombe la nationale avant de rentrer et ils regardent comme depuis un balcon, le défilé lumineux de ces voitures qui dans un sens et dans l'autre circulent vers d'autres destins.

Et lui, il est encore là. Alors c'est promis, il fera tout ce qu'il peut pour réaliser son rêve.


Quelques temps plus tard !

  • Alors Alexandre, que veux-tu faire quand tu seras grand ? lui demande la journaliste en lui tendant un micro pour l'émission jeunesse Quand tu seras un grand !
  • Quand j'serai grand, j'serai une star de foot...
  • Oui mais les places sont chères !
  • J'sais bien !
  • Et si ce n'était pas possible ?
  • Et pourquoi donc ?

... Le micro s'impatiente ...

  • Eh bien, eh bien, j'serai fonctionnaire !

... le micro espère ...

  • Comme ça, j'pourrai aussi prendre ma retraite de bonne heure.

sourires !

Ce sera plus facile !

***


3. Alors, on danse !

Je m'appelle Husky.

Je trouve que ce nom a du chien.

En même temps vous n'auriez pas tort de le penser puisque j'en suis un. Je possède un beau poil blanc et noir et des yeux gris bleu. Ce qui fait tout mon charme. Enfin, bref cela m'attire des caresses et parfois certaines personnes montrent leur peur. Qui sait ? Quand ils me regardent, ils n'aiment peut-être pas ce qu'ils voient d'eux-mêmes.

Au début, tout petit, avec mes frères et soeurs, je ne me posais aucune question. Tout me semblait simple. Manger, dormir, jouer. Rien ne manquait à mon bonheur de chiot. Puis des mains étrangères vinrent prendre un à un mes congénères. Au fur et à mesure, on se serrait plus fort l'un contre l'autre.

Mais très vite, je me suis retrouvé seul. Enfin presque.

Lui, il s'appelle Tim.

Mince et tout en longueur, normal pour un bipède. Il porte des chiffons sur lui. Il sent mauvais surtout l'urine. Et s'il me caresse, je respire une odeur de tabac sur ses mains. Des fois, il a une tige blanche avec un bout jaune dans la bouche. Il lui donne plein de noms : rax, cibiche, clope, pétard...

Au début, je voyais dans ces appellations, des noms de croquettes ou d'os à ronger. Mais bien sûr, on parlait pas le même langage et mes goûts à moi était quand même plus subtils.

Ah ! Et quand il me fait des papouilles, il put de la gueule. C'est dément. Insupportable. Même chez nous, les chiens, on pue pas autant. Il faut dire que je le vois boire des trucs infames qui n'ont rien à voir avec l'eau de ma gamelle. Il donne plein de variantes : vin, bière et parfois alcool. Je sais parce que j'goute en douce quand il s'endort. Ben oui ! Il s'effondre d'un coup.

Sa tête penche de travers.

Il bave. Alors je le lèche.

Il gémit. Alors je pleure avec lui.

Après tout, qui est le chef de meute.

Hum !

La matin, je me serre contre lui. Je sens qu'il tremble. Alors on se réchauffe l'un proche de l'autre. Il se montre très gentil. Il me donne de douces caresses. Mais ça dure jamais longtemps. Parce que des bipèdes déboulent sans prévenir et viennent lui rendre visite. Et parfois, et même souvent, ils le bousculent, l'air méchant. Ils veulent lui vider les poches pour lui piquer son tabac ou son alcool.

Alors je montre les dents.

Et ça, je sais bien le faire.

En plus j'arrive à gonfler mon poil, à soulever mes babines et à montrer les crocs. Et là, ça rigole. Faut les voir détaler. En levant leurs jambes mauvaises et boiteuses. Je leur laisse des trous dans les bas de pantalon, histoire qu'ils s'en souviennent. Alors, une fois la place vide, je reviens vers Tim tout fier de moi et on fait la fête.

Il aime quand je tourne en rond sur moi-même.

On joue à un jeu.

Je me dresse sur mes pattes arrières et je fais " l'homme ".

Et lui se lève, se déplie et alors on danse !

Je me dis que demain ...

Ce sera plus facile !


***


4. Chacun sa route !

Damien vit dans une jolie maison entre ville et campagne. Il prend son vélo pour se rendre à l'école à une quinzaine de minutes de chez lui. Tous les matins, en faisant la route, il retrouve des camarades de classe qui comme lui font le chemin pour se rendre à l'école. Il aime bien ces moments où se forme cette concentration de bi-cross donnant à leur envolée la force d'une armada. Il se représente comme dans le film ET de Spielberg. Il lui manque juste un envahisseur pour lui donner de l'espoir.

Car Damien n'est pas très heureux à la maison depuis quelques temps. Et personne ne semble faire cas de son mal-être tellement ses parents sont immergés dans le désordre de leur vie de couple. Et comme tous les enfants, il le ressent très fort car cela l'oblige à se partager et il ne veut surtout pas céder à l'amour ou au désamour de l'un ou de l'autre. Tout cela lui paraît étrange car de son point de vue, ses parents ne manquent de rien. Ils ont chacun un travail, des amis, une certaine qualité de vie comme ils disent. La région angevine est agréable et les bords de Loire offre de la douceur et du plaisir aux promeneurs. Mais cela ne semble pas suffire. Et lui se sent démuni.

Le soir lorsqu'il est dans sa chambre à faire ses devoirs et plus souvent à jouer sur son ordinateur, il entend ses parents se faire des reproches. Et cela monte crecendo. Tout cela lui semble tellement futile. Il voudrait descendre et leur dire combien ils sont stupides. Qu'ils pourraient "lâcher prise". Arrêter de se prendre la tête. Apparemment, il s'agit de problèmes d'argent. Mais il y a aussi des difficultés avec leurs parents. Damien, lui, il adore ses grands-parents. Et des deux côtés. Et il aime aussi ses oncles et ses tantes. Et de temps en temps, il apprécie de croiser ses cousines. D'ailleurs, il est trop content d'avoir des cousines...

*

Ce matin, son père est parti de bonne heure. D'habitude, il le voit au petit déjeuner. Sa mère l'accueille froidement dans la cuisine. Sur la table, elle a tout préparé. Sans trop la fixer, Damien regarde à la dérobée les yeux de sa maman et surtout les cernes noires. Il croit déceler des larmes.

  • Tu as du lait chaud dans la casserole, lui dit-elle d'une voie pleine d'émotion ce qui a pour effet en retour de lui tordre l'estomac.

Il a subitement moins d'appétit et surtout cela le rend terriblement malheureux. Alors il prend un morceau de brioche et un fruit et ressort de la cuisine sans se retourner et sans dire un mot.

  • Damien ... Damien !

Mais Damien a déjà passé la porte qui donne sur le garage. Il enfile son fidèle destrier et sort par l'entrée principale en glissant sur la pente. Une fois sur la piste cyclable, il lâche une sorte de sanglot tout en essayant d'avaler une bouchée de sa brioche avec sa main libre. Il est dans un état de stress et il se sent de plus en plus mal. Il le vit comme s'il circulait dans un tunnel. Les bruits venant tout autour de lui l'agressent. A la fois sourds et bruyants, il évolue dans un état second. Est-ce sa façon à lui de lâcher prise, de se protéger ? Soudain, Damien entend le bruit strident d'un dérapage de véhicule qui pile. Il ne réalise pas que c'est lui qui est l'objet de ce freinage intempestif jusqu'à l'impact...

Il entend des voix, des gens disent des choses comme prévenir les secours. Est-il vivant ? Il y a des conversations mais il ne distingue personne vraiment. Il est dans de la ouate. Il y a un signal sonore qui dépasse à présent tous les autres bruits. Des voitures semblent passer à sa hauteur au ralenti. Au ralenti. Oui c'est exactement cela, tout lui vient au ralenti.

  • Tu m'entends ? si tu m'entends, serre ma main ? Allez vas-y serre ma main !

Cette voix est autoritaire mais réconfortante. Alors Damien fait l'effort de resserrer ses doigts autour d'un tissu en cuir, un gant peut-être. De temps en temps, il perçoit des reflets au-dessus de la personne penchée sur lui.

  • Bon, le matelas-coquille est en place. Aller, on le charge. Les signes vitaux sont bons mais il me manque des réflexes...

*

Damien se réveille d'un long sommeil.

Il a fait un étrange parcours, une grande balade dans un endroit où tout était blanc, lumineux... Il n'a croisé personne mais cela ne le dérangeait guère. Il ne souffrait pas de cette solitude. Au contraire, il se sentait très soulagé. Alors il s'est dit qu'il fallait qu'il se réveille. Alors il a ouvert les yeux... Et il les a vu, penchés sur lui, main dans la main avec ses mains à lui mélangées. Il s'est senti tellement plus fort.

  • Vous êtes là ?
  • Oui mon Damien. Tu vas voir, ça va aller mon grand !!!

Alors dans son coeur de petit garçon, il se dit, sans doute comme une révélation que demain, après demain et tous les jours suivants ...

Ce serait plus facile.

=O=

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