Claustrophobie dans la mine !
L'eau ruisselait de partout et montait depuis les galeries les plus basses de l'ancienne mine minérale après les dernières pluies torrentielles de la matinée et de la nuit précédentes.
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Pour des raisons de sécurité, il nous fallut attendre dans cette chambre, une sorte de sas de décompression, pour permettre aux eaux de ruissellement de s'évacuer dans les profondeurs vers des rivières souterraines. Déjà qu'en temps normal, il n'était pas rare de trouver des sources liées à des résurgences qui faisaient l'objet de nombreux recensements par les équipes spécialisées.
Mais dans le cas particulier d'accumulation de volumes d'eaux conséquents qui constituaient alors des facteurs aggravants, il fallait afficher une prudence redoublée. Le PC opérations venait de nous conseiller la plus grande vigilance car les conditions météorologiques s'intensifiaient avec un nouvel avis de grosse averse à caractère orageux pour la nuit suivante. Cela nous laissait encore six heures avant d'atteindre l'entrée du carreau de mine.
En conséquence, Paul, notre chef de mission, prit l'initiative de relancer notre progression pour atteindre la chambre suivante qui se situait une trentaine de mètres plus haut afin de nous rapprocher de la surface avant la fin de la journée.
- Ok, on reprend la progression. Vérifiez vos équipements. Tout le monde va bien ?
Chacun réagit en levant la main, un pouce dressé vers le haut, en opinant du menton ou en murmurant un acquiescement.
- Rallumez vos frontales, vérifiez vos harnais et serrez les sangles de vos musettes.
Au fur et à mesure, les visages s'éclairèrent dans un halo de lumière, révélant pour certain un sourire ou une grande lassitude.
- Antoine, tu fermes la marche. Coupe la ventilation et éteins l'éclairage du local. Merci !
Encordés en binôme, en combinaison rouge orangé avec gants, casque et baudrier, le cheminement reprit en file indienne. Parfois, il nous arrivait de ramper pour franchir d'étroits goulots ou de nager en glissant sur des poches marneuses remplies d'eau boueuse.
À d'autres instants, nous franchissions des passages étroits entre deux parois verticales de roches lisses. Puis on déboucha sur l'arrivée d'un puits de mine de section ronde ou carré. En levant la tête, on pouvait distinguer l'éclairage jalonné de lucioles lumineuses traçant une sorte de ligne ferroviaire vers la surface.
Là, nous empruntions des échelles métalliques permettant la jonction entre deux niveaux de galeries. L'effort devenait alors plus intense devant la verticalité et demandait une vigilance de tous les instants pour ne pas glisser.
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Cette ancienne exploitation minière constituait un véritable dédale et il fallait une très bonne condition physique pour absorber les dénivelés.
Nous venions d'atteindre une nouvelle cavité, sorte de refuge aménagé de façon sommaire. On trouvait des bancs pour s'assoir, des réserves d'eaux, des batteries de rechange, une civière et des trousses de premiers secours mais aussi des outils de déblaiement.
Sans prévenir, l'éclairage d'ambiance de la zone de repos vacilla.
La tempête en surface devait interagir sur les câblages alimentés par des transformateurs. La pénombre persista. Nos lampes frontales entrèrent en action, donnant à la scène une ambiance surréaliste. Il fallait attendre que les groupes électrogènes prennent le relais.
Dans ce clair-obscur, on devinait des constellations de vapeur d'eau qui se dégageaient de nos corps à la suite de nos derniers efforts physiques. À cela s'ajoutait l'humidité et la chaleur naturelle des lieux donnant à cet espace une ambiance tropicale. Il faisait autour de 30 ° Celsius.
- On serait mieux en maillot de bain, déclara Anne dans un sourire dont on ne voyait que les dents blanches.
- Oh oui ! Je me verrais bien dans un pagne pour profiter de ce spa naturel, renchérit Jeanne.
On devina des gloussements et des commentaires, venant de la gent masculine, ce qui eut pour effet de baisser l'anxiété et en partie la fatigue. Malgré les cartographies dont nous disposions, il nous paraissait difficile d'appréhender la complexité de ce réseau souterrain. Chaque mission d'investigation permettait aux équipes spéléos d'appréhender de façon plus nette les dimensions de ce monde fermé comprenant plusieurs kilomètres de puits et de galeries.
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Je me pris à relire dans ma tête les ouvrages que j'avais consultés sur les exploitations minières. Leurs existences remontaient à la Préhistoire. À cette époque lointaine, certains puits et galeries, creusés dans la craie, permettaient de récupérer des gisements de silex tandis que d'autres servaient à extraire des minerais de fer ou de cuivre.
Sans doute gagné par mon angoisse qui parfois prenait toute la place, je savais que l'extraction minière provoquait un grand nombre de morts. Coincés dans des galeries, atteints par la silicose, l'asbestose ou décédés des suites de développements de cancers dus à la radioactivité.
Et encore moins serein, en me souvenant que les mines abandonnées se signalaient par des effondrements en surface. D'autres produisaient des séismes lorsque des couches minérales inférieures se fissuraient et cédaient dans un jeu colossal de contraintes et d'érosions.
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À tout moment, chassant ma sérénité précédente, l'angoisse me gagnait et sans doute mes collègues de même, chacun se gardant de l'avouer aux autres. Et puis, à tour de rôle, se présentait l'occasion de banaliser la tension liée au confinement. On plaisantait pour tromper la peur. Mais très vite, les pensées aléatoires et insidieuses se chargeaient de saper notre bonne humeur.
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Il fallait un bon mental pour ne pas céder à la claustrophobie.
Des pulsions venteuses, amplifiées par la présence d'un conduit d'aération, permettaient d'accéder à un air renouvelé ce qui nous apaisaient tout en faisant descendre la température. Paul, le plus expérimenté d'entre nous, reprenait la progression en ouvrant la voie dans ce cheminement de taupe, nous guidant comme un berger, un conducteur.
Des écoulements d'infiltrations d'eau chantaient et roulaient de partout, procurant l'impression d'être entourés par des ruisseaux ou des rivières. Cette présence sonore créait une émotion duale entre fascination émerveillée et crainte irrépressible.
Je pensais aux prélèvements et échantillons que nous transportions dans nos sacs à dos. Nous avions mis au jour plusieurs veines cristallines qui mériteraient sans aucun doute de lancer de nouvelles investigations pour préciser la nature des gisements et valoriser l'importance des filons.
Dans nos combinaisons couvertes d'une sorte de glaise grise, les filles autant que les gars ne se sentaient guère sexy. Les visages et les équipements se couvraient de boues marneuses. Tout le groupe arborait un fond de teint grisâtre ce qui lui donnait l'apparence d'une bande de zombies. Et l'espace d'un instant, je nous vis participer au remake de morts-vivants dans une chorée super rythmée de Michaël Jackson.
Après un déplacement encore très physique d'une demi-heure, nous prîmes à nouveau une pause. Jeanne sortit des fruits secs et des barres énergétiques. L'image d'un burger prit naissance dans mon esprit torturé par l'effort et la diète forcée.
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J'eus, d'un seul coup, envie de revoir la lumière et de partir en virée.
Il me fallait boire un coup, de la bière ou un mojito, déguster une pizza ou un bon sandwich américain. Je voulais à nouveau jouer de ces choses qui, dans la vie quotidienne, pouvaient apparaître si banales. À cet instant précis, cela s'avérait sans aucun doute inapproprié car dans cet enfermement je devais garder le contrôle pour ne pas péter un câble.
D'un seul coup, j'ouvris les yeux, les joues en feu, allongé sur le sol. Paul me fixait avec intensité et sa lampe frontale me brûlait la rétine. Je venais juste de subir un malaise vagal.
- Jacques, tu m'entends ?
- Oui
- Combien de doigts ?
- Cinq.
- Tiens, prends une gorgée. Jeanne, passe-moi des abricots secs.
La progression reprit une demi-heure plus tard et vers 18 h 00, on atteignit l'entrée de la mine pas mécontents de sortir de cet enfermement et prêts à affronter les rigueurs climatiques.
=O=
À redécouvrir
La version longue de " Thriller " de Michael Jackson
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