J'aime quand il pleut !
J'aime quand il pleut !
Je regarde par la fenêtre, l'orage qui s'approche, et ces nuages qui se délitent sur la ligne de crête et sa Route du Faîte, à l'enrobé couleur rouge. Elle trace comme une arête vive dans la forêt de Retz. Peu à peu des flaques se forment et viennent raffraîchir l'ambiance lourde qui a perduré toute la journée.
Je me sens mieux !
Je revis !
Et surtout, j'aime le bruit des gouttes qui éclatent et rebondissent sur la terrasse carrelée, sur les haies, sur les herbes élancées. La Nature se met à l'écoute de ce merveilleux phénomène. Un couple de tourterelles s'abritent sous une branche d'un grand sapin. Deux pies, inséparables, ont trouvé refuge tout là-haut, au bout du jardin, en bordure du champ voisin. Elles ont, je crois, leur maison au creux d'un tronc. Mais le lieu précis reste secret et je ne l'ai pas encore découvert.
Des matous qui habituellement font leur ronde, en passant par les clôtures des jardins parallèles, se sont sans doute glissés sous les buissons et mis en boule. Je sais qu'ils aiment observer sans être vus. Mitsy a rejoint la maison dès les premières gouttes. Après quelques croquettes et des commentaires en forme de reproche visant à me réclamer davantage, elle a grimpé l'escalier pour rejoindre sa chambre et son arbre dédié. Chez moi, le chat est perché.
Les nuages maintenant s'éloignent avec pour mission de nourrir des terres picardes plus loin sur le plateau vers Pierrefonds, Vivières, Vic-sur-Aisne ou Saint-Pierre-Aigle. Les oiseaux jusqu'alors silencieux reprennent leur chant mélodieux. Ils s'interpellent et se donnent des nouvelles. Chacun vérifie la présence de l'autre.
Le ciel s'ouvre et libère des sortes de fenêtres d'un blanc nuageux ou d'un bleu azur dans lesquelles le soleil, qui envisage de se coucher, glisse ses derniers rayons du soir, avant que ne vienne l'astre sélène et son disque argenté.
Tout est calme, tout respire.
J'aime écouter la pluie.
Elle me rend nostalgique.
Elle me parle de toi, du passé, de la première fois que j'ai aimé si fort que rien d'autre ne comptait. Je lisais dans tes yeux ce bonheur partagé. Et je revois encore, même quelques années plus tard, ces larmes qui coulaient, avant que jamais, l'on ne puisse se revoir.
Ces larmes, c'est de la pluie. Ces larmes, c'est toi. Je t'aime toujours.
J'aime quand il pleut !
Je suis la pluie
Salut !
Moi je suis la pluie.
Et j'aime quand il pleut.
Oh, pas une pluie banale avec juste de l'eau. Non ! Je suis une pluie d'expérience, sentimentale, une pluie d'amour, une eau de vie. Je viens toujours pour accomplir des choses. Dans les cimetières, je coule sur les parapluies. Je dégouline sur les toits et j'aime, que dis-je j'adore, faire de la musique sur le zinc. Souvent avec des potes de la bande de gouttes mouillées, on se tape un bœuf en balançant des rythmiques sur la moindre pente, sur des murs, des chemins, dans les parcs et leurs acacias.
J'aime plus encore la forêt.
J'en ai croisé plusieurs lors de mes nombreux voyages et ma préférée reste celle de Retz, forêt domaniale du Valois. Mon bonheur devient total lorque je m'entends descendre sur les hêtres, rebondir sur les houpiers, glisser sur les veines d'écorces de chênes pour finir à leur pied.
Alors, il me faut disparaître avec grand bonheur dans l'épaisse couverture de feuilles mortes et d'humus odorant, pour rejoindre des réseaux insoupçonnés de racines et de galeries. Je sais depuis peu que tout cela communique alors je me fais discrète.
Je suis une fille de l'eau. Alors, savez-vous, ma vie demeure très simple et cyclique.
Une fois en mer, je transpire et je m'élève. À plusieurs, l'on se regroupe en concentration au nom charmant de cumulus. Puis le vent nous pousse pour un long voyage en nuage, un véhicule plus confortable, tout de même. Au fil du temps, notre apparence évolue en différentes nuances de gris et de blanc aussi.
Je reviens parfois survoler cette forêt que j'affectionne. Car j'ai là une bonne raison d'espérer. Les courants m'entrainent avec mes compagnons de gouttes, et me ramènent vers lui.
Sera-t-il là ce soir dans sa maison ?
Oui, je le vois ! Je distingue sa silhouette derrière la fenêtre de la véranda.
Je l'observe alors que je descends, libérée de mon transport vaporeux, pour offrir un spectacle des grandes eaux. Son regard semble perdu, comme fasciné devant ce déluge humide et bruyant. Je devine dans ses yeux, des larmes d'amour.
Je sens qu'il a vécu une grande douleur passée.
Mais moi, j'aimerai tellement qu'il me remarque et qu'il m'aime. Je sais, je ne suis qu'une simple goutte de pluie mais tellement jolie, enjouée et surtout fidèle. Il me suffit juste d'attendre qu'il me remarque. La patience est l'une de mes vertus.
Inlassable et amoureuse, je reviendrai.
Moi, je suis la pluie. Et j'aime quand il pleut !
Je suis la pie !
Alors là, ça m'agace ! Mais ça m'agace...
Huuuum ! La pluie !
Ça m'agace quand il pleut.
Certes, pour la toilette c'est sympa. Lisser ses plumes. Se refaire une beauté. Il faut dire que j'ai la côte avec mon amoureux Pie-Trot. Là, on se bécote pas mal ces dernières temps. Il est craquant ! Il m'appelle sa Pie-Trelle.
On aime bien se donner des rendez-vous. Un toit, une branche, une barrière, un fil électrique... Des trucs de dingue. J'avais pas fait ça depuis des mois. Mon ex a mal fini. Il aimait trop ce qui brille et il a terminé dans un éclair, un soir de pluie. Alors ça me gave quand il pleut, ça me rappelle trop quand j'étais avec lui.
Avec Pie-Trot, c'est autre chose.
On fait des folies, on est curieux.
Et surtout, le summum, on embête les chats. Alors là, qu'est-ce que je me marre. Je jacasse ! On fait des piqués rasants sur eux. Ils s'enfoncent dans le sol ou bondissent en l'air comme sous l'effet d'une décharge électrique insoutenable. Il faut dire que dans notre costume en noir et blanc, ça jette. Ils ont la trouille de notre bec si fort et de nos yeux indiscrets et sérieux. Les pauvres petits félins, ils se carapatent.
Depuis quelques jours, avec Pie-Trot, on se cherche une maison. En bordure de forêt dans ce joli village d'Haramont. Juste sous les collines, le long de la rue de Selve ou du Chemin Vert. Il y a de quoi faire. Bien sûr, il faut s'accomoder des écureuils, de la chouette et du coucou. Et de ce couple de tourterelles. Hélas, il y a aussi tous ces corbeaux. Qu'est-ce qu'ils sont moches ! Aucune classe. Ils m'inspirent la mort et moi, je préfère l'amour.
J'ai un ami.
Oui enfin, c'est pas ce que vous croyez. C'est un grand-pied. On se parle. Du moins on se comprend. Surtout après la pluie. Je passe le voir avant la tombée de la nuit. Je sais qu'il regarde par sa fenêtre. Et je le vois parfois qui tape avec ses extrémités sur des carrés noirs. Il scrute sans cesse dans un petite fenêtre alors qu'il en a une immense juste à côté de lui. Sans doute qu'il rêve.
Alors je viens le distraire.
Je saute sur les murets. Je me tourne. Je sautille.
Alors là il me regarde.
Et je lis en lui une détresse. Il semble si seul.
Moi, j'ai trouvé Pie-Trot. Mais avec lui, c'est pour la vie !
Ça m'agace... Ça m'agace quand il pleut !
Je pense toujours à toi !
J'aime la vie quand elle pleut !
Elle me fait penser à toi.
D'aussi loin que je me souvienne, tu étais mon premier, mon amoureux, mon chevalier. Au premier regard, dès nos premiers mots, j'ai senti que le courant passait et mon ventre s'est alors noué, emprisonnant des papillons de vie. D'un seul coup, je me suis sentie libre, importante, belle car ton regard rien que pour moi avait cette force, cette tendresse. Il m'apportait l' apaisement d'un baume de douceur. Et les larmes parfois me venaient comme si le bonheur débordait.
J'aimais nos rires, nos retrouvailles.
Et le reste tout autour continuait de tourner mais tellement moins vite que nous.
Et puis tu as disparu.
Plusieurs mois, plusieurs années.
Puis je t'ai revu un soir de Saint-Sylvestre. Un peu changé, un peu mûri, tu venais de loin, de l'étranger. Et malgré cette proximité de circonstance d'un Premier de l'An, le charme n'était pas revenu relier nos mains à nouveau. Cela m'a fait si mal, si mal.
Je donnerai aujourd'hui n'importe quoi, juste une fois encore, pour pouvoir danser et me perdre dans tes bras.
Ce soir, l'orage vient à ma fenêtre.
À perte de vue, j'observe des façades et des toitures d'immeubles de ma grande ville. Je regarde ces nuages mausades qui dansent en sarabande violente. Il passe parfois des éclairs et le tonnerre qui succède, donne de la voix et me remue de l'intérieur.
Je tremble.
Les gouttes de pluie tombent au dehors, ruissellent sur la vitre et trempent mon coeur. Je t'imagine quelque part dans une maison à la campagne, derrière une véranda. Tu écris tout en observant le mauvais temps. Cela t'inspire sans doute.
Je m'assois près de toi. Je sais que tu ne peux m'entendre. Je t'aime encore tu sais ! Même après toutes ces années.
Me voilà à nouveau chez moi. Un chat passe en bas dans la cour et se réfugie sous les roues d'une voiture. Deux tourterelles se blottissent sous une gouttière. De hautes branches de platanes ou d'accacias qui surplombent le parc, ploient sous la bourrasque.
Il me semble deviner un couple de pies par les ailes enlacées...
J'aime la vie quand elle pleut !
Malgré mes larmes, elle me fera toujours penser à toi !
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