Avec les élèves d'une école hôtelière
Depuis un moment déjà, je regardais dans mon assiette, cet œil morne qui me dévisageait.
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Je voyais cette peau lisse et écailleuse avec ses taches mouchetées qui donnaient l'impression d'une ondine en livrée princière. Mais que nenni puisque l'animal, une belle truite, prenait ses aises à une place de choix, nageant dans le lit d'un beurre blanc au milieu d'herbes et d'aromates. La bouche et les branchies ouvertes, elle semblait tout ouïe. Quelques amandes et des raisins de Corinthe complétaient la décoration sur un assiette de couleur éburnéenne.
Une jeune femme en tenue de serveuse, chemisier blanc et pantalon noir impeccables, cheveux lissés et noués en chignon à l'arrière de la tête, offrait à nos regards un visage magnifique. Sans artifice, sans maquillage, elle se tenait droite dans un port altier. Son allure féline et cette esquisse de sourire amusé semblaient suggérer une indication indicible à venir de sa part. Aussi déplaçais-je, par tâtonnement, mes mains en quête de trouver les bons couverts à utiliser.
Son regard malicieux surveillait mes hésitations et quand j'atteignis les bons outils, elle m'adressa un sourire ravi et dans un demi-tour presque militaire, elle reprit le chemin des cuisines. Elle disparut derrière des portes battantes avec oculus qui grinçaient sans cesse, dans un ballet incessant d'entrées et de sorties d'un personnel affairé, prêt à répondre aux attentes d'une salle de restaurant bondée.
Attablés dans une belle salle, nous pouvions deviner par les baies vitrées, les bâtiments de l'École de restauration et d'Hôtellerie de Soissons¹. Les élèves, répartis à tour de rôle au bar, au vestiaire ou dans les cuisines constituaient le réservoir d'une relève prochaine dévouée et professionnelle. Cette génération semblait prête à relever le défi de contribuer à valoriser les bonnes tables de la ville de Clovis, où l'on fêtait tous les ans, entre le 22 et le 24 septembre, le Haricot².
Deux ou trois adultes, en tenue stricte et tirée à quatre épingles, supervisaient le ballet incessant et chronométré. Par des remarques subtiles, discrètes et des conseils avisés, ils distillaient les bons réflexes, le geste adéquat, l'attitude, le sérieux et une certaine forme de décontraction mesurée. Car en l'espèce, il s'agissait au sens scolaire du terme , d'un véritable devoir sur table.
À l'image du savoir-faire des Compagnons du Tour de France, tout ici semblait au cordeau, goûteux, savoureux, précis et réfléchi et les petites attentions se succédaient les unes aux autres. La copie semblait parfaite et nous ne voulions, sous aucun prétexte, gommer cette belle harmonie d'élégance et de raffinement d'un service à la française.
Après cette belle soirée, ravis de notre réservation, à un prix très convenable, en reprenant le volant de la voiture, je me sentais en pleine forme. La seule ivresse qui m'habitait, était celle éprouvée dans un moment délicieux, avec ma compagne, au sein d'un cadre agréable. Je jubilais d'avoir découvert un haut-lieu de formation de l'hôtellerie en Picardie.
En prenant le volant, je sentis une gêne en verrouillant ma ceinture. Par mégarde, j'avais glissé dans la poche de mon pantalon ma serviette de table. Alors je la sortis pour être plus à l'aise et découvrir à l'intérieur un repose-couvert. En peu confus, je me sentis un instant coupable mais très vite se sentiment s'avapora.
Ce geste machinal et sans intention ne devait en aucun cas entamer ma bonne humeur. Je garderai ainsi plus d'un souvenir de cette belle soirée.
=O=
¹ Lycée hôtelier de Soissons : //maps.app.goo.gl/281xVVxmv5zzcZNH9
² Fête du Haricot dans le Soissonnais : //monantiseche.com/evenement/la-fete-du-haricot-a-soissons/
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