Le coffret temporel

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Alors on se donna rendez-vous au parc forestier des Beaux-Monts.

*

Tout là-haut se dressait une butte, au bout de la majestueuse Allée éponyme, ouverte par Napoléon 1er en 1810, et à quatre kilomètres du Château de Compiègne. L'endroit abritait une réserve biologique riche d'un des plus vieux peuplements arborés de France, mais aussi en raison de sa faune et de sa flore diversifiées et préservées, en dehors des périodes de chasse.

Plusieurs années auparavant, alors que nous étions encore jeunes adolescents, nous nous prîmes d'affection pour le chêne sessile aux dimensions impressionnantes qui dominait les lieux. Quarante-deux mètres de hauteur pour un diamètre d'un mètre soixante-cinq centimètres. On présumait son âge à quatre cents ans. Des peintres et des dessinateurs le reproduirent à l'envi. lI apparaissait aussi sur différents sites de la toile numérique.

À son pied, il se dégageait de lui une force, une vibration, comme l'émanation d'une grande sagesse bienveillante.

Mais le temps laissait son empreinte ainsi que les tempêtes et cela à de multiples reprises. L'Ancien perdait de sa superbe, laissant au sol une partie de sa canopée. On ne pouvait rien y faire. Plusieurs autres arbres remarquables subissaient le même préjudice dans les forêts voisines comme celle de Retz.

*

Il était temps d'ouvrir notre coffret temporel. Mais encore fallait-il le retrouver ?

Alors on se donna rendez-vous dans le parc, au parking du belvédère pour dix heures. À l'époque nous venions en VTT, mais là pour nos trente ans, on prit nos bagnoles et certains d'entre nous se laissèrent covoiturer. Mathilde et Adèle en jogging un peu flashy, Tom et Kevin en collant de footing. Leurs enfants souhaitèrent aussi nous accompagner.

Moi-même et ma compagne ainsi que nos triplés, nous prîmes les devants pour compter nos pas à partir du fût de l'arbre. Je gardais sur moi un schéma réalisé à l'époque sur un papier de calepin, un peu flétri et taché par les années que je sortis de mon portefeuille. Cette habitude venait de nos escapades scoutes quand il s'agissait alors d'établir des caches pour la nourriture et les équipements.

Les indications nécessitaient plusieurs directions, angles et pas intermédiaires sur lesquels nos enfants prirent un plaisir non dissimulé à participer et à se répartir.

*

Je sortis aussi ma boussole pour respecter l'azimut.

Au sol une végétation d'herbes hautes et de feuilles mortes ainsi que de fougères constituait une pelouse dense. Dans les futaies et les houppiers, quelques piverts ou pics épeiches nous firent tendre l'oreille, sans doute à l'œuvre afin de se nourrir de vers ou d'insectes xylophages. Mon excitation enflait et je sentais mon humeur se répandre comme le parfum de mon déodorant.

Dans le ciel, se succédait le vol des avions de ligne en hippodrome, attendant de se poser à Roissy et dont les carlingues brillaient au soleil matinal, comme au temps glorieux des caravelles d'Air France. Leurs décélérations lentes faisaient rugir les réacteurs et gâchaient quelque peu notre plaisir de nous retrouver dans ces lieux forestiers et majestueux.

Je voulais que notre émotion reste intacte et éloigner l'émanation d'intervenants extérieurs, symboles de cette société moderne et excessive. Au final, on n'attendit pas trop longtemps. À l'aide de pelles, on mit à jour notre trésor, un coffret en bois enveloppé dans un sac toilé et plastifié. En apparence, il n'avait pas souffert du temps et de l'humidité.

*

Les enfants demandèrent à ouvrir les premiers.

Entre temps, nous nous déplaçâmes vers les pentes donnant sur la grande allée forestière et dans un espace dégagé, nous étalâmes des couvertures et ouvrîmes nos sacs de pique-nique pour profiter du moment présent. La bonne humeur semblait de mise et chacun y allait de ses souvenirs car chaque objet, une fois rendu à l'air libre, s'accompagnait d'une histoire. Je me sentais impressionné par la capacité de nos mémoires à revivre, dans l'instant, autant de bribes de conversations et d'aventures juste en regardant un témoin du passé.

Sur la couverture à carreaux, entre les verres, les miettes de pain, la salade, les charcuteries, les sodas et le vin, notre enfance s'étalait au grand jour. Des billes en agate multicolores, des soldats en plastique ou en plomb. Plusieurs pièces d'échiquier, des fleurs séchées, de la monnaie en déclinaison du Franc. Et surtout une photo de nous tous, posant de nos regards juvéniles et insouciants, tendus devant l'objectif qu'un promeneur accepta de saisir en lançant un ouistiti à tue-tête.

*

Je crois que cette journée s'habilla de magie et de merveilleux. Cette joie de se revoir après tant d'années et de partager à nouveau notre belle amitié en évoquant cette période de l'adolescence.

=O=

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