La ronce de noyer !
Longtemps, il chemina depuis l'Italie, en meute, ou bien isolé en quête d'une compagne.
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À travers les Alpes et ses rigueurs d'altitude, il se glissa au creux des vallées, passant entre les buissons d'aubépines et de ronces, discret, insaisissable aux gardiens de troupeaux perdus dans les alpages.
Les chiens parfois le flairaient et l'incitaient à garder ses distances. Alors il devait surseoir à son envie et éteindre le feu dévorant de la faim en se jetant dans le premier ruisseau venu pour boire et étancher sa soif à défaut d'un repas de chair. Il devrait attendre la sortie de marmottes ou le poser d'un grand tétras ou d'un coq de bruyère, sans compter sur la présence du goupil qui savait s'y prendre pour croquer les volatiles.
Il apprendrait...
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Il vivait chaque jour, sur une terre pour lui, sans frontière.
Dans ce changement de pays, il ne vit que d'autres hommes dont il devrait se tenir à distance. Il garda en lui, chevillé dans son cerveau de prédateur, l'espoir de nouvelles conquêtes de territoires pour pouvoir fonder sa propre famille. Il en était ainsi car le mâle alpha de sa meute lui avait intimé l'ordre de quitter le groupe dès lors qu'il devenait un jeune loup adulte.
Après les rigueurs d'altitude, le Jura l'accueillit après plusieurs centaines de kilomètres. Le ciel changeant qui l'accompagnait, lui offrait parfois ses reflets bleus dans l'étendue lisse des lacs bordés de grands sapins et d'autres fois, des nuits pluvieuses ou neigeuses sur des pentes prises dans la bise.
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Il arriva sur Saint-Claude.
Il savait peu de chose de cette région. Les vallées creusaient de longs sillons entre les plissements de terrains faits de combes et de cluses. Après bien des hésitations et des détournements, il s'arrêta dans un champ bordé de noyers. De là, il distinguait tout le village sans que nul ne puisse le voir en retour. Il trouva une excavation au sein des racines tourmentées de l'un des arbres fruitiers et se plut à respirer les senteurs du printemps.
Ce terrier naturel conviendrait et lui permettrait de reposer ses coussinets. Après plusieurs jours qui lui permirent de se refaire une santé et surtout de se remplir le ventre, il croisa enfin une odeur de phéromones familières. Il la perçut tenace dans les urines laissées dans les haies vives, en bordure de pâtures, dans les buissons et dans les flaques de ruisseaux qui dévalaient les prairies emplies de fleurs sauvages. Une compagne se présentait à son voisinage qui lui faudrait conquérir si toutefois, elle lui réservait un bon accueil.
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Le plaisir de Marc consistait en de longues balades.
Souvent, il aimait à partir par les chemins nombreux de randonnées qui surplombaient la ville et prendre ainsi de la hauteur pour observer son pays, Saint-Claude, et chercher des idées de pièces de bois à ouvrager. Bien sûr, les pipes constituaient l'essentiel de ses réalisations, connues dans le monde entier. Mais la matière jouait aussi un rôle capital dans l'effet produit.
La ronce de noyer présentait cet attrait pour l'observateur et les accessoires réalisés dans cette matière rencontraient le plus vif succès. Il fallait pour cela trouver l'excroissance qui poussait à la base de l'arbre. Les ébénistes et les menuisiers se disputaient cette ressource pour ses qualités esthétiques.
À la découpe, la ronce révélait des motifs contrastés, un enchevêtrement de veines sur un fond sombre. De là, l'imagnation s'ouvrait sans limite allant de la fabrication de mobilier aux formes épurées des volants et des tableaux de bords de véhicules très luxueux.
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Le hasard de ses pérégrinations l'amena un jour en lisière d'un champ de noyers.
Là, il tomba à sa grande surprise sur de jeunes louveteaux, endormis au creux des racines d'un vieux tronc. Sans aucune méfiance, il se rendit compte très vite de son excès de témérité quand il entendit gronder derrière lui. En se retournant avec une certaine angoisse qui se nouait insidieuse dans son ventre, il découvrit dans son champ de vision soudain restreint par la peur un couple magnifique.
Dressé sur une éminence de terre, la queue glissée entre les pattes postérieures comme prêts à bondir et la lèvre supérieure soulevée découvrant des crocs, ils adressaient à l'étranger un message plein de menace. La découverte de racines ou d'excroissances au pieds des noyers pourraient sans aucun doute attendre une prochaine visite.
En baissant la tête, Marc entama avec prudence une marche à reculons. Puis une fois rendu dans le chemin de randonnée, il dévala la pente, sans demander son reste, couvert d'une sueur amère qui ruisselait dans son dos et sur son visage.
Tout en courant, un rire presque hystérique lui vint de la gorge, accompagné de l'idée de réaliser des supports de pipes reproduisant la silhouette de loups.
Jamais il n'oublierait cette magnifique rencontre sauvage à l'ombre des noyers...
=O=
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" Marche avec les loups "
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