Sous les ongles

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10 H 00 du matin, aux Portes en Ré

Le médecin légiste Max Vernet accompagné de son équipe et de personnels spécialisés de la gendarmerie scientifique s'affairait autour d'une victime, découverte le matin même, aux aurores par un joggeur.

*

Il s'agissait d'une femme, gisant de tout son long dans une légère dépression, à peine camouflée par de la végétation basse. À quelques dizaines de mètres passait le sentier du littoral en limite de la forêt domaniale de Trousse-chemise. Plus loin au sud, on débouchait sur le petit port de Patache et plus à l'ouest, un golf étendait ses grands espaces de pelouses et de bunkers.

Tout autour, la mer livrait un concert permanent tout en reprenant son territoire à la faveur de la marée montante. Les oiseaux nombreux, mouettes et goélands pour l'essentiel, jouaient dans le ciel avec les courants d'air et les vents ascendants et profitaient du spectacle inhabituel dans une zone dédiée en grande partie aux ostréiculteurs.

La fraîcheur de la nuit incitait les habitants à chauffer leur maison et des fumées acres de cheminées au bois ou de chaudières au fuel venaient s'inviter sur la scène de crime. Le sous-bois assez dense, cerné par de la rubalise, grouillait à présent de forces de gendarmerie en quête d'indices, taches bleutées disséminées dans la brume diaphane.

Un courant d'air glacé circulait dans les buissons et les taillis, porteur d'une grande angoisse laquelle se glissait insidieuse et vipérine au ras du sol au point de vous hérisser le poil et les cheveux.

*

La victime comportait plusieurs hématomes et une cicatrice ancienne soulignait ses lèvres entrouvertes. De sa face maculée de terre, des yeux grand ouverts semblaient vouloir exprimer quelque chose, comme une dernière phrase qui ne viendrait jamais mais qui pourrait, si elle sortait, indiquer l'identité du l'agresseur.

Un photographe en combinaison blanche saisissait en image des bouts d'instantanés, en suivant les indications précises du médecin qui par différents angles et prises de vue entendait accumuler des éléments probants des outrages subis par cette pauvre femme meurtrie. L'auteur ou les auteurs s'étaient comme acharnés sur elle mais des ecchymoses sur les avant-bras montraient aussi qu'elle avait tenté de résister avec une grande force. En première approche, elle ne semblait pas avoir été victime d'un viol. L'autopsie permettrait sans doute de préciser cette horrible possibilité.

Alors le soleil se décida à sortir et de ses premiers rayons traça des fils d'or qui vinrent illuminer le corps de la jeune femme et en particulier les mains arrondies en poings fermés. Suivant une subite intuition, le légiste tenta d'ouvrir les doigts crispés et repliés sur les paumes. Des lignes en longs sillons indiquaient l'espoir d'une longue vie.

Toutefois, sous ses ongles manucurés, on devinait des bouts de tissus et peut-être aussi des morceaux d'épiderme qu'il faudrait analyser. La victime avait, dans un dernier éclair de lucidité, refermé ses doigts pour conserver des éléments de preuve vis à vis de son agresseur.

En demandant de l'aide, le médecin roula le corps sur le côté pour examiner la face cachée. D'un geste plein de douceur, il détacha plusieurs feuilles mortes et de la poussière qui adhéraient aux vêtements très humides. Une humeur d'intimité se répandit dans l'air pesant. On préleva quelques végétaux dans un sachet plastique transparent ainsi que de petits objets personnels tombés çà-et-là des poches de la victime ou de son sac à main.

Une carte professionnelle se situait dans la poche arrière du pantalon en denim. Avec délicatesse, le médecin sortit le document et ne put s'empêcher d'avoir un haut le cœur en découvrant le patronyme. Il faut dire que le visage tuméfié et couvert de terre ne permettait pas de reconnaître sur l'instant l'identité de la victime.

*

L'affaire prenait alors un tournant inattendu et devrait nécessiter sans doute la plus grande discrétion.

La victime n'était autre que le substitut du procureur, Chantal Hiver. On pouvait dès lors s'attendre à des investigations nombreuses dans son entourage mais aussi dans les dossiers qu'elle suivait ou conduisait et découvrir s'il s'agissait d'une éventuelle vengeance.

Le bois de Trousse-chemise tenait sa réputation de ses fréquentations débridées durant la période estivale. Mais à l'approche de l'hiver, difficile d'imaginer que de telles pratiques se poursuivent. Et encore moins d'y rencontrer un serviteur de la justice. Mais pourquoi pas, après tout. Les gens étaient libres de leur vie privée tant qu'elle n'entachait pas le versant professionnel.

*

La capitaine Rodriguez du SRPJ de La Rochelle aurait bien du mal à dénouer les mystères qui entouraient le meurtre ou l'assassinat de la magistrate, très prisée des milieux politiques du département et de la région. Très préoccupée, l'OPJ prenait un café en échangeant avec le Commandant de gendarmerie Dalendier.

  • Mes enquêteurs se trouvent sur le fil du rasoir assura le Commandant.
  • J'imagine que ce décès s'ajoute à la longue liste de victimes sur l'île de Ré répondit-elle avec une légère compassion dans le timbre de sa voix.
  • Selon toute vraisemblance, on ne peut que le soupçonner pour l'instant.
  • Le problème, c'est qu'il n'y a pas de lien apparent entre elles.
  • Les deux sexes sont représentés et les victimes sont de la même tranche d'âge. Mais c'est à peu près tout ce que l'on peut affirmer avec certitude jusqu'à présent.
  • Et j'imagine que vos investigations ne permettent pas d'appréhender l'auteur de ces différents meurtres. Aucun indice, aucun suspect ! Les témoins sont clean ! Pas de corbeau. Aucun témoignage.
  • Affirmatif. L'intéressé ne laisse aucune trace derrière lui, ni empreintes sur les victimes, sauf peut-être pour cette dernière. Le légiste nous permettra d'en savoir davantage dans les heures qui viennent.
  • Il agit vraiment en toute quiétude, avec professionnalisme. Un véritable prédateur !
  • Oui, exactement, il semble surprendre ses proies, en l'absence de témoins. Cela indiquerait un mode opératoire anticipé et très méticuleux. Et Il connaît, selon toute vraisemblance, précisément les habitudes de ses cibles.
  • Et cela pourrait tout aussi bien vouloir dire que les victimes connaissaient leur meurtrier !
  • Exactement !

*

La presse régionale s'intéressait à cette série meurtrière et les commérages allaient grand train, s'appuyant sur les articles d'un journaliste de la Charente-Maritime, chroniqueur police-justice et ancienne gloire sportive de rugby.

Profitant de sa notoriété toujours intacte, le reporter saisissait la moindre occasion de démontrer l'incompétence des enquêteurs. Il demandait sans cesse, dans ses articles au vitriol, une action des autorités locales ou préfectorales, visant à améliorer la sécurité des habitants, des exploitants et des touristes.

Depuis peu, on voyait se constituer des milices armées qui patrouillaient la nuit dans les principales villes de Saint-Martin-en-Ré, La Flotte, Rivedoux, Bois plage, Loix, Saint-Clément ou Les Portes-en-Ré.

La situation devenait délétère et ajoutait aux tensions économiques et sociales.

*

Les deux officiers s'entendirent entre eux pour que la Capitaine Rodriguez prévienne le procureur de la République du décès de sa collègue. Elle en profiterait pour insister auprès du magistrat afin d'obtenir des effectifs supplémentaires en renfort venant du continent pour d’une part apaiser les populations et d’autre part étendre les investigations et permettre d'agir avec efficacité et discrétion.

Et ce ne serait pas du luxe car rien n'indiquait que cette liste de meurtres en série soit achevée.

=O=

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