Halloween, la veille de tous les saints.
Selon des traditions vieilles de 2500 ans, les Celtes célébraient la fête de Samain, vers la fin du mois d'octobre. Ils pensaient qu'au cours de la nuit, les frontières entre le monde des morts et celui des vivants s'ouvriraient. Alors ils revêtaient des costumes effrayants pour éloigner les mauvais esprits. Au fil des âges, ces légendes s'exportèrent aux Etats-Unis avec l'arrivée de migrants irlandais et écossais, au milieu du XIXe siècle.
Jack-O'-Lantern, condamné à errer avec un navet en guise de lanterne, en voulut à ses ancêtres irlandais et écossais qui l'enfermèrent à son triste sort, voilà plus d'un siècle. Comme tous les fantômes, sans limite de temps et d'espace, il gardait peu d'espoir que l'on vint le délivrer.
En arrivant dans un petit village d'Occitanie en cette fin d'octobre, il s'assit sur la margelle de la fontaine. L'automne n'apportait pas encore ses couleurs ocre et rouille sur les feuilles des platanes qui offraient de l'ombre sur le cour. Des joueurs de pétanque s'affrontaient sur l'esplanade. Les commentaires allaient bon train et chacun parlait avec cet accent merveilleux du sud-ouest.
Jack écoutait l'eau s'écouler dans la grande vasque. On devinait des pièces de monnaies cuivrées dans le fond du bassin.
Des enfants passèrent à sa hauteur sans le voir. Sans doute que s'ils l'avaient aperçu, ils n'auraient pas manqué de se moquer de lui et de son accoutrement bien différent du leur.
Les jeunes arboraient d'étranges costumes colorés en noir et orange et certains portaient en encensoir des citrouilles, creusées de l'intérieur pour représenter des visages édentés. Des flammes de bougies dispersaient autour d'eux des ombres chinoises au sol et sur les murs comme dans ces films muets en noir et blanc, alors que le soir tombait en douceur.
Jack connaissait bien ces nouvelles coutumes apparues dans les années 1920.
Il observa la horde de mômes frapper à la porte d'une maison et prononcer cette réplique "des bonbons ou un sort". Alors les habitants offraient en retour des friandises et prenaient le temps de complimenter les enfants pour leurs magnifiques costumes.
Sans prévenir, une jeune fille en robe sombre vint s'assoir à côté de lui.
Son visage maquillé portait les traits d'un chat noir. Ses yeux bleus en forme d'agates tranchaient sur sa face et lui donnait l'air d'un poulbot. Avec délectation, elle trempait ses doigts dans un pot de yaourt.
- Tu en veux ? lui dit-elle.
Jack fut interloqué que l'on puisse s'adresser à lui. Personne n'avait pu jusqu'à cet instant précis déceler sa présence. Alors, quelque peu fébrile, il répondit à l'adolescente.
- Avec grand plaisir. Bien que je préfèrerais de la viande.
- Oh ce sera difficile. On mange tôt chez moi mais si tu es là un peu plus tard, je pourrai peut-être te donner des restes. J'habite dans la grande maison bourgeoise de mes parents, en face de l'église. Quand vient le soir, je sors pour aller jouer dans le cimetière.
- Ah ! Oui je vois.
Cette jeune personne semblait si étrange, mais sans doute pas plus que lui qui se trimbalait depuis de lustres avec un navet suspendu au bout de son bâton, vêtu de vêtements sales en guise de guenilles et de chausses éculées.
- Je peux te poser une question ?
- Ben oui.
- Tu t'appelles comment ? Moi c'est Jack-O'-Lantern.
- Joli nom. Ça sonne irlandais ! Moi c'est Mercredi. Mercredi Addams.
- Enchanté !
Au fur et à mesure que le soir tombait et que la lune prenait son envol, ils poursuivirent leur conversation et Jack ressentit l'étrange espoir qu'il ne serait plus jamais seul.
=O=
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