Pour une vie nouvelle

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Juliette attendait seule dans la pièce.

Des bruits révélaient une activité aux différents étages de l'immeuble, un ancien hôtel particulier desservi par un ascenseur qui glissait dans un murmure feutré. Des voix anonymes échangeaient des propos entre des portes et des talons s'imprimaient sur les lattes de parquet. Un parfum de lavande s'échappait régulièrement d'un diffuseur et s'immisçait dans la pièce et offrant à mon angoisse une place pour se réfugier.

De son sac à main dépassait un dossier volumineux, encore dans son enveloppe en papier kraft, reçu dans la semaine par courrier recommandé. Il contenait de nombreux documents agrafés ensemble.

Une douce musique, peut-être celle d'une radio locale, couvrait à peine de ses notes délicates l'espace. Dans un coin de la salle, un vieux tourne-disque servait sans doute de décoration. Un porte-manteau en bois se dressait avec élégance. À ses pieds, un bac à parapluie se morfondait en raison d'une météo favorable. Un grand tapis en laine recouvrait la totalité du plancher de la pièce et donnait à son contact un amorti très agréable.

Sur une commode en merisier, style Louis-Philippe, une vasque en cristal posée sur un napperon en dentelles contenait des fruits en terre cuite vernissée : cerises, pommes ou poires, raisin en grappe. Juste à côté, une horloge dorée sous une cloche de verre égrenait les secondes en faisant pivoter sur un axe central quatre billes dans un mouvement gyroscopique.

Des fauteuils au port altier, assortis au style cossu, se révélaient, comme rehaussés par des murs d'un blanc immaculé aux nombreuses frises fleuries en stuc. À n'en pas douter, on tenait à s'éloigner d'une ambiance populaire. Sans doute voulait-on imprimer dans l'esprit du visiteur l'apparence d'une certaine aisance financière et la garantie d'une affaire professionnelle. Ceci pouvait se comprendre, eu égard à la balance et l'épée aux mains de Thémis qui les yeux bandés se dressait impartiale en motif sur la plaque dorée en parement au pied de l'immeuble.

*

Dix minutes de silence s'écoulèrent et à la demie de l'heure, une douce sonnerie révéla l'activité de l'horloge.

Alors le décor s'anima de nouveau, comme un lever de rideau sur la scène suivante d'une pièce de théâtre. Par la fenêtre entrouverte remonta de la rue l'alarme stridente d'un véhicule ambulance. Les reprises et les humeurs rageuses du moteur traduisaient une conduite dans l'urgence, eu égard à la situation de la victime et son pronostic vital sans aucun doute engagé.

Juliette sentit son cœur s'accélérer de plus belle.

Elle prit alors un magazine dans la pile informe posée sur le guéridon vitré et se perdit dans les potins et les frasques du monde du show-business. D'un coup, son humeur s'améliora en relativisant sa situation à celles de toutes ses starlettes poursuivies sans cesse par des hordes de fans et de paparazzis.

*

D'habitude plutôt coquette, Juliette préféra arborer une toilette sobre pour se présenter à cette convocation officielle.

Un tailleur crème, des talons hauts, les cheveux lissés et tirés en chignon. Un fond de teint léger, un rouge à lèvres mat, des paupières bleutées assorties aux ongles de ses mains. Une goutte d'un parfum délicat et ancien glissée derrière ses oreilles, un foulard Hermès sur ses épaules, elle affichait une bague lumineuse en pierres d'émeraudes à l'un de ses doigts. Comme pour effacer le souvenir d'une alliance.

Alors, une porte s'ouvrit, à peine précédée par le bruit des pas d'un greffier.

  • Madame Juliette Fournier !
  • Oui ! répondit-elle en tentant de libérer sa voix.
  • La juge des affaires familiales vous attend.

Juliette se dressa alors d'un coup, tirant sur sa jupe pour descendre la soie de la doublure sur ses collants. Son cœur battait la chamade et ses espoirs d'un règlement amiable se mirent à fondre comme la banquise sous un soleil trop violent. Elle tenta de reprendre le contrôle et glissa, d'une main délicate, une retouche dans une mèche invisible de sa coiffure. Elle vérifia en se retournant qu'elle laissait la banquette libre de tout oubli et une fois satisfaite, elle s'avança vers la porte d'accès.

*

Elle entra à la suite de l'employé, découvrant une tout autre ambiance.

Des linéaires d'ouvrages de droit à la couverture rouge cernaient un grand bureau surchargé de chemises colorées, comme autant de remparts autour d'un sous-main de cuir bordeaux à dorure. Derrière le plan de travail immense, véritable forteresse, se tenait un petit bout de femme, visage et apparence stricts. Juliette laissa apparaître un sourire auquel répondit le magistrat par une discrète invitation à s'asseoir à côté... de son mari.

  • Je vous en prie Madame Fournier, prenez place. Nous allons commencer.

Juliette s'assit dans un fauteuil confortable et glissa un regard discret sur sa droite pour découvrir le profil très fermé de l'homme qui partagea sa vie durant vingt ans.

  • Avant de laisser à vos avocats la possibilité de s'exprimer, eu regard à la présente convention de divorce, je vais reprendre les éléments à ma disposition. Nous pourrons ainsi nous entendre sur la finalisation de la procédure. Sommes-nous d'accord ?
  • Oui ! expira Juliette en cherchant de nouveau à dégager sa voix.
  • Nous vous écoutons, Madame le Juge, poursuivit Jonathan comme pour s'approprier l'auditoire.
  • Madame la Juge, me conviendra très bien, si vous n'y voyez pas d'objection, Monsieur Fournier, dit-elle dans une expression sévère.

Jonathan opina du chef en réponse, soudain très mal à l'aise, croisant et décroisant ses jambes pour retrouver une certaine contenance.

  • Commençons !

=O=

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