Voyages en plein désert
Assis au coin de feu, dans la maison vide, Paul tournait les pages d'un bel album de photos dédié aux grands déserts de ce monde. Bien que l'Homme idéalisât l'importance de ses cités rurales et urbaines, ces immenses étendues couvraient un nombre considérable d'endroits sur Terre et offraient au regard du voyageur un véritable et grandiose émerveillement.
Souvent très arides, ces espaces recélaient une activité intense, soulevant ici et là, sans cesse, des pierres ou du sable, au gré de tempêtes et sous l'action des températures excessives oscillant entre brûlantes le jour et glaciales la nuit.
Paul découvrait ces lieux étonnants, Gobi, entre la Chine et la Mongolie, Atacama entouré du Chili et du Pérou et bordé par le sud Pacifique et la Cordillère des Andes. Puis encore les Mojaves en Californie, Takla-Macan en Chine, plus grand désert de sable au monde. Tous ces noms et bien d'autres s'invitaient au fil des pages et les nombreux clichés le transportèrent dans un long voyage.
Vint alors à son regard le plus grand d'entre eux, vaste étendue entre le Maroc et l'Égypte, le plus connu et pour certains géographes, constituant une Diagonale sèche des bords du fleuve Sénégal aux confins de la Mongolie.
À l'évocation de son nom, le Sahara, Paul se rappela une dictée effectuée durant son enfance à l'école primaire sans doute, au titre étrange Un orage au Hoggar. Le passage à écrire, extrait de l'Atlantide de Pierre Benoit, relatait un phénomène météorologique assez rare qui nécessitait de mettre dans l'urgence des hommes et des dromadaires à l'abri pour échapper au cataclysme exceptionnel qui s'annonçait.
Outre le fait d'écrire sans fautes, il se souvint alors de l'ambiance, de l'odeur et des bruits de tables ou de chaises, de la maîtresse circulant entre les allées et jetant ici ou là un regard à l'application de chacun de ses élèves. Celle-ci articulait et insistait sur chaque mot, indiquait la ponctuation et reprenait avec patience les phrases une à une. Paul revoyait les lignes pâles du cahier, la plume Sergent Major qui laissait son sillon bleu au bout de sa main gauche et son autre qui tenait le buvard pour éviter les taches.
Puis comme par magie, emporté dans le vortex de son imaginaire sans cesse en ébullition, de nouvelles pensées le transportèrent dans les pas d'un jeune berger espagnol au nom évocateur de Santiago. Ce dernier renonçant à son destin d'être prêtre après ses études au séminaire décida, à la faveur d'un rêve sur l'existence d'un fabuleux trésor, d'entreprendre un voyage qui le mènerait d'Andalousie jusqu'à Gizeh et ses pyramides, en passant par Tanger et le fameux désert du Sahara.
Au hasard de ses errements dans ce que l'on pourrait appeler un voyage initiatique, le jeune garçon découvrait qu'il lui faudrait accomplir sa légende personnelle, sorte de réalisation ou d'accomplissement de soi. Ayant perdu le peu d'argent qu'il détenait, il devint vendeur dans une obscure boutique, et de par son habileté, il rendit fleurissant le commerce de cristaux. Puis il rencontra dans une oasis, au cœur du désert, l'Alchimiste qui l'initia et le guida à travers des épreuves qu'il devait surmonter pour poursuivre sa quête.
En renouant dans sa tête avec des passages du livre de Paolo Coelho, Paul retrouva ces phrases touchantes à la portée philosophique.
Si vous écoutez votre cœur, vous savez avec précision ce que vous avez à faire sur terre. Enfant, nous l'avons tous su. Mais parce que nous avons peur d’être désappointé, peur de ne pas réussir à réaliser notre rêve, nous n’écoutons plus notre cœur. Cela dit, il est normal de nous éloigner à un moment ou à un autre de notre Légende personnelle. Ce n’est pas grave car, à plusieurs reprises, la vie nous donne la possibilité de recoller à cette trajectoire idéale.
Sans crier gare, Paul se retrouva dans la peau d'un pilote, sous la plume d'Antoine de Saint-Exupéry, coincé dans le désert en train de réparer son avion. Là, il se remémora, en tournant virtuellement les pages de cet autre livre, de très belles aquarelles montrant un jeune garçon, un Petit prince. Tour à tour, ce dernier lui posait mille et une questions, s'interrogeant sur les égarements et les curiosités de la nature humaine.
Abandonnant un instant son ouvrage photographique, Paul entreprit quelques recherches dans les linéaires de sa bibliothèque très fournie pour retrouver l'écrivaine, Isabelle Eberhardt. Cette aventurière et journaliste, convertie à l'islam, se plongea tout au long de sa vie dans les paysages et les mœurs des différents peuples de l'Afrique du Nord. Selon la présentation d'un quatrième de couverture, elle se serait confrontée au colonialisme, à l'occupation française et aux traditions ancestrales. Mais surtout, elle rédigea plusieurs carnets de routes pour décrire ses voyages au cœur du désert saharien.
Délaissant cet ouvrage et comme assoiffé de découvertes, Paul consulta fébrile et presque enfièvré Internet sur une tablette. Au hasard de ses recherches sur la toile, il découvrit qu'en 1922 une caravane d’autochenilles de la marque Citroën prit la route au départ de l’Algérie. Il s'agissait d'une épopée longue de plus de 3.000 km, à destination de Tombouctou, au Niger. Ce raid en quinze étapes et vingt et un jours permit d'ouvrir une voie d'accès vers des pays très isolés au cœur même de l'Afrique.
Durant cette époque, nombre d'automobilistes et d'aviateurs des escadrilles d'Algérie et de Tunisie tentèrent de franchir le Grand Erg et le Tanezrouft. Certains y laissèrent la vie mais leurs périlleuses tentatives ouvrit la voie au Raid Citroën. Dans un ouvrage très détaillé, Ariane Audouin-Dubreuil réunit bien des années plus tard des documents inédits, tirés des riches archives léguées par son père, qui resta l'un des pionniers de l'exploration du Sahara.
Paul sentit que son esprit s'emportait, à l'instar d'une folle boule de billard rebondissant sur les bandes des évènements du temps passé en quête d'une incertaine destination finale.
Le désert nord-africain offrait mille opportunités et la France y joua un rôle important de par ses essais nucléaires. Le site de Reggane en Algérie, décidé par le gouvernement le 23 juillet 1957 vit les premiers travaux d'aménagement débuter le 1er octobre. Il sourit car cette date se situait à un mois de sa propre naissance.
De mémoire, il ne connaissait que le site de lancement des fusées Ariane à Kourou en Guyane. Il ignorait tout de la vallée de la Saoura, à la lisière du Grand Erg occidental. Et plus encore de savoir qu'elle servit de champ de tir pour des missiles balistiques et les premiers engins spatiaux français, à travers la base d’Hammaguir à environ 120 km au sud-ouest de Béchar.
Le premier satellite français, baptisé Astérix, fut mis sur orbite par un vecteur qui décolla depuis cette base spatiale.
Paul se sentait agité par tous ces évènements du passé dont une large part se déroulèrent bien avant sa naissance. Ces photos prises dans les plus grands déserts du monde l'avaient transporté dans un merveilleux voyage.
Encore ému et bouleversé par ce transport, il se rapprocha du feu de la cheminée pour se réchauffer les mains. De belles flammes rouges, orange ou bleues dansaient dans l'âtre et jetaient des ombres changeantes sur le mobilier et les murs du salon.
Alors qu'il s'apaisait, un reflet attira son attention.
Il s'agissait d'un ouvrage à la couverture glacée traitant de la mythologie grecque et romaine. Cette dernière relatait les Douze travaux d'Hercule. Intrigué par les illustrations et le résumé, il s'assit dans le fauteuil et commença un autre voyage.
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